PROSE


L'HISTOIRE DE LA ROSE...


La Rose



L'Histoire de la Rose



Il était une fois, dans un petit village à l'orée d'une grande forêt, une jeune demoiselle fort bonne et fort douce que l'on nommait La Rose. La belle enfant, dont les parents avaient disparu alors qu'elle était encore au berceau, avait été recueillie par son oncle, l'Abbé des Epines. Elevée dans la religion et la crainte du péché, La Rose était connue pour sa piété et sa modestie et on la citait en exemple aux coquettes et aux indociles. Il est vrai que La Rose ne connaissait que le presbytère de son oncle et le petit jardin clos qui ceignait la maison; au demeurant, son unique loisir était d'assister aux messes et aux vêpres et, les jours de fête, de participer aux processions en l'honneur de la Vierge ou de Sainte Blandine. Et pourtant, malgré tous les soins qui avaient présidé à son éducation, voici ce qu'il advint d'elle le jour de son vingtième anniversaire.




Episode premier : L'enlèvement de La Rose


C'était une agréable matinée de printemps et La Rose était assise à l'ombre d'un cerisier, tout contre le mur de pierre qui fermait le jardin du presbytère donnant sur le bois tout proche. Elle lisait son catéchisme avec ferveur et ne semblait prêter aucune attention aux alentours. Quand soudain, un craquement sinistre résonna dans la forêt. La Rose se leva d'un bond et poussa un cri de frayeur.

- Qui va là ? bredouilla-t-elle d'une voix mal assurée.

Mais personne ne répondit.

- Qui va là ? Qui êtes-vous ? ! poursuivit-elle en reculant maladroitement vers la maison.

La nature s'était tue et La Rose frissonna. Puis, de nouveau, un bruit violent de branches rompues déchira le silence. La Rose, terrorisée, laissa tomber son catéchisme dans l'herbe et, ramassant à pleines mains ses jupes empesées, s'enfuit en courant. Son cœur battait à tout rompre lorsqu'elle parvint aux premières marches du perron. Elle s'engouffra dans le salon et referma la porte en toute hâte. Ses doigts se crispèrent vainement sur le loquet sans parvenir à pousser le verrou. Elle réussit néanmoins à barricader l'entrée, en poussant contre la porte un lourd fauteuil, sur lequel elle tomba pâmée d'émotion.

- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quelle peur j'ai eu ! Suis-je bien bête, de m'épouvanter de la sorte pour un cerf ou un daim, qui fut plus effrayé que moi, sans doute, en se hasardant si près des hommes...

Or, les minutes passant, La Rose se prit à songer à ce mystérieux craquement qui lui avait glacé les sangs. Peut-être après tout n'était-ce pas un animal égaré ? Il aurait tout aussi bien pu s'agir d'un maraudeur ou d'un vagabond, qui tentait d'escalader le mur pour pénétrer dans le jardin ? Qu'aurait-elle fait, dans ce cas ? Elle était seule, ce matin-là, car son oncle s'était rendu de fort bonne heure au chevet d'un brave homme à l'article de la mort. Il était bien certain que l'Abbé ne serait pas de retour avant la nuit tombée, puisque le pauvre fidèle demeurait à vingt bonnes lieues de la paroisse. Elle se trouvait donc à la merci de quiconque aurait conçu quelque noirceur à son endroit ; sans le moindre espoir de secours. A cette idée, La Rose se sentit défaillir. Mais sa poitrine oppressée, son cœur affolé et ses tempes battantes ne lui venaient pas uniquement du sentiment d'un danger inconnu. Elle se prit à sourire, bien malgré elle, en se remémorant sa crainte lorsqu'elle avait cru être la proie d'un voleur de grand chemin. Son esprit se mit à voguer et elle ferma les yeux. Mollement affalée dans la bergère, elle se plut à peindre en détail l'air et la tenue de l'ennemi qu'elle avait entendu rôder au dehors; y goûtant à mesure un plaisir de plus en plus vif.

- Ah ! Dame ! Il serait grand, fort et bien rude. Sa figure, redoutable, serait laide à faire peur. Il aurait les yeux très noirs, barrés de gros sourcils, et le visage tout recouvert d'une barbe aussi drue qu'un poil de bête sauvage. Sa bouche épaisse aurait un rictus de haine et de convoitise et son cou de taureau serait couvert de grosses veines bleues, toutes gonflées d'un sang épais.

