Vie du Marquis de Sade par Gilbert Lely Imprimer
de Sade
Écrit par Miriam   
Vie du marquis de Sade par Gilbert Lely Gilbert Lely, poète français (né à Neuilly-sur-Seine le 19 mars 1904 et mort à Paris le 4 juin 1985), est surtout renommé pour son rôle parmi les surréalistes et les années de travail qu'il a consacrées à la biographie et aux œuvres de D.A.F. de Sade. Il reprend dès le début des années 1940 la tâche énorme que laisse inachevée la mort de son ami Maurice Heine, premier « exégète » sadien. D'une exigence implacable, d'une qualité inégalée (et sans doute inégalable), l'étude qu'il a menée avec un soin maniaque a permis que certains textes jusqu'alors inédits du Divin Marquis sortent de l'Enfer et soient enfin publiables et publiés. Mais surtout, que la vérité historique puisse être rétablie à son sujet. Lorsque l'on attribue au mouvement surréaliste la « réhabilitation » de Sade, c'est surtout Gilbert Lely qui en est l'artisan et la cheville ouvrière, au sens le plus noble du terme. Dès 1948, dans son ouvrage « Morceaux choisis de Donatien-Alphonse-François Marquis de Sade », paru chez Pierre Seghers, Gilbert Lely s'émerveille que, je le cite, « Tout ce que signe Sade est amour ». Il s'en expliquera ultérieurement, en rappelant les circonstances de la communion mystique qui le déterminera à se consacrer tout entier au Marquis. C'est durant la seconde guerre mondiale que Gilbert Lely se rend à Lacoste, et qu'il y parcourt les ruines du château. Une illumination spirituelle se produit et le détermine à entamer la « révision » des mille et une fables qui circulent, depuis près de deux siècles, à propos de D.A.F. de Sade. La suite est une somme encyclopédique, faite de recherches acharnées - notamment auprès de Xavier de Sade, descendant du Marquis, qui conserve au Château de Condé-en-Brie d'inestimables manuscrits -; d'un rigoureux exercice de critique historique; du recoupements scrupuleux, dans les sources récoltées, des dates, des faits, des lieux, des noms; et enfin de l'analyse et de la remise en contexte des informations rassemblées par ses soins. Avec pour dernier résultat, l'édition définitive de la « Vie du marquis de Sade », parue aux Éditions du Mercure de France en 1989 - soit quatre années après le décès de Gilbert Lely.

Cet ouvrage est incontournable à plus d'un titre. Le premier, et non des moindres, est l'admiration éperdue que Gilbert Lely voue au Divin Marquis. Je ne doute pas que s'il avait eu la possibilité de monter dans la machine à voyager dans le temps de H.G. Wells, Gilbert Lely serait parti sans hésitation et aurait défendu le Marquis jusqu'à la mort. Le second, tout aussi important, est l'impeccable érudition qui le caractérise. Jusqu'à l'excès, parfois. N'ayant pas eu la chance de « faire mon Grec et mon Latin », comme cela me paraît être le cas de Monsieur Lely, j'ai eu recours à cinq dictionnaires la première fois que j'ai lu sa « Vie du marquis de Sade » : un usuel, un latin-français, un Larousse d'avant-guerre, le Littré en cinq volumes du tournant du XIXème siècle (qu'un honorable bibliothécaire à la retraite m'a offert) et enfin le Dictionnaire du français classique de Cayrou. On le croira ou non, il reste des termes obscurs que je n'ai pu élucider dans le texte de Lely. Il demeure des phrases d'une subjectivité telle qu'elles me demeurent incompréhensibles. Cela rend la lecture parfois bien désagréable, d'autant plus que Gilbert Lely est « très remonté » après les imbéciles et les ignorants. À le lire, sans toujours avoir les capacités intellectuelles de le suivre, on se sent souvent frustré et indigne. En un mot, il faut s'accrocher. Et il faut surtout accepter d'être un « ver de terre décérébré » face à l'éclat de diamant de sa culture classique et de ses connaissances historiques.

Mais si l'on s'acharne, la récompense est fabuleuse. On apprend, à chaque page, à chaque ligne, à chaque mot. Même si je suis loin d'être toujours d'accord avec certaines analyses spéculatives de Lely (notamment en ce qui concerne le rapport d'un écrivain avec ses « personnages »), même si souvent sa « morgue » intellectuelle me heurte, je m'incline bien bas devant son travail. Sans Gilbert Lely, la biographie de D.A.F. de Sade ressemblerait encore certainement à une somme d'affabulations ridicules. C'est Lely qui le premier a entrepris d'exhumer un homme (et non pas sa légende) du cachot, tant littéraire qu'historique, et qui lui a rendu entière justice. D'autres que Lely l'ont suivi, parfois de façon maladroite, soulevant les foudres du spécialiste, qui ne tolère ni l'amateurisme ni l'à-peu-près, si involontaires qu'ils soient. On sent chez Lely à la fois un profond désir de donner à connaître de Sade au public, mais en même temps un cuisant regret de le « jeter en pâture aux pourceaux ». Cette ambivalence traverse les 693 pages de sa « Vie du marquis de Sade » et lui donne une saveur toute particulière. Incontournable, tour à tour nid d'aigle escarpé ou désert d'aridité académique, la « Vie du marquis de Sade » de Gilbert Lely est un ouvrage qu'il faut absolument avoir lu, quels que soient les efforts qu'il en coûte.

« Vie du marquis de Sade » de Gilbert Lely, paru aux Éditions du Mercure de France en 1989, ISBN 2-7152-1594-0.