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Contes érotiques
Écrit par Miriam   
Il était une fois, quelque part dans un Royaume très reculé, un Prince pas trop moche de sa personne et relativement à l'aise. Ce n'était pas entièrement l'opulence - loin s'en faut - mais dans les grandes lignes il s'en tirait pas trop mal.

Au caractère, c'était tout à fait le type du Monarque de Droit Divin Incontestable : pas vraiment diplômé, pas vraiment éduqué et avec une fâcheuse propension à contourner tout ce qui exigeait de lui de l'effort ou de l'ouverture d'esprit. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que c'était un gros beauf particulièrement lourdingue; mais il faut bien avouer que ça lui collait pas trop mal, comme définition.

Toujours est-il qu'avec son statut de Prince, il avait une marge de manœuvre assez importante et qu'il ne se privait pas d'en faire usage; aussi voyageait-il beaucoup, principalement pour séjourner à des milliers de lieues de chez lui. D'abord, ça lui permettait d'en prendre bien à son aise avec les us et coutumes vachement contraignants qu'il devait respecter dans son Palais. Mais, surtout, il adorait se poser crânement-là comme attraction interculturelle indispensable, chez des énarques pleins aux as - et trop heureux d'infirmer, grâce à lui, leur statut de sales-égoïstes-planqués-dans-leur-tour-d'ivoire-écucratique. Et pourtant, « Sic transit gloria mundi »; comme dirait ma mémé. Mais bref.

Pour compléter ce portrait déjà peu flatteur, je me dois d'en rajouter une couche encore moins glorieuse, cependant. Le Prince était en effet d'un machisme épouvantable et considérait, peu ou prou, que toutes les femmes étaient d'immondes tas de merde. Que je précise : n'allez pas en conclure qu'il était homo pour la cause - faut pas faire d'amalgame débile, non plus.

Simplement, à ses yeux, ne pas avoir de queue entre les jambes équivalait à une sorte de tare congénitale incurable; « congénitale » au sens textuel, si vous me permettez l'expression. Les femmes, claironnait-il, n'étaient que des charognes infidèles, des pompes à fric, des sacs à foutre, des connes finies, des râleuses perpétuelles et des vicieuses nées. Il faut bien reconnaître que les mettre toutes dans le même ensemble de Venn, en excluant les mecs selon un truisme infiniment suspect, c'était aller un peu vite en besogne. Mais le Prince ne s'embarrassait pas de nuances mathématiques ou linguistiques aussi complexes; d'ailleurs il n'avait pas la moindre idée de ce qu'étaient un ensemble de Venn ou un truisme.

On pourrait se demander, très légitimement, comment il tirait son coup, dans ces conditions. Et bien c'est très simple : il s'en sortait sans aucun problème. Fidèle à la tradition commerciale tout à fait légale en son Royaume, il allait chez les putes; montait; payait; se mariait, avec plusieurs michetonneuses à la fois, si tel était son bon plaisir du moment; baisait; divorçait et finalement se barrait sans dire au-revoir.

« Mais agir ainsi, ce serait dégueulasse », pourriez-vous hasarder, au conditionnel présent. Il faudrait alors que je vous répondisse, toujours au conditionnel présent; et que je précisasse le fond de ma pensée, en marchant [ou pas] sur des œufs... si j'osais. Mais pourquoi prendrais-je le terrible risque de m'exprimer librement sur un sujet pareil ? Dès lors, je me contente de la fermer bien docilement et de m'en tenir au « no comment » de circonstance. Revenons-en à notre Prince.

À ce train-là, on s'en doute, il y avait un hic de taille : pas question d'avoir une descendance. Épouser une pute, la baiser puis la répudier, soit. Mais la mettre en cloque, alors là, pas question ! Parce que les héritiers, quand on est un Prince, c'est rigoureusement indispensable d'en être le père biologique avec certitude, si on veut éviter de se faire souffler la place par un rival ambitieux. Les Ministres du Prince, ainsi que son peuple, le poussaient donc avec insistance à prendre une épouse (jeune et vierge, comme il se doit) et à lui faire des mômes - mâles de préférence, cela va sans dire.

Mais quand on a pris goût aux gâteries tarifées des quartiers chauds - et surtout à la plastique irréprochable de certaines professionnelles - on peut éprouver un certain manque d'enthousiasme à l'idée de se voir catapulté pater familias du jour au lendemain. Le Prince traînait donc des pieds; il rabrouait vertement ses Ministres; il allumait son barbecue avec les suppliques de son peuple; et il continuait tranquillement de mener grand train sur les deniers publics.

Or, un jour qu'une délégation officielle du Marquisat des Eaux et Forêts était en visite d'affaires, il advint qu'une espèce de Ligue de Protection des Valeurs Traditionnelles réussit à se faufiler jusqu'à la salle du trône, avec à sa tête un assistant social particulièrement prolixe. Ces défenseurs acharnés de l'Ordre Moral avaient préparé une harangue très édifiante à l'intention du Prince, afin de le convaincre une bonne fois pour toutes des indispensables vertus du Saint Mariage. Le Prince se retrouva coincé : il aurait grillé sa réputation, s'il avait fait foutre ces guignols dehors sans autre forme de procès, alors que les yeux des banquiers et des investisseurs étrangers étaient fixés sur lui. Il affecta donc un sourire à la Maggie Thatcher et s'assit dignement, puis il feignit de se délecter du laïus soporifique qui lui était adressé.