La Rose, alors, s'abandonna davantage. Ses petites mains fines s'enfouirent dans les lourds replis de son giron. Elle pressa fortement l'étoffe contre ses cuisses, comme pour s'entrer les jupons dans la chair. Sur sa peau, un étrange frisson passa et elle sentit une sueur âcre lui venir aux jambes et dans le creux des reins.

- Oui, que le Seigneur me vienne en aide ! Il serait vraiment épouvantable, avec des bras gigantesques, des mains couvertes de suie, comme l'on voit aux charbonniers, et la tournure d'un galérien échappé du bagne. Sa voix, rocailleuse, ne lui servirait qu'à terroriser ses victimes. Ah ! Ciel ! Comme il parlerait durement aux malheureuses qu'il tourmenterait, dans son repère de brigands ! Il les cacherait dans un souterrain secret, où elles seraient séquestrées, en quelque affreux cachot plein de rats et de vermine... Il leur dirait: "Taisez-vous ! Misérables ! Si vous ne vous prêtez pas docilement à mes désirs les plus infâmes, vous recevrez cent coups de fouet !"

Et à ces mots, La Rose soupira de contentement. Elle se vit jetée aux pieds du terrible despote, couverte de pleurs et de boue, implorant sa pitié ; et toute bouleversée par le désespoir et la honte. La toile de ses culottes était plaquée contre son ventre et, très doucement, La Rose écarta l'étoffe, en poussant de petits gémissements étouffés. Elle savait parfaitement que c'était un abominable péché, ce qui augmentait encore le plaisir coupable qu'elle éprouvait à poser ses paumes contre son intimité trempée de sueur.

- Non ! Non ! soupira-t-elle tout bas. Je ne dois pas céder à la chair... je dois me garder de Satan et de ses tentations monstrueuses. Il faut rester pure, il faut rester pure...

Mais ses prières ne lui furent d'aucune aide. Sa main s'enfonça davantage encore et se mit à palper les délicieux replis de son ventre. Elle se cambra et se tordit, se mordant les lèvres pour ne pas crier. La volupté gonflait sa poitrine, douloureusement comprimée par les baleines de son corset. Elle tâcha de respirer plus profondément, afin de meurtrir encore mieux les pointes délicates qui durcissaient au contact du lin de sa chemise et de la serge du corset. Elle resserra un peu les cuisses et un fulgurant plaisir lui incendia la croupe.

- Ah ! Le monstre ! Ah ! Le démon ! Comme il me flétrit, comme il me maltraite ! Ses mains me tiennent fermement à la taille et il m'écrase sur ma couche ! Mais je me débats ! Je ne veux pas céder à ce voleur, à cet assassin ! Non ! Non ! Non !

La Rose était à bout de souffle, et son front crispé, ses yeux révulsés, disaient assez la lubricité qui s'était emparée d'elle. C'est alors qu'un épouvantable vacarme la tira brutalement de ses coupables contorsions. Dans un fracas de verre brisé, la fenêtre du salon fut enfoncée par deux individus masqués, qui bondirent dans la pièce en poussant des cris de fureur. La Rose se mit à hurler, mais il était déjà trop tard. Les deux hommes se saisirent d'elle et la garrottèrent étroitement aux bras, de telle manière qu'elle ne puisse plus faire un geste ou tenter de leur échapper. Ils la poussèrent alors violemment au dehors. L'un d'eux l'avait prise au coude et la secouait avec rudesse, tandis que l'autre la tenait fermement aux épaules en la couvrant d'insultes:

- Vas-tu avancer, catin, maudite ribaude ! Allons, marche, ou je vas te faire danser !

La Rose eut beau supplier, se débattre et tenter de crier, elle fut emmenée de force par ces deux brigands qui, afin de l'empêcher d'ameuter un éventuel voisin, l'eurent promptement bâillonnée d'une étoffe grossière, à l'odeur infecte. Ils la traînèrent par les cheveux, l'obligeant à courir à leur suite, tandis qu'elle perdait ses petites pantoufles brodées. Ses pieds délicats, ses chevilles fines, ses bas immaculés furent tout couverts de sang et de boue en quelques enjambées. Comme elle tardait trop à leur obéir, le plus grand des deux la gifla à toute volée, puis, la soulevant de terre comme il l'eût fait d'un vulgaire paquet de hardes, la jeta sans ménagement en travers de la selle de son complice. Ils éperonnèrent leurs montures et partirent au grand galop dans la forêt, avant que La Rose, à moitié morte de peur, ne sombrât dans l'inconscience.



