L'érotisme au Moyen Age par Arnaud de La Croix Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   
L'érotisme au Moyen Age par Arnaud de La CroixAvant de parler de l'essai « L'érotisme au Moyen-Âge », je vais y aller d'une petite anecdote personnelle (une fois n'est pas coutume). Il y a quelques années de cela, alors que j'étais engluée dans une galère épouvantable, j'ai très fortuitement croisé Arnaud de La Croix... dans le métro bruxellois ! Nous avons voyagé en face l'un de l'autre pendant quelques minutes et ce fut une expérience tout à fait étrange et assez désagréable. Non qu'Arnaud de La Croix soit une personne désagréable, bien au contraire ! Son aura est il est vrai assez exceptionnelle. Mais étant moi-même, en ce temps-là, une torche vivante de souffrance psychologique, je n'étais pas en mesure d'apprécier le formidable hasard qui me plaçait face à lui. Tandis qu'il annotait distraitement un manuscrit posé sur ses genoux, tout en bavardant avec la femme qui l'accompagnait, je ne pouvais cesser de me désoler de mon mutisme traumatique, alors que j'avais, on s'en douterait, tant de choses à lui dire... Mais ce fut finalement la harpie du doute qui l'emporta : qui étais-je, moi l'anonyme, pour entamer la conversation avec lui, qui ne me connaissait ni d'Ève ni d'Adam ?

J'ignore si le hasard me représentera jamais une telle occasion sur un plateau. Depuis qu'il dirige les Éditions du Lombard, j'imagine qu'Arnaud de La Croix est très occupé. Toujours est-il que depuis ce curieux moment, je n'ai jamais cessé de me demander sur quoi il travaillait ce jour-là. Était-ce le manuscrit d'un auteur ? Était-ce son « Blueberry, une légende de l'Ouest », paru en 2007 ? La morale de mon anecdote, c'est qu'il faut toujours prendre soin d'être heureux, afin de saisir au vol les cadeaux que le sort nous envoie, plutôt que de rester bêtement silencieux à ruminer ses chagrins.

Mais parlons de « L'érotisme au Moyen Âge », paru dans la Collection Documents d'Histoire aux Éditions Tallandier en 1999 (ISBN 2-235-02212-X). De la première à la dernière page, la bruxelloise d'adoption que je suis a senti l'influence de la ville sur l'auteur. Arnaud de La Croix porte, chevillée à la plume, l'influence cosmopolite de cette improbable capitale, à cheval sur une cascade de cultures et de courants de pensée. N'écrit-il pas, en conclusion : « La scène finale se déroule en ville, là où se mélangent toutes les strates culturelles, où l'église jouxte la taverne, et l'université côtoie les étuves » ? C'est précisément à cela que ressemble Bruxelles, en tout cas jusqu'à présent...

Quant au contenu de l'ouvrage, précisons qu'il est extrêmement touffu mais absolument passionnant. Arnaud de La Croix est en effet un médiéviste renommé, qui connait ses gammes. De Le Goff à Markale, en passant par Nelli, Eco ou Libera, les sources et références auxquelles il puise sont incontournables. Renouant avec la tradition scolastique, l'auteur excelle à renvoyer les théories dos à dos, puis à se distancier de celles qui lui semblent trop orientées ou mal étayées. Jamais il n'avance la moindre opinion qui ne soit rigoureusement fondée et impeccablement présentée comme une conviction tout à fait personnelle. Tout au long de son essai, Arnaud de La Croix s'efforce de développer une analyse rigoureuse du sujet, qu'il entend débarrasser de tout amalgame. Après avoir remis en perspective son champ d'étude avec « l'état des lieux » durant l'Antiquité, l'auteur aborde les différentes influences qui ont traversé l'époque médiévale, sensibles dans les chants de la fin' amor jusqu'aux fabliaux et recueils parus juste avant la Renaissance. Le tableau qu'il fait des mœurs du temps est vivant et plein d'une belle énergie; sans doute afin d'apporter une preuve supplémentaire que l'âge des ténèbres n'était probablement pas aussi monstrueux qu'on se le représente encore souvent. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter l'excellente discographie sélective qu'Arnaud de La Croix a eu la gentillesse d'insérer à la fin de son essai. Y figurent entre autre l'ensemble La Reverdie; mais surtout l'incroyable Barbara Thompson, dont les enregistrements d'Hildegard Von Bingen sont tous en bonne place sur ma bibliothèque depuis de très nombreuses années.

L'humanisme qui sous-tend l'entièreté de l'ouvrage d'Arnaud de La Croix a ravivé ma nostalgie de ne pas lui avoir parlé, il y a si longtemps, dans le métro. Lorsqu'à la fin de son essai, il dénonce l'exclusion grandissante des marginaux, selon la notion de « grand enfermement » développée par Michel Foucault; lorsqu'il regrette les mécanismes d'exclusion et l'économisme-roi de la pensée unique, Arnaud de La Croix nous envoie un message qui vaut d'être entendu : « Ce qui a été dit de la riche ambivalence du Moyen Âge dans le domaine de l'érotisme vaut sans doute aussi des points de vue politique, économique et social ». Pourvu qu'il ne prêche pas dans le désert...