Je vous passe les trois heures trente de poncifs qu'ils durent se farcir, lui et les malheureux invités. Toujours est-il que, au moment de donner une réponse, le Prince prit une voix mielleuse et contrite avant de déclarer :

- Chers Sujets, nous sommes très touché de l'intérêt que vous portez aux affaires de notre Royaume. Nous aurions vraiment aimé nous marier, comme vous nous le conseillez depuis si longtemps; d'ailleurs ce n'est pas faute de chercher une femme digne de notre royale personne. Mais regardez attentivement toutes les jeunes filles autour de nous : tant qu'elles sont bien tenues à la maison par leur père, y a pas de lézard. Pourtant, dès qu'on leur a trouvé un mari, ça ne traîne pas, hein ! Il y a les frigides, qui pendent la tronche à longueur de journée. Puis les va-de-la-gueule, qui vous cocufient dès que vous avez le dos tourné. Et celles qui ont des diplômes - ce sont les pires - et croient que ça les rend supérieures; elles en deviennent snobs comme des poux. Ne parlons pas des feignasses qui bouffent comme quatre et n'en touchent pas une, avachies toute la journée devant la télé; en moins de deux mois, elles passent du profil de gazelle à celui d'hippopotame : bonjour le spectacle au pieu ! Au final, la seule chose qu'elles aient toutes en commun, c'est qu'elles veulent toujours régenter leur monde, au lieu de rester à leur place et de s'occuper de leurs casseroles. Pourtant, vous le savez comme nous, dans la vie, c'est à l'homme de commander. Donc si vous voulez que nous nous mariions, c'est simple : trouvez-nous une jeune vierge très belle et très mince, blonde, avec une grosse poitrine, de longues jambes et un beau petit cul bien ferme; une qui ne râle pas, ne demande jamais de fric, soit toute contente de faire notre lessive et notre ménage, reste toujours soumise au plumard, nous suive sans discuter partout où nous irons, respecte à la lettre le moindre de nos ordres et, surtout, nous fasse des fils sans devenir une grosse vache obèse. Voilà. Quand vous nous l'amènerez sur un plateau, nous consentirons à l'épouser.

Je vous l'ai dit dans l'introduction, le Prince, c'était un mec assez limite, en réalité. Les membres de la délégation d'investisseurs, une fois qu'il eut fini de parler, s'entre-regardèrent avec une tête d'enterrement. Ils étaient drôlement choqués, mais eux aussi s'en tinrent prudemment à un « no comment » très neutre. C'était ça ou louper des marchés très juteux. Le choix fut vite fait, on s'en doute.

Seulement dans le tas, il y avait un interprète, le plus jeune, qui garda la déclaration du Prince en travers de la gorge pendant tout le dîner de gala. Il faut que j'explique que le jeune interprète était un pro-féministe convaincu, marié à une magnifique salope multi-diplômée; c'était SA magnifique salope adorée, qui gagnait trois fois son salaire, changeait seule ses pneus crevés et lui taillait des pipes interminables, pour le simple plaisir d'avaler son foutre au saut du lit. Il aimait sa femme de tout son cœur et elle lui manquait terriblement; les monstruosités qu'il venait d'entendre, contraint et forcé, n'avaient fait qu'attiser sa rancœur d'être séparé d'elle. Il fit donc de cette histoire de mariage royal une affaire très personnelle et se promit de venger la gent féminine de l'infecte misogynie du Prince, même s'il ignorait encore par quel moyen.

Dans ce but fort louable, Léon-Jozef (c'était le nom du jeune interprète) fit des pieds et des mains pour que son chef convie le Prince au Marquisat des Eaux et Forêts. Il argua que ce serait excellent pour l'économie locale, vu que le Prince était très dépensier, et qu'en plus cela donnerait un vernis très politiquement correct à la stratégie de Relations Internationales mise en place par le Gouvernement. Il insista tant, que, pour finir, le chef se laissa convaincre.

Quelques jours plus tard, le jeune interprète et ses collègues furent ravis de rentrer chez eux, en business classe tout confort. Dès l'avion posé, Léon-Jozef se hâta de sortir de la zone de transit et eut l'excellente surprise d'apercevoir, à la sortie des douanes, sa splendide salope de femme qui l'attendait en trépignant. Elle était vêtue d'une robe porte-feuille de gabardine noire la moulant comme une seconde peau, et chaussée d'une improbable paire de gros sabots de cuir ajouré, qui mettaient parfaitement en valeur la finesse de son coup de pied et le galbe affolant de ses jambes. Léon-Jozef en fut tout retourné, comme d'habitude. Elle avait le chic pour lui congestionner la queue.

- Nom d'une pine, Eva ! Chuchota-t-il, très gêné, en la rejoignant. C'est quoi, ces chaussures ? J'ai une de ces gaules, c'est malin...

Elle rit innocemment, ravie de son effet, et enlaça son mari devant tout le monde, en lui guidant les mains jusqu'à sa croupe, ce qui permit à Léon-Jozef de constater qu'elle ne portait une fois de plus rien sous sa robe - il n'osa plus s'écarter d'elle, tant son érection devint forte.

- Tu me dis toujours que tu me vois venir de loin, avec mes gros sabots. Ben voilà, je les ai mis, spécialement en ton honneur. Je me suis dit que ça flatterait le gros pervers qui ne sommeille pas en toi... Répondit-elle d'un air amoureusement blagueur.

- Ah ! Eva ! Mon Eva ! Gémit Léon-Jozef en la serrant très fort dans ses bras. Il était si bouleversé de la revoir qu'il en aurait pleuré.

Elle s'abandonna tout à fait contre lui et caressa très tendrement sa nuque.

- Toi aussi, tu m'as terriblement manqué, tu sais... Viens vite, on rentre. J'ai trop envie de toi; si ça continue, mes sabots seront bientôt trempés, rit-elle en saisissant Léon-Jozef par la main et en courant vers la sortie.

Une fois dans la voiture, pourtant, ils se mirent à s'embrasser goulûment sans réussir à démarrer. Léon-Jozef, hors de lui, tenta vainement de se calmer, en pensant que leur étreinte était filmée par les caméras de sécurité du parking. Mais ce dernier argument ne l'aida pas à se reprendre, bien au contraire ! Eva, la robe entièrement déboutonnée, s'était assise sur les genoux de Léon-Jozef en lui tournant le dos, après avoir avait fait glisser son pantalon et son slip sur ses mollets. Elle lui avait offert ses seins, menus, fermes et frais; il en agaçait délicatement les pointes, qui bandaient aussi dur que lui.

- Mon amour, mon amour... Murmura Eva dans un souffle. Tu m'as tant manqué... tant manqué...

Elle se pencha, ouvrit la boîte à gants et y pêcha un tube de lubrifiant. Léon-Jozef secoua la tête, tout paniqué.

- Eva ! Non ! Il y a des caméras partout !