Episode deuxième : La Rose et Le Chevalier


Lorsque la pauvre enfant revint à elle, le jour s'était couché. Les deux brigands s'étaient installés dans une futaie dense, adossée à une falaise escarpée, dont le flanc présentait une large fissure de trois à quatre pieds de haut. C'est là, à l'intérieur de cet antre rocheux nauséabond, obscur et glacial, qu'ils avaient jeté La Rose. Ils lui avaient solidement lié les mains d'une corde, dont l'extrémité avait été nouée à une racine épaisse et noire, et qui sortait de terre à cet endroit de la grotte. La Rose tenta de se redresser, mais les forces lui manquèrent et elle retomba assise, les bras levés au-dessus de la tête et les cheveux défaits, toute tremblante de froid et de terreur. Sans l'appui de ses mains, il était impossible qu'elle pût se remettre debout, ni même qu'elle tentât de défaire les liens qui lui déchiraient les poignets. Des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux, tandis qu'elle se tordait vainement, et que la corde lui entamait la chair jusqu'au sang. Au dehors de la caverne, les deux complices tenaient conseil :

- Et moi, je te dis qu'il ne faut point la gâter. C'est un trésor, que cette gueuse-là : ça n'a point travaillé aux champs, la figure est charmante et les dents de la nacre la plus pure. Nous pourrions en tirer plus de cinq cents louis, auprès du Comte.

- Mais Foutre Dieu ! Puisque nous n'y toucherons point, à ton maudit temple ! Il suffit de nous contenter du sentier le plus étroit, le Comte n'y verra point de flétrissure. Le temps que nous terminions notre route, l'outrage aura entièrement disparu et le bouton sera de nouveau chaste et rose…

- Ah ! Vieux débauché ! Je connais tes goûts contre-nature et je te défends bien d'approcher de cette ribaude. Bâtis comme te voilà, je doute fort qu'elle guérisse jamais des assauts de ton bélier.

- Eh quoi ! Tu serais donc honnête, scélérat ? Tu aurais promptement réduit le tout en poudre, toi aussi, s'il fallait laisser libre cours à ton vice.

Ce disant, les deux brigands s'étaient singulièrement échauffés et leurs propos, que La Rose craignait trop de comprendre, finirent en de monstrueux blasphèmes. Finalement, excédés par la fièvre qui leur allumait les sens, ils s'entendirent sur l'action qu'il convenait de mener. Le plus vieux prendrait l'objet de sa convoitise, laissant au plus jeune sa part du marché qui serait conclu avec le mystérieux Comte, auquel La Rose était destinée. Ils entrèrent dans la caverne, où La Rose sanglotait en silence.

- Voyons donc, friponne, si tu peux assouvir d'autres passions que celles de ta religion imbécile !

- Messieurs, pitié ! N'abusez point de mon état, je vous en conjure. Que votre cœur, que votre bonté se laissent fléchir à mes larmes, à mon désespoir… Ah ! Messieurs, je mourrai de honte !

- Tu crierais à t'en crever la gorge que nous n'en fléchirions point. Allons, prête-toi de bonne grâce ou nous te rosserons, maudite gueuse …

A ces mots, le plus vieux l'empoigna aux hanches et, tandis que le jeune lui arrachait ses jupes et son corsage avec fureur, il l'attira entre ses jambes et l'écrasa à moitié sur le sol. La Rose, qui hurlait, sentit avec horreur que ce monstre tentait de s'introduire entre ses cuisses serrées, en dardant un pieu gigantesque, qui se pressait à l'autel délicat de ses reins. Plus elle se débattait, plus l'infâme s'engageait en grognant, s'agitant à son tour, afin que son assaut pénètrât la malheureuse. Le comparse avait entrepris de lui maintenir les jambes dans un écartement considérable, en lui maintenant les chevilles au sol. Malgré ses ruades, La Rose se voyait perdue, déshonorée, à jamais livrée aux remords et à la honte. Au moment précis où le membre gigantesque s'apprêtait à la souiller, un rugissement de fauve retentit sous les voûtes de la grotte.

- Arrière ! Arrière ! Barbares ! Scélérats ! hurla un jeune homme en se jetant sur les brigands.

