Monsieur est servi Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   
Monsieur est servi, par Esparbec Cela pourra sembler bizarre, pour ne pas dire farfelu; mais je n'avais jamais lu Esparbec jusqu'à présent. Rien de personnel, d'ailleurs : je savais d'avance que lorsque je me déciderais, j'adorerais. Un auteur dont l'immense Wolinski raffole... pourrait-il en être autrement ? Je n'ai pas vraiment de justification rationnelle à cette longue tergiversation de lecture. Tout au plus une pas trop mauvaise excuse : je ne voulais pas lire Esparbec dans de mauvaises conditions. J'ai donc attendu que les choses se calment pour m'y mettre (il a donc fallu attendre pas mal d'années...)

Bien entendu, j'ai commencé par « Monsieur est servi ». Un titre pareil, avec en couverture une ravissante photo de Chas Ray Krider, je ne pouvais décemment pas faire autrement. Aucune lecture en diagonale, avant de débuter; c'est que je connaissais trop bien Esparbec de réputation pour me gâcher le suspense aussi sottement. C'est à peine si je m'autorisai la petite entorse de consulter la table des matières. Mais plantons le décor.

Pierre, quarantenaire fringant et fortuné, a épousé Manon, de 20 ans sa cadette. Malheureusement, la jolie blonde ne tarde pas à se révéler une garce de première catégorie, qui a tôt fait de se faire enfiler par les amis de son mari, à commencer par le meilleur : Hugo, éleveur de chevaux d'une misogynie épouvantable; qui ne lève que des bourgeoises et les dresse à devenir des « juments » (traduire : des salopes). Écœuré, Pierre divorce de Manon et se retrouve seul chez lui en compagnie de sa bonne, Toni. La suite, on s'en doute, n'est autre que la relation qui va se nouer entre « Monsieur » et sa « bonne », « bonne » dont l'anatomie charnue a le don de mettre « Monsieur » dans tous ses états...

Faut-il lire le « Monsieur est servi » d'Esparbec ? Résolument, je répondrai par l'affirmative  Sauf, petite nuance, si l'on est une virago féministe incapable de prendre le moindre recul. Il ne faut pas sourire : il en reste encore, de nos jours... La plume d'Esparbec est un délice; son talent de conteur une évidence. En quatrième de couverture, la question est posée de savoir si son roman serait de la littérature ou de la pornographie (il est des questions totalement débiles en quatrième, même à La Musardine). En partant du postulat que la distinction soit à ce point importante qu'il faille mettre ce genre d'étiquette à une œuvre littéraire; « Monsieur est servi » c'est, selon moi, de la pornographie littéraire. Et pas de la littérature pornographique, nuance. Qu'on me comprenne bien : la première est à mes yeux bien plus précieuse et plus exigeante (exigeante d'un point de vue artistique) que la seconde. Écrire de la pornographie littéraire, ce n'est pas donné à n'importe qui. Esparbec fait partie des rares auteurs (on peut les compter sur les doigts de la main) qui se sortent de l'exercice avec aisance et talent. À ce titre seul, je lui tire mon chapeau très, très bas : « Monsieur est servi » est une œuvre remarquable.

Mais il y a mieux. Ce roman, aussi pornographique soit-il, m'a causé une émotion très forte. Ce ne sont pas tant les personnages, ni l'histoire, qui sont en cause; c'est plutôt le tableau de mœurs et les dialogues qui ont semé en moi une douce nostalgie, tout au long du récit. La France d'Esparbec est comparable à celle de Balzac : elle n'existe plus que dans les livres. Ce n'est pas un hasard si le substantif « gauloiserie » dérive de « Gaulois » et s'applique à ce qui est leste, licencieux ou grivois. Ce ton, cet humour à la fois léger, cynique et rempli de sous-entendus sexuels, ce sont les français qui l'ont inventé... Et il se trouve qu'Esparbec est un digne représentant de cette tradition, que l'on devrait inscrire au patrimoine mondial de l'humanité. « Monsieur est servi » est bien plus qu'un roman touchant, pornographique et remarquablement écrit. C'est, ni plus ni moins, un inestimable témoignage à la fois historique, sociologique et artistique. Je suis persuadée que, dans une centaine d'années, Esparbec sera au programme dans les écoles, sous la rubrique : « littérature française du 21ème siècle ». « Monsieur est servi », aux éditions La Musardine, ISBN 978-2-84271-268-6.