Elle le musela d'un baiser, tout en s'enduisant copieusement la raie culière de gel glacé, ce qui la fit sursauter, et puis rire. Le cœur et la queue de Léon-Jozef débordaient d'amour pour elle. Ensuite, Eva saisit la verge de son mari, qui tanguait de gauche à droite, au bord de l'apoplexie, et la cala avec mille précautions dans le sillon de son cul. En s'aidant de ses cuisses, qu'elle avait très musclées, elle se mit à le branler entre ses fesses, qui tiédissaient à mesure que son gland congestionné en parcourait les replis visqueux. Léon-Jozef se retrouva presque dans les vapes, tant elle l'excitait.

- Alors raconte, c'était comment, ce voyage ? Demanda-t-elle avec espièglerie, tandis qu'elle commençait à se masturber de la main gauche.

Léon-Jozef, tout à sa « cravate d'interprète » improvisée, chercha un peu d'air. La base de sa queue, couverte de lubrifiant, entra en contact avec le bout des doigts d'Eva, qui ondulait comme une couleuvre. Cela le foudroya sur son siège.

- Tu me rends dingue, Eva... oh... Eva ! Gémit-il faiblement.

- Raconte, raconte, mon amour... parle-moi, je t'en prie, parle-moi, haleta Eva, qui semblait sur le point de jouir, elle aussi.

Mais il n'eut ni le temps de répondre ni celui de raconter : brusquement, un vertige blanc lui envahit le ventre; il sentit l'orgasme l'aspirer hors de l'habitacle comme un vortex; un froid intense se concentra à la racine de sa queue; puis il éjacula en jouissant de toutes ses forces, tandis qu'Eva, qui l'avait attendu, le rejoignait en criant. Ils restèrent un long moment imbriqués l'un dans l'autre, à savourer le foutre qui coulait lentement le long des fesses d'Eva; puis ils se séparèrent; Léon-Jozef essuya délicatement son Eva et elle vint se blottir affectueusement contre sa poitrine.

- Tu sais, c'était l'horreur, ce job, commença-t-il, en se remémorant soudain le Prince.

- Vraiment ? Quel dommage ! Et pourquoi, dis-moi ?

- Ben c'est ce Prince à la Mords-Moi-Le-Nœud, un véritable taré ! Si tu savais ce qu'il a raconté, un soir...

- Vas-y mon amour, crache le morceau. Je vois bien que tu en as gros sur la patate.

Léon-Jozef, qui adorait autant sa femme pour sa libido pleine de fantaisie que pour sa gentillesse et sa générosité, lui conta aussitôt par le menu l'épisode du discours ultra machiste du Prince. Eva, tout d'abord, rit à s'en décrocher la mâchoire. Puis, peu à peu, elle se rembrunit, jusqu'à devenir très sombre. Lorsque son mari eut terminé, elle resta quelques moments silencieuse. Soudain, s'éclaircissant la gorge, elle lui planta son regard pétillant de malice dans les yeux.

- C'est un taré, aucun doute, commença-t-elle, mais à taré, taré et demi...

- Je te demande pardon ?

- Ben, il veut une femme, c'est bien ça ?

- Euh... oui, c'est ce qu'il dit. Mais espérons qu'il ne la trouve jamais : la pauvre, tu imagines ?

- Ah, ah, ah ! Et comment, que j'imagine ! J'ai même la candidate idéale !

- Hein ! Quoi ?! Mais qui ça ?

- Chibrelda.

- Qui ? C'est qui ça, Chibrelda ? Je la connais ?

- Tu ne te souviens pas, la soirée branding chez Patrick, où j'ai fait marquer lachose au fer rouge ?

- Si, mais je ne vois pas le rapport.

- Ben Chibrelda, c'était la soubrette.

- Quoi, la trans avec ses cheveux rouges ?

- Mais non... Ha ha ha, gros farceur, va ! Chibrelda, la grande blonde aux yeux bleus, toute mince; tu sais bien, avec une paire de nichons magnifiques...

- Ouiiiiii, je me souviens. Mais justement ! Il aurait trop beau jeu, avec elle, ce gros plouc.

- Que tu crois, mon amour. Je la connais bien, moi, Chibrelda. Ce n'est pas un hasard, si elle est continuellement célibataire. Celui qui la domptera n'est pas encore né.

- Tu plaisantes ?

- Pas du tout ! Je t'assure qu'avec Chibrelda dans les pattes, il va en voir de toutes les couleurs, ton Prince de la Mords-Moi-Le-Nœud.

Léon-Jozef réfléchit quelques secondes : il était assez sceptique. Puis, s'étant convaincu qu'Eva avait sans doute raison, son visage s'éclaira d'un large sourire.

- Mon Eva, ma Salope Adorée, je t'aime ! Tu es la pire garce que j'aie jamais rencontrée, tu sais.

Elle opina très fièrement.

- Oui, je sais ! Et moi aussi, je t'aime. Allez, hop ! En avant la musique ! On a un mariage à comploter, toi et moi.

Avec de tels pervers aux commandes, inutile de dire que la machination fut sur pied en moins de deux. Léon-Jozef, qui avait mis une « copine » des Affaires Étrangères dans le coup, lui demanda d'embaucher Chibrelda comme serveuse lors de la soirée de réception officielle du Prince, en lui recommandant de faire l'impossible pour magouiller un contact quelconque, fût-il fortuit, entre l'Altesse et la fille de salle. Ces ruses, toutefois, furent bien inutiles. Le Destin allait une fois de plus prouver qu'il sait châtier les tarés à la Mords-Moi-Le-Nœud, et que l'heure de payer l'addition finit toujours par arriver, même pour les Princes.

Le jour de la réception, Chibrelda se fit toute belle, enfila son uniforme en suant de trac et enfourcha sa mobylette pour se rendre à l'Ambassade. Elle n'avait pas dépassé le coin de la rue que, brusquement, un gros imbécile en limousine lui grilla la priorité. Chibrelda se prit une rangée de poubelles - ce qui lui sauva la vie, en amortissant providentiellement sa chute. La limousine s'arrêta et un homme très énervé en sortit, qui gueulait comme un putois et se mit à l'insulter copieusement :

- Mais quelle triple connasse ! Tu peux pas faire attention, pauvre débile ?! Et j'ai un phare pété, en plus ! Sors de là, on fait un constat ! Tu vas voir ce que ça va te coûter, sale truie !

