Les Carnets d'Alexandra de Dominique Simon Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   

Les Carnets d'Alexandra Les chemins des livres sont parfois bien curieux. Qu'on en juge : Les Carnets d'Alexandra ont atterri directement dans ma boîte aux lettres la semaine dernière. C'est à l'attachée de presse de Fayard que je dois cette petite surprise : j'ai en effet reçu l'ouvrage à titre d'exemplaire presse gracieusement distribué. Il était important, avant que je ne parle de ces fameux Carnets, que je précise les circonstances dans lesquelles je les ai lus. J'ajoute que je suis affiliée à une Association de Journalistes depuis plus de 15 ans. En conséquence, l'article sur Les Carnets d'Alexandra ne sera dicté que par ma seule opinion personnelle. Opinion subjective certes, mais entièrement dégagée d'une quelconque influence de la part de l'éditeur qui m'a offert l'ouvrage.

Alors ces Carnets d'Alexandra, d'où sortent-ils ? De la plume sans doute pseudonyme d'un (d'une) certain (certaine ?) Dominique Simon. L'avant-propos ne donne guère de précisions quant à l'auteur. Tout au plus y lit-on que l'héroïne du roman, Alexandra, fut l'épouse d'un homme politique très haut placé, qui fit carrière après 1914. Bien des oeuvres érotiques débutent par ce genre de préambule, qui bien souvent n'est qu'une figure de style.

Mais venons-en au récit : Les Carnets d'Alexandra sont bien plus un roman qu'une oeuvre autobiographique. Dès les premières pages, une atmosphère quasi surréaliste m'a sauté à la figure et ne m'a plus lâchée. Il y a du Buñuel dans Les Carnets d'Alexandra, tout autant que de la psychanalyse à peine dissimulée. Je doute fort que la narratrice, en 1907-1908, ait pu se fendre d'une réflexion aussi particulière que celle que je reproduis ici, extraite de la page 242 :« Ce matin en me réveillant, subitement, je compris pourquoi j'éprouvais comme une obligation de poser ma bouche sur l'intime des femmes. Par une erreur de raisonnement, j'avais repoussé trop vite l'idée que j'y recherchais le sein d'une mère. Ce qu'elles m'offraient de chaud et de mouillé était nourrissant comme du lait, alors que le bout de leurs seins, quand je le suçais, ne me rendait rien. Aussi me semblait-il que l'inconnue de mon histoire était un incident oublié, mais qui m'avait poussée hors du chemin conduisant naturellement  une enfant à devenir une femme. Et, en repensant à ma façon d'aimer, j'étais maintenant certaine que sucer le plus chaud de leur fente m'amenait à l'état d'émotion avide que, bébé, je prenais à la tétée. » J'ai déjà dit ce que je pensais des freuderies. L'écriture ciselée de Dominique Simon ne change rien à mon aversion pour le Grand Chef et ses théories fumeuses.

La trajectoire de l'héroïne est somme toute assez classique : lesbienne mal assumée, Alexandra se languit auprès d'un mari rustre et inconsistant. Dans le relatif isolement d'une campagne bigote, elle tente en vain de s'attacher les services d'une bonne qu'elle pourrait « convertir » à ses goûts. Débarrassée temporairement de son mari, parti en mission à l'étranger, Alexandra s'enhardit et « perd sa virginité » avec sa cousine. Enflammée par ses premiers succès, ainsi que par les bons conseils de ladite cousine, qui lui écrit des lettres à l'encre sympathique, la narratrice convole joyeusement avec ses deux bonnes, dans une belle insouciance. Le retour du mari met fin à ces confortables arrangements. Réclamant son dû, après de longs mois d'absence, il se heurte à la détermination de son épouse, qui n'entend pas revenir à l'hétérosexualité d'aussi bonne grâce. Ayant demandé conseil à sa cousine, elle complote un flagrant-délit d'adultère afin de justifier la séparation de corps qui lui permettra d'échapper désormais au devoir conjugal. Ainsi « libérée » de la domination masculine, Alexandra se livre à toute une série de sexpériences bien peu de son temps et de son milieu social (celui d'une petite rentière de la campagne au début du XXè siècle ).

Les anachronismes ne sont finalement qu'un simple détail. Schmitt, dans Le Libertin, n'hésite pas à douer son Diderot d'une verve toute contemporaine. C'est plutôt la rapide succession de saynètes érotiques qui ôte rapidement toute crédibilité historique aux Carnets d'Alexandra : le récit est un véritable kaléidoscope. Il m'a souvent évoqué l'univers narratif de la bande-dessinée; le style volontiers visuel, le découpage rapide, les récits dans le récit, font de ces Carnets une longue rêverie saphique « sans queue ni tête » - mais je reste persuadée que c'était précisément le but de l'auteur. En cela, Les Carnets d'Alexandra sont une remarquable réussite. À aucun moment l'on a l'impression que la lecture nous mène où que ce soit, sans pour autant que cela constitue un ennui ou une gêne. C'est plutôt une espèce de somnolence érotique, une berceuse sexuelle, qui se consumerait naturellement de page en page.

N'eût été cette maudite psychanalyse, je l'aurais lu sans le moindre effort. Toutefois, la chute, qui serait plutôt une fuite, à tous les niveaux (y compris littéraire) ne sert pas le roman comme il le faudrait. L'entourloupe est élégante, mais elle reste une entourloupe : je l'ai trouvée un peu facile.

Je ne conseille ni ne déconseille Les Carnets d'Alexandra : tout est une question de goûts. L'ouvrage est intéressant sous de nombreux aspects. Pour peu que l'on s'y laisse prendre, les 298 pages s'écoulent comme un songe éveillé et donnent au lecteur une impression d'irréalité temporelle. Un bien livre bien étrange et disponible dès à présent aux Éditions Pauvert (ISBN 978-2-7202-1528-5).