L'érotisme et le sacré de Philippe Camby Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   

L'érotisme et le sacré de Philippe Camby Après avoir présenté, dans « L'Humeur du Jour », l'ouvrage « Le sexe dans les religions du monde » de l'anglais Geoffrey Parrinder, repassons de l'autre côté de la Manche et rendons-nous en Bretagne, à la rencontre de Philippe Camby. Ce français, né en 1952, est un homme peu ordinaire. En quatrième de couverture de son ouvrage « L'érotisme et le sacré », il est présenté comme un sociologue et un économiste. Mais c'est aussi un poète (l'une de ses premières œuvres, La Nuit Malade, est publiée en 1975 dans les Cahiers littéraires de Bretagne par Yann Brekilien), un essayiste (je me fais fort de mettre rapidement la patte sur son « Petit dictionnaire licencieux de la langue bretonne », pour ne citer qu'un seul titre) et un traducteur. En 2001, il crée l'une des premières maisons d'édition virtuelle francophone : l'Arbre d'or. Et en 2004, il fonde l'École druidique d'Helvétie à Neuchâtel. Un touche-à-tout, donc, mais certainement pas un homme dissipé. J'en veux pour preuve le magnifique essai dont il sera question ici, publié par Louis Pauwels aux Éditions Retz en 1978 et dont je possède une réédition, parue dans la Collection Espaces Libres chez Albin Michel en 1989 (ISBN 2-226-03814-0).

Remarquablement documenté, « L'érotisme et le sacré » n'est pas sans me rappeler parfois l'ouvrage de mon compatriote Jacques Finné : « Érotisme et sorcellerie – L'amour sorcier à travers les âges » - notamment lorsqu'il est précisément question, chez Camby, de l'érotique chrétienne. Mais venons-en à la présentation l'ouvrage.

« L'érotisme et le sacré » est un essai et à ce titre il n'est pas là pour distraire le lecteur. Cependant il y parvient sans peine, car contrairement à beaucoup d'essais, l'ouvrage est très facilement abordable par tout un chacun. Dès le premier chapitre, le ton est donné : Camby débute sa réflexion sur les thèses de Johann Jakob Bachofen à propos du matriarcat et de la gynocratie avec une jubilation non dissimulée. Son « au commencement était la femme » ne laisse aucun doute sur ce qui va suivre. Il n'est pas vraiment tendre avec l'émergence de la société patriarcale, mais avance que « l'eros kalos » (le bel Éros) des grecs n'était à tout prendre pas si mal que ça. Je ne le suis pas vraiment sur ce point, même s'il est vrai qu'il parle autant de Solon que d'Aristote, de Socrate ou de Platon. Il ne nie d'ailleurs pas la portée proprement apocalyptique qu'auront les théories platoniciennes sur la suite des événements (ou devrais-je écrire des hostilités ?) Car dès la fin de l'Antiquité, c'est la chrétienté qui débarque (déferle ?) en Europe et, lorsqu'il « attaque » l'époque chrétienne, Camby sort tout à fait du bois et tombe sur l'Église catholique, apostolique et romaine à bras raccourcis. C'est la foire d'empoigne, au sens littéral, et c'est un véritable délice. Non sans démontrer au passage l'opportunisme totalement démagogique des premiers pères de l'Église qui imposèrent l'ascétisme et l'abstinence sexuelle - mais aussi le délire galopant des suivants, mystiques et saintes compris - l'auteur souligne avec fougue que tout n'était pas catholique en Occident au Moyen-Âge, ce qui explique les chapelets d'interdits qu'ont vomis les Papes au fil des siècles, les massacres perpétrés par la Sainte Inquisition et autres expéditions punitives diverses et variées, qu'il qualifie, à très juste titre, de « terrorisme puritain ». Qu'il soit religieux (avec le catharisme), temporel (avec l'amour courtois en Pays d'Oc ou la soi-disant « sorcellerie » chez les vilains), artistique (où la décoration des lieux saints était le prétexte d'interprétations particulièrement salées), le mouvement de résistance, bien que constitué d'ilots mal organisés, n'a cessé de gronder sous les pieds de l'Église et d'en faire parfois trembler les bases. À longueur de pages, Philippe Camby s'indigne de la profonde misogynie de Saint-Augustin et de ses sbires, dont le fanatisme n'a d'égal que la méchanceté (ils ont encore une belle descendance en 2011, quoique sous une bannière subtilement différente mais néanmoins tout aussi dégoutante). Lire son essai est dès lors un réel bonheur, couronné par son survol des Lumières, qu'il assaisonne magistralement d'extraits de Diderot et de Sade. Petite remarque en passant : à propos du Marquis, Philippe Camby n'est pas très enthousiaste (et sur ce point-là je ne peux lui donner tort). Il conclut en effet que : « Avec Sade, donc, le système du satanisme est complet. On dispose à l'intérieur du christianisme – la foi est nécessaire aux messes noires – d'une théologie, d'un rituel et d'une philosophie qui intègrent l'amour. Le nom d'Éros s'est corrompu en Satanas, mais l'amour n'est pas mort du poison que le christianisme lui a versé. Il a seulement dégénéré en vice. Et ce n'est plus l'Amour. Toute la civilisation occidentale en est tombée malade ». Étant à la fois une admiratrice de Sade et une pratiquante BDSM, je ne peux rien ajouter d'autre que « Finement vu ! »

En concluant par le néo-paganisme et par la nécessité de reconnecter Éros et le Divin, Philippe Camby n'emporte cependant pas toute mon adhésion. Mais qu'importe ? Son essai est brillant, parfaitement écrit et indiscutablement rigoureux. Il faut le lire, absolument.