Chibrelda, encore sous le choc, écouta l'homme qui hurlait en tremblant de panique. Puis, comme il s'était tu, elle rampa hors des poubelles et, dans son pauvre uniforme tout lacéré, elle leva vers lui son regard de biche aux abois :

- Je vous en supplie, Monsieur, pardonnez-moi ! Je paierai tout, je ferai le constat, je réparerai votre phare, je laverai la voiture, je rangerai les poubelles... je suis si nulle, si nuuulle...

Le Prince (car c'était lui, dans la limousine, on l'aura deviné), la considéra avec une stupeur fort plaisante à regarder. Il n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles : à ses pieds, une espèce de créature de rêve se confondait en excuses, sans se soucier le moins du monde de sa mobylette bonne pour la casse ni de ses vêtements en lambeaux. Il la détailla attentivement : son visage de poupée, aux lèvres pulpeuses; ses yeux d'un bleu opalescent; ses longs cheveux bouclés, d'un blond lumineux, qui lui descendaient jusqu'à la taille; ses jambes interminables; sa poitrine opulente et ferme à la fois; ses petites fesses potelées, moulées dans une ravissante culotte blanche, qui apparaissait par une large déchirure de sa jupe; et enfin sa voix douce et résignée, qui résonnait dans le crépuscule comme la plus merveilleuse des musiques. Il n'en fallut pas plus : le Prince en tomba éperdument amoureux dans la seconde.

Chibrelda, cependant, avait déjà commencé à rassembler les ordures à pleines mains, et elle mettait ses bas en charpie pour refermer les sacs éventrés par sa mobylette. Le Prince la saisit par le bras et la remit debout sans ménagement :

- Allez, lève-toi, pauvre tache, je m'en fous, moi, des poubelles. Regarde un peu ma veste : elle est dégueulasse maintenant, à cause de toi. T'as un mouchoir ?

Chibrelda secoua la tête avec désespoir.

- Non, Monsieur, je n'ai pas de mouchoir, Monsieur... Mais si Monsieur le permet, j'irai chercher une serviette chez moi pour Monsieur; c'est là haut, dans cet immeuble, Monsieur...

Le Prince sentit un vertige s'emparer de lui. Il ne pouvait croire qu'une telle femme existât : ce devait être une caméra cachée ou un complot des paparazzis. Toutefois, ayant scruté les alentours avec une méfiance paranoïaque, il emboîta le pas à la jeune fille, qui clopina obséquieusement devant lui, tête baissée, épaules voûtées et mains dans le dos.

Dans le minuscule studio de Chibrelda, il y avait à peine assez d'espace pour deux. La misère de la jeune fille était criante : elle ne possédait qu'un lit, une chaise, une table et une étagère métallique, qui lui servait à la fois d'armoire de cuisine et de garde-robe. Le Prince, lorsqu'il se vit à ses côtés dans ce décor minable, éprouva un tel sentiment de supériorité qu'il faillit en tomber dans les pommes. Chibrelda prit sa plus belle serviette; la seule qu'elle possédât qui soit plus ou moins neuve, et commença aussitôt à nettoyer la veste du Prince, à genoux sur le sol, tandis qu'il s'était assis sur le lit, en mettant ses pieds sur la table.

- Allez, ça suffit comme ça ! Écris-moi ton nom et ton adresse sur un morceau de papier, je t'enverrai le constat par la poste. Je suis en retard, j'ai pas que ça à foutre, non plus.

Chibrelda s'exécuta immédiatement, non sans le remercier avec des larmes de joie :

- Merci infiniment, Monsieur; je ne suis pas digne de vos bontés, Monsieur; mais je suis à vos ordres, Monsieur, dès que Monsieur aura besoin de moi.

Le Prince la planta dans sa chambrette pourrie et se rendit tout fier à sa réception, où il parada toute la nuit comme un coq de basse-cour.

Le lendemain, pourtant, ce fut nettement moins folichon. Le Prince, envoûté, ne cessa de repenser à cette blonde magnifique qui s'était spontanément mise à genoux devant lui et il fut pris d'une crise de mélancolie fort désagréable.

D'une part, il doutait profondément qu'une telle attitude soit sincère : honnêtement, quelle femme serait assez parfaite pour être née aussi obéissante et aussi humble ? Ce devait être une mise en scène machiavélique, il en était pratiquement sûr : cette petite pétasse devait savoir qui il était et lui jouait la comédie, dans le but évident de l'entuber.

D'un autre côté, il était tellement remué par ce qu'il venait de vivre, dans les tripes et dans les couilles, qu'il mourrait de peur à l'idée de manquer le coup du siècle. Qu'un autre que lui découvre cette petite merveille et aille la lui piquer avant qu'il ait pu se l'approprier, imaginez un peu...

Il se décida donc à entrer les coordonnées de Chibrelda dans son GPS et à rester en contact avec elle par e-mails interposés, histoire de la tester un peu et de voir ce qu'elle avait dans le ventre. Il s'aperçut bien vite qu'elle ne simulait absolument pas : quelle que soit la demande, quelle que soit l'heure, quelles que soient les circonstances, Chibrelda lui obéissait infailliblement au doigt et à l'œil. Mieux : plus il était infect, plus elle était charmante avec lui; volant au devant de ses moindres désirs; essuyant les engueulades comme s'il se fut agi de roses et de diamants; se laissant patiemment insulter, humilier et même coller des baffes avec une joie égale. Le Prince n'en revenait pas.

Au bout de quelques mois de ce petit manège, il écrivit à Chibrelda qu'il allait épouser la Princesse de ses rêves; et qu'il faudrait qu'elle soit à la noce pour servir de dame-pipi dans les waters du personnel. Chibrelda, se confondit en remerciements, lui proposa de lui envoyer un chèque, pour le dédommager de la peine qu'il prenait à l'employer dans d'aussi hautes fonctions, et vendit son lit afin d'acheter un cadeau de mariage au futur couple.