Une bataille terrible s'ensuivit, au cours de laquelle le courageux gentilhomme se défendit seul et sans arme contre les deux brigands. A maintes reprises, il sembla que le sauveur serait vaincu par la ruse et la méchanceté des hommes du Comte. Mais, malgré leurs attaques, malgré leur rage, ils ne parvinrent seulement pas à s'approcher du brave samaritain, qui risquait sa vie pour la vertu de La Rose. Il se comporta avec une témérité remarquable, et eut tôt fait de mettre en fuite ses adversaires. Puis, il s'approcha de La Rose, qui gémissait faiblement, à moitié nue, abandonnée, les vêtements déchirés, et dont les charmes et la fraîcheur paraissaient encore plus piquants, dans la détresse où elle se trouvait. Il ôta son ample cape et la posa sur les épaules de la misérable enfant, dont il trancha les liens d'un coup d'épée. La Rose se précipita aux pieds de son bienfaiteur, qu'elle inonda de ses larmes.

- Mademoiselle, dit le gentilhomme, mon nom est Camille de la Vertu, Chevalier de l'Ordre de Saint-Loup, et votre humble serviteur.

- Ah ! Monsieur ! s'écria La Rose, comment pourrais-je jamais vous remercier ? Sans vous, j'étais perdue, souillée, morte sans doute ! Souffrez que je vous offre mon éternelle reconnaissance, et mon amitié la plus vive et la plus sincère .

- Chère Mademoiselle, j'en serais très heureux. Soyons amis, si vous le désirez. Mais comment êtes-vous tombée aux mains de ces hommes cruels ? Vous devez avoir une famille, des parents ?

- Hélas, Monsieur le Chevalier, je ne suis qu'une pauvre orpheline. Et mon tuteur, l'Abbé des Epines, doit être, en ce moment-même, dans la plus violente inquiétude à mon sujet. Ces deux assassins m'ont enlevée de mon foyer ce matin, alors que je me trouvais seule. J'ignore à quel dessein, et je n'ai qu'un souhait : quitter à l'instant cette forêt affreuse et regagner mon village.

- Puis-je au moins savoir votre nom, ma chère demoiselle ?

- Je me nomme La Rose.

- C'est ravissant, murmura le Chevalier d'un air songeur.

- Monsieur le Chevalier, de grâce, aidez-moi. Je suis perdue et n'ai aucun moyen de parcourir seule les sentiers de cette effrayante forêt. Quel parti prendre ? Quel chemin choisir ? A qui m'adresser ? Que vais-je devenir ?

- Mademoiselle La Rose… commença le jeune homme.

- Oui, Monsieur le Chevalier ?

- Mademoiselle La Rose, je ne puis répondre à vos questions.

- Mais pourquoi ? s'exclama-t-elle

- C'est que j'ignore la suite de votre histoire, et qu'il m'est donc impossible d'arrêter pour vous une décision…

- Hélas, Monsieur le Chevalier… commença La Rose d'une voix tremblante, car son bienfaiteur ne laissait point de la troubler.

- Oui, Mademoiselle ?

Le Chevalier s'était approché d'elle, et ses manières, son regard attentionné, toute sa personne enfin, trahissaient sans équivoque les tendres sentiments qui étreignaient son cœur.

- Hélas, Monsieur le Chevalier, quelle pourrait être l'histoire d'une pauvre orpheline telle que moi ? fit vivement La Rose en s'éloignant de lui. Je n'ai point de bien, ni de naissance ; c'est sans doute un bienfait du Ciel que d'avoir reçu les soins de mon tuteur. Je ne désire qu'une seule chose : demeurer bonne et vertueuse, et servir humblement mon Père adoptif jusqu'à ses vieux jours. Ensuite, ma foi, c'est au sein de quelque couvent que j'irai finir ma vie, afin de me rapprocher encore de Dieu, qui, dans Son infinie bonté, ne tardera sans doute pas à me rappeler auprès de Lui.

- Vos paroles sont empreintes de sagesse et de religion, Mademoiselle, soupira le Chevalier en aidant La Rose à se remettre debout et à rajuster sa robe froissée.

- Et les vôtres, Monsieur, de la plus infinie délicatesse, murmura tristement La Rose.

- Souffrez que je vous conduise non loin d'ici, en une abbaye où l'on vous offrira le gîte et le couvert, en attendant que votre tuteur, prévenu par mes soins de votre infortune, ne vienne vous y chercher.

- Merci, Monsieur le Chevalier, pour la pitié que vous avez de moi et votre immense bonté.







© Copyright
Miriam Blaylock Tous droits réservés.Toute reproduction du contenu ou des oeuvres de ce site,
en tout ou en partie, est strictement interdite sans l'autorisation écrite de l'auteur.