On en était à ce point, lorsque, le jour des noces, le Prince débarqua chez elle avec sa limousine, en grand uniforme d'apparat, et accompagné de toute sa suite. Qu'on se figure la stupeur de Chibrelda lorsqu'il lui annonça que c'est elle qu'il allait prendre pour femme; et qu'il ajouta d'un ton cassant :

- Allez, change-toi en vitesse; je ne peux pas t'épouser sapée comme te voilà; avec ta dégaine de clocharde et ta tronche de raton-laveur.

Chibrelda lui baisa passionnément les orteils et se laissa sagement malmener par les Dames d'Honneur, vertes de jalousie qu'une vulgaire prolo leur souffle une place aussi « enviable » (financièrement parlant, tout du moins).

Lorsqu'ils furent rendus au Palais, qu'ils rejoignirent dans le jet privé du Prince, Chibrelda tomba des nues. Partout, ce n'étaient qu'ors et que pierreries; le long du parcours, des tribunes noires de monde se dressaient, couvertes de brocard; le peuple, hystérique, scandait le prénom du Prince à s'en crever la gorge; d'innombrables spectacles multimédia, mis en scène par le gratin d'Hollywood, transfiguraient chaque monument en Ode au Prince et à sa Gloire; Prince qui n'avait d'ailleurs pas hésité à commander spécialement un Opéra à la Scala de Milan, célébrant en dix actes l'infinie perfection de sa personne. Bref, c'était du grand n'importe quoi.

Chibrelda crut d'abord que le Prince se foutait légitimement de sa gueule, et le supplia de ne pas se couvrir de ridicule à seule fin de lui faire l'honneur de l'humilier aux yeux de tous. Mais le Prince, qui commençait tout doucement à ne plus pouvoir se tenir, tant il avait envie de baiser ce morceau de premier choix, lui ordonna de se taire et de se plier à ce qu'il exigeait d'elle :

- Je veux que tu sois ma femme. Et tu seras ma femme. Un point, c'est tout. Tu n'as rien à dire, de toute façon. Tu la fermes, tu m'obéis et tu fais toutes mes volontés : c'est ça ou je te fais foutre en tôle jusqu'à la fin de tes jours. Pigé ?

Chibrehelda, qui n'était pas moins excitée que le Prince, au fond, mais qui avait l'habitude de se retenir bien mieux que lui, se précipita à ses genoux et le remercia d'une voix mourante :

- Oui, Monsieur ! Merci, Monsieur !

- Et encore une chose, grosse connasse : désormais tu m'appelles Votre Altesse.

Elle hocha la tête avec véhémence.

- Oh Oui ! Votre Altesse ! Je Vous remercie de toute mon âme, Votre Altesse !

Totalement aveuglé par son délire de grand maniaque égocentrique, le Prince se frotta joyeusement les mains et fit expédier la cérémonie à la six-quatre-deux. Ensuite, après avoir délibérément renversé son cocktail aux fruits rouges sur la robe de mariée de Chibrelda, il lui reprocha de n'être qu'une souillon de bas-étage et la traîna dans la salle de bal, où il l'exhiba longuement à toutes les personnes présentes, en se plaignant qu'il lui faudrait des années pour décrotter une telle débile mentale.

Chibrelda supporta tout, comme à son habitude; mais à la différence près que, depuis qu'elle appartenait pour de bon au Prince, son doux sourire s'était évaporé. Sur son visage devenu lisse, plus aucune émotion ne passait; tout au plus aurait-on pu deviner par moments, sous ses paupières chastement baissées, un éclat très étrange qui s'allumait parfois, et donnait à son regard mi-clos une intensité quasi démoniaque. Mais cela, le Prince ne s'en aperçut pas, trop occupé qu'il était à anticiper la manière dont il allait la sauter par devant et par derrière.

Le moment crucial de la nuit de noces arriva enfin; il était temps, le Prince n'en pouvait plus et il en bavait presque. Une fois dans ses appartements, le Prince se jeta sur Chibrelda, lui arracha son voile, sa robe, ses sous-vêtements et ses bas et, l'ayant enfourchée sur le lit, il pénétra en elle avec brutalité inouïe, et se mit à la piner avec fureur, en la traitant de tous les noms :

- Espèce de pute, salope, chienne ! Tu aimes ça, hein, avoue ! Tu aimes te faire fourrer la chatte par une grosse bite bien raide, hein !

Chibrelda, écartelée, répondit d'une voix que les coups de butoir du Prince faisait chevroter :

- Oooh-ooh-ooh... ou-oui-iii, Voo-oo-tre Aaa-aalt-ee-teeesse ! Mee-eer-cii-ii, Voo-ootre A-a-aaalt-eees-see.

Pour le Prince, ce fut le coup de grâce, si je puis dire : la passivité résignée de Chibrelda, conjuguée à la longue attente qu'il venait d'endurer et au plaisir fulgurant qu'il éprouvait à prendre possession d'elle, achevèrent de lui tourner les sens et il jouit en moins de dix secondes, avec des hululements de hibou. Après quoi, épuisé, il s'endormit et se mit à ronfler comme un sonneur.

Chibrelda, lorsqu'elle fut sûre qu'il ne s'agissait pas d'un piège destiné à mettre sa disponibilité vaginale à l'épreuve, se leva sans bruit, déshabilla le Prince avec d'infinies précautions, le borda avec toute la délicatesse dont elle était capable et fila prendre une douche et se changer, au cas où il se réveillerait et aurait encore envie de faire usage d'une quelconque partie d'elle. Au bout d'une heure, comprenant que le Prince allait vraisemblablement roupiller jusqu'au matin, elle se glissa discrètement hors de la chambre et disparut dans le couloir.

Au réveil, le lendemain, le Prince eut la surprise de trouver Chibrelda agenouillée à côté de son lit, complètement nue, les mains levées vers lui, le regard baissé, la bouche ouverte et les cuisses écartées. Il se frotta les yeux, croyant être encore en train de rêver. Mais il ne rêvait pas; elle s'avança sur les genoux, afin qu'il pût la toucher sans écarter les draps, et lui murmura d'une voix toute douce et toute docile :

- C'est un honneur de souhaiter le bonjour à Votre Altesse. Si Votre Altesse le désire, la putain de Votre Altesse présentera la bouche, le cul ou la chatte afin que Votre Altesse puisse vider Ses augustes couilles, si tel était le bon plaisir de Votre Altesse. Merci, Votre Altesse.

Le Prince, qui avait un peu la gueule de bois, n'était pas trop d'humeur à « vider ses augustes couilles »,  comme elle le proposait; par contre, il aurait bien été pisser un bon coup. Bizarrement, l'attitude de Chibrelda le contrariait assez : elle en faisait un peu trop à son goût, pensa-t-il avec humeur. Il la renvoya d'un geste sec :

- Pas maintenant, j'ai mal au crâne.

Elle ne bougea pas d'un poil (enfin, pas d'un poil, c'est une façon de parler : elle était en effet entièrement épilée, hormis pour les sourcils et les cheveux).

- Si Votre Altesse permettait à cette immonde putain d'avoir l'immense plaisir de servir de pot-de-chambre à Votre Altesse, pas une goutte de l'auguste pisse de Votre Altesse n'échapperait à la gueule de la fosse d'aisance de Votre Altesse. Merci, Votre Altesse.

- Oh ! Ça suffit maintenant, c'est chiant à la fin, ton truc, hein ! Va plutôt me chercher une aspirine, tu seras gentille. Et s'il-te-plaît, mets-toi un truc sur le dos, pupuce; tu vas choper la mort à te promener comme ça, tout le temps à poil.

Chibrelda, s'étant mise à quatre pattes, partit à toute allure vers la porte en prenant soin de garder le dos très cambré et de tortiller du cul, afin que sa vulve indécente restât parfaitement visible. Sans se retourner, elle murmura respectueusement :

- Oui, Votre Altesse. Tout de suite, Votre Altesse. Merci, Votre Altesse.

Après qu'elle fût sortie, un doute affreux saisit le Prince à la gorge : c'était quoi ce délire idiot ? Il secoua la tête, très agacé, car il venait enfin de comprendre qu'elle ne cessait jamais de jouer ce rôle complètement ridicule - et qui commençait vachement à le gonfler... En conséquence, il se promit de lui donner l'ordre d'arrêter son cinéma et de redevenir normale, puisqu'ils étaient mariés. Il faisait preuve, en se figurant que cela suffirait à la faire changer d'attitude, d'une naïveté pathétique. Évidemment.

On l'aura compris, Chibrelda était une médaillée Olympique du masochisme le plus extrême; elle tenait absolument à son statut de chose servile et ne doutait pas une seconde qu'elle allait désormais être fouettée quotidiennement par son époux, des heures durant; traitée comme une esclave sexuelle à qui il imposerait une discipline inflexible et terriblement contraignante; qu'elle serait en outre continuellement violée par lui; attachée des façons les plus alambiquées; vendue aux enchères lors de Grands-Messes SM ultra select; prostituée à des légions de jeunes Priapes insatiables; soumise enfin, en un mot comme en cent, sous le joug d'un contrat de dix mille pages, rédigé de main de Maître par Son Altesse, afin de lui rappeler constamment sa condition de putain asservie et de chienne offerte. Ne rigolez pas : ça existe.

Lorsqu'elle reparut, portant entre les dents un plateau sur lequel étaient posés un verre d'eau et un comprimé d'aspirine, le Prince se leva et le lui ôta gentiment de la gu... euh... de la bouche.

- Allez, pupuce, s'il-te-plaît arrête ton show, maintenant. Viens t'asseoir là, à côté de moi, on va causer un peu tous les deux, OK ?

Elle se laissa prendre le plateau et installer sur le lit, tout en scrutant le Prince du coin de l'œil.

- Maintenant que nous sommes mariés, tu es une Princesse, tu comprends ? Il faut que tu apprennes à te comporter comme une Princesse, désormais. C'est fini de jouer les serpillières; tu dois être digne, tu dois être fière, tu dois être royale. Je n'ai rien contre si tu restes toute gentille avec moi, mais là, franchement, ça me dégoûte un peu.

Chibrelda n'avait toujours pas levé les yeux et contemplait le tapis. Ses mains gisaient abandonnées, paumes vers le haut, sur ses cuisses qu'elle s'obstinait à garder bien ouvertes. Elle ne répondit rien. Le Prince sentit une sueur froide lui couler le long du dos : il était sincèrement amoureux d'elle et aurait bien eu besoin d'un gros câlin très tendre. Au lieu de quoi, elle se comportait comme s'il n'était rien d'autre qu'une machine à sévices. Il eut soudain l'impression d'être totalement déshumanisé, et ça lui flanqua une telle angoisse qu'il crut qu'il allait dégobiller (à moins que ce ne fût un restant de sa cuite). Il lui prit la main droite, la porta à sa joue, l'embrassa :

- Ma chérie, s'il-te-plaît, regarde-moi... Tu m'en veux, pour hier ? Parce que j'ai bousillé ta jolie robe ? Allez, je t'en prie, parle-moi... Pupuce ? Pupuce !

Mais il eut beau la cajoler, la serrer contre lui, prendre une voix bienveillante, rien n'y fit. Chibrelda était définitivement passée en mode « off »; elle ressemblait à s'y méprendre à une poupée gonflable. Alors le Prince, qui perdait peu à peu son sang-froid, se mit à s'énerver :

- Bon, là, stop... J'ai dit STOP, tu entends ! Je t'interdis de continuer à obéir ! Allez, debout ! Sois toi-même, c'est un ordre !

Chibrelda tressaillit, comme si elle s'éveillait d'un long sommeil. Elle se tourna vers le Prince, lui jeta un très long regard plein de nuances, auquel le Prince ne comprit rien, puis, s'étant mise debout, elle lui fit face et, croisant les bras, elle leva haut le menton. Il n'y avait plus la moindre soumission dans son attitude, constata le Prince; ce qui l'inquiéta et l'excita tout à la fois.

- Je ne comprends pas, commença-t-elle d'un ton infiniment sérieux. Je pensais qu'il fallait que je sois soumise : c'est d'ailleurs ce que j'ai toujours été, depuis le début. Je n'ai jamais fait mystère de qui j'étais ni de comment je vivais. Et maintenant que nous sommes mari et femme, je devrais changer du tout au tout et devenir quelqu'un que je ne suis pas ? Mais au nom de quoi, je voudrais bien le savoir !

- Comment ça, au nom de quoi ?! Mais au nom de ce que tu es ma femme et que tu dois m'obéir, tiens !

Elle se mit à ricaner très cyniquement.

- Ce n'est pas très cohérent, tout ça : je dois cesser d'obéir pour obéir à celui qui veut que je désobéisse en lui obéissant ? Alors là, pardon ! Bonjour l'Ouro-Boros...

- Quoi ?! Mais je m'en fous moi, de ton Oubo-bazar... Je t'ai épousée, j'ai fait de toi une Princesse, c'est quand même pas compliqué, hein ? Tu as une idée du nombre de nanas qui rêveraient d'être à ta place ? Dis ?!

- Pas une, c'est sûr et certain. D'ailleurs, après une nuit de noces pareille, c'est tout vu : elles auraient déjà foutu le camp depuis belle lurette !

Le Prince, à sa grande stupeur, eut soudain terriblement envie d'éclater en sanglots. La froideur glaciale de Chibrelda, qui le tançait comme s'il n'eût été qu'un vulgaire insecte, lui brisait le cœur.

- Pourquoi tu me regardes ainsi ? Gémit-il.

Elle hocha la tête avec fatalisme. Puis, lentement, elle détourna de lui ses yeux de reptile sans âme.

- La faiblesse me fait vomir, répondit-elle avec mépris.

Le Prince prit sa remarque en pleine poire. Jamais aucune femme ne l'avait traité avec une telle cruauté. Et le pire, c'est qu'il aimait celle-là comme un fou. Vaincu, il soupira d'une voix éteinte :

- D'accord, tu seras ma soumise, pupuce. Allez, mets-toi à quatre pattes et viens me sucer.

Elle se plaça aussitôt en position mais, pour le Prince, ce fut une bien piètre pipe : qu'est-ce que la technique, fût-elle excellente, si le cœur n'y est pas ? Lorsqu'il eût renvoyé Chibrelda dans ses appartements de Princesse, il se recoucha et, pendant une heure, il pleura comme un gamin.

Il n'en était pourtant encore qu'au début de son calvaire, hélas ! Chibrelda, qui avait tout de même quinze ans de pratique derrière elle, mine de rien - et, comme on l'a vu, de sacrées dispositions - sortit tout à fait du bois dès le jour suivant. Le quotidien du Prince changea du tout au tout : en effet, la Princesse Chibrelda n'eut de cesse que son époux n'en ait exclu tout élément spontané, pour le remplacer par un cadre SM d'une rigueur absolue. Le cérémonial un peu chiant de la Cour, que le Prince avait longtemps considéré comme le summum de la contrainte, lui apparut soudain comme une fade gnognotte, comparé à la discipline de fer qu'il fallut mettre en place pour que la Princesse fût parfaitement heureuse.

Le Prince, qui était un peu gras du bide et mou du biceps, dut se mettre au régime, faire quotidiennement de la musculation, du cardio-training et de l'hatha-yoga, afin d'assurer pendant les séances, qui étaient longues et exigeaient une condition physique et psychologique irréprochable. Ses rares loisirs, il les consacrait désormais à peaufiner des scenarii d'une complexité inimaginable; à écumer les endroits les plus interlopes, afin de dénicher des figurants qui ne soient ni des psychopathes ni des fumistes; à tenir scrupuleusement à jour le carnet de bord des moindres faits et gestes de Chibrelda, et à l'analyser ensuite jusque dans les plus insignifiants détails, de telle sorte que punitions et règles soient rigoureusement appliquées. Il en fut vite réduit à vivre SM, à manger SM, à dormir SM, à chier SM et à pisser SM. Et à baiser SM, bien entendu. Au bout de quelques mois à ce rythme, le Prince se retrouva dans un état d'épuisement tel qu'il tenait à peine debout.

Un jour qu'il souffrait d'une migraine atroce, après avoir passé une nuit blanche à fouetter Chibrelda toutes les demi-heures, et une matinée cauchemardesque à éplucher son carnet de soumise en le comparant fébrilement aux 36 règles qu'elle se devait d'appliquer en permanence, le Prince fut saisi d'une violente crise de nerfs et balança par la fenêtre tout le matériel SM qui encombrait ses appartements. Il rêvait d'une semaine de vacances, quelque part dans un petit village perdu, où il pourrait faire la grasse matinée, se promener main dans la main avec sa petite pupuce et manger tranquillement une spécialité locale dans un resto sympa, en trinquant à table, avec elle assise en face de lui sur une chaise. À cette idée, les larmes lui montèrent aux yeux. Il savait pertinemment qu'elle n'accepterait jamais de remonter de son cul-de-basse fosse : elle était insatiable. Dès qu'il lui laissait la bride sur le cou, elle se transformait en zombie aphasique.

- Mais, se dit-il avec une amertume immense, si je ne fais pas un break tout de suite, moi je vais devenir complètement dingue... Comment faire ? Saint Nom d'une Pipe, comment faire ?!

C'est à ce moment-là qu'il eut soudainement une idée pas si conne, finalement (son mariage SM lui avait mis un fameux plomb dans la cervelle, il faut bien le dire).

- Je vais l'envoyer en pension chez quelqu'un, s'exclama-t-il, tout content, et je prendrai mes vacances pendant ce temps-là !

Aussitôt dit, aussitôt le bec dans l'eau : l'envoyer en pension, certes, mais chez QUI ?! Le Prince rédigea donc une petite annonce, qu'il posta sur tous les forums SM qu'il connaissait, afin, l'espérait-il, de parvenir à caser sa moitié quelque part. Personne n'en voulut, cependant : la réputation de Chibrelda n'était plus à faire, dans la scène, et nul ne se serait hasardé à la prendre en charge, si ce n'est un grand nigaud comme le Prince. Tous, d'ailleurs, étaient vachement soulagés que Chibrelda soit chez lui : ça leur faisait des vacances...

Dès lors, insidieusement, la petite annonce du Prince se transforma par degrés en offre gracieuse, puis en demande d'aide, puis en appel au secours, et enfin en supplique pure et simple. Les adeptes des différents cercles SM rigolaient tous comme des chèvres, en le lisant, mais pas un ne lui tendit la main. Ces sadomasos, quelles crapules, tout de même !

Au moment où il s'apprêtait à se flanquer sous un train, le Prince reçut un courrier électronique d'un certain Master Von Braun, qui acceptait de prendre Chibrelda en pension, à condition que ce soit non pas lui mais son épouse qui fasse office de garde-soumise. Le Prince, tout à sa joie, prit à peine le temps de lire toutes les clauses de la proposition et accepta avec enthousiasme. Cela aurait pu lui coûter fort cher, mais que je vous rassure tout de suite : sous le pseudonyme du Master Von Braun en question se planquaient en réalité Léon-Jozef, de son vrai nom Von Braun, et sa splendide salope d'Eva.

Chibrelda fut donc ligotée, bâillonnée et expédiée dans le coffre de la limousine du Prince au lieu de rendez-vous, où elle devait être livrée à ses deux Maîtres par intérim.

Léon-Jozef et Eva la firent asseoir à l'arrière de leur petite bagnole noire, puis, ayant regardé la limousine princière s'éloigner, ils s'installèrent à leur tour et ôtèrent à Chibrelda ses entraves, son bandeau et son bâillon-boule.

- 'lut, Chibre ! Lança Eva en lui collant une grosse bise sur les deux joues. Comment ça va, ma vieille ? Tu as l'air en forme.

Chibrelda haussa les épaules.

- Bof, couci-couça, en fait...

- Ben alors, ma grande, s'étonna Léon-Jozef, tu as des ennuis ? Il n'est pas bien, ton nouveau Maître ?

- Oh si, si ! Il se met en vingt-quatre pour moi, c'est pas ça... mais c'est de plus en plus dur, la soumission, vous savez...

Eva fit un clin d'œil entendu à Léon-Jozef : elle connaissait Chibrelda depuis l'enfance et elle avait tout de suite compris ce qui lui arrivait.

- Ah bon ? Il me semblait pourtant que tu ne pouvais pas vivre sans, repartit Léon-Jozef en poussant Eva du coude.

- Ben euh... maintenant, c'est différent... parce que... euh...

- Allez, choupette, crache le morceau, rigola Eva, tu es enceinte, hein ?

Chibrelda la regarda avec stupéfaction.

- Oui, comment as-tu deviné !?

- Tu t'es un peu remplumée, choupette. Et puis ta poitrine, ça ne trompe pas...

Chibrelda rougit et lâcha ce qui lui pesait tant sur le cœur.

- Je suis si contente et si angoissée, si vous saviez ! Quand je me suis mariée, je ne l'aimais pas du tout. Je trouvais que c'était vraiment un beauf de chez beauf... et tellement... tellement VANILLE, vous voyez ? Mais je n'avais pas trop le choix : c'était ça ou rien. Seulement, après la nuit de noces où il m'a violée, les choses ont drôlement changé. Il a d'abord voulu que je cesse d'être soumise. J'ai refusé tout net, vous pensez bien ! Depuis quinze ans que je galérais, pour une fois que j'en trouvais un qui paraissait réellement aimer ça, je n'allais pas le lâcher, hein... Alors il a fait tout ce qu'il pouvait pour que je sois heureuse. Si vous saviez ! Des trucs que jamais personne n'avait faits pour moi. Ça m'a vachement remuée, je l'avoue. Il est devenu de moins en moins con et de plus en plus triste. Je crois qu'il était sincèrement amoureux de moi, au fond. D'ailleurs moi, au fur et à mesure, j'ai commencé à l'aimer aussi. Mais le jour où tout a basculé, c'est quand les Grands Prêtres ont voulu que je sois convertie. Il leur a dit de se pousser leurs textes sacrés au cul et de nous foutre la paix. Depuis, il n'a plus remis un pied au Temple. Et le lendemain, mon test de grossesse était positif... Comment je vais faire, pour la soumission, maintenant ? Qu'est-ce que je vais devenir !? S'épouvanta-t-elle.

Eva sourit finement.

- Une Maman, choupette...

Léon-Jozef prit les mains de Chibrelda dans les siennes.

- Écoute, Chibrelda, il faut que je te dise un truc très très très important : s'il t'aime, si tu l'aimes, si vous allez avoir un bébé ensemble, je ne vois pas bien ce que tu pourrais souhaiter de plus. D'ailleurs, c'est un Prince ! Tu imagines la chance que tu as ?! Alors pour le SM, te bile pas, ma chérie, les choses se mettront en place d'elles-mêmes. Du moment que tu le respectes et qu'il te respecte, je ne vois pas où est le problème. Et puis d'ailleurs, tu vas voir, un bébé, c'est du SM pur et dur ! Tu m'en diras des nouvelles... Conclut-il en partant d'un grand rire.

Le séjour de Chibrelda chez les Von Braun fut charmant. Ils l'aidèrent de leur mieux à aborder en douceur son sevrage - tout relatif qu'il fût -, en lui conseillant de lever un peu le pied, tout de même, puisqu'elle était enceinte. Lorsqu'il la récupéra, le Prince eut toutes les peines du monde à la reconnaître, tant elle était transfigurée. Il fut absolument fou de joie à l'annonce de sa grossesse; le fait que le bébé à venir fût une fille lui était parfaitement égal - c'est dire s'il avait changé...

Après l'accouchement, le Prince goupilla une espèce de garde alternée, entre le Palais et une crèche prestigieuse, qui n'accueillait que les futures têtes couronnées. Cela lui permit de ménager à Chibrelda de fort belles périodes d'immersion SM, qu'elle apprit à savourer sereinement, en alternance avec une vie de famille très heureuse, qui acheva de la combler.

Le Prince et Chibrelda, à partir de ce moment, devinrent de véritables complices, à la ville, au Palais et au Donjon. Un peu comme Léon-Jozef et Eva, si l'on veut, mais avec beaucoup moins d'humour et de fantaisie. Personne n'est parfait...