Piss Diane Imprimer
Contes érotiques
Écrit par Miriam   
Il était une fois, dans l'Ouest, un acteur mythique que l'on avait surnommé Le Roi de l'Écran.

Il avait démarré sa carrière assez miraculeusement, après qu'une mécène deux fois plus âgée que lui, et qui avait craqué pour son physique de jeune premier, lui ait mis le pied à l'étrier, si l'on peut dire, en le sortant de son trou-à-rat du Middle West. C'était chose courante à Hollywood, en ce temps-là. La généreuse bienfaitrice n'avait d'ailleurs pas tardé à épouser en secondes noces son bel éphèbe tout neuf, après que son premier mari, un magnat du pétrole Texan, ait cassé sa pipe lors d'un mystérieux accident de chasse, où il avait pris une pistache de .416 Rigby dans le dos. Ce fut le scandale du moment : la veuve n'attendit même pas d'avoir donné naissance à l'enfant qu'elle attendait de feu son premier époux pour convoler en justes noces avec le gamin, qui la mena à l'autel enceinte jusqu'aux dents. Vous voyez d'ici le tableau.

« Ben ouais, encore une bête histoire de Cougar », que vous allez me rétorquer. Erreur, fatale erreur, tant il est vrai que les apparences sont parfois cruellement trompeuses. Attendez un peu de lire la suite.

Au début, le ménage ne tourna pas trop mal. Madame était fort occupée par les couches et les biberons de sa gamine; Monsieur était encore tout ému qu'elle l'ait propulsé dans les hautes sphères; ils se voyaient relativement peu et, lorsqu'ils sortaient ensemble, leur statut respectif d'icône vivante les grisait avec tant de force qu'ils ne se prêtaient finalement pas beaucoup d'attention. Mais, les mois passant, les choses se gâtèrent assez vite. Comme quoi, l'argent et la gloire ne font pas tout.

Le Roi de l'Écran était en effet, au privé, la Reine des Folles. En cela, son épouse ne lui devait rien : c'était une Diva totalement cyclothymique, qui se mettait dans des états de rage indescriptible, lorsqu'il ne faisait pas ses quatre volontés illico presto. Il faut bien dire qu'elle n'avait pas digéré la bourde épouvantable qu'elle avait commise, en épousant sans le savoir un inverti de la plus belle eau. Elle qui rêvait d'un grand mâle bien rude, elle se trouvait maquée avec une espèce de petite mémère terriblement maniérée, qui lui piquait ses robes du soir, se mettait des faux-cils par-dessous les Ray Ban et faisait chambre à part depuis le début, dans un boudoir tendu de soie rose dragée, où il déambulait, en répétant ses rôles de shérif à la noix, drapé dans de ridicules peignoirs de mousseline à plumes et chaussé de petites pantoufles de satin à pompons de perles.

La vie du Roi de l'Écran, sous les strass et les paillettes, se mua très rapidement en un véritable enfer : il se sentait horriblement seul, parfaitement incompris et largement persécuté par sa virago trois fois vingtenaire, qui, de lifting en lifting, ressemblait de plus en plus à Fu Manchu - et collectionnait les vibromasseurs, faute de trouver un gigolo qui soit capable de la satisfaire.

Comme il tenait de moins en moins le coup, entre les rôles ringards qu'on lui proposait, les tournées promotionnelles au fin fond du Kansas et les charogneries de sa femme, le Roi de l'Écran se mit à prendre tout un tas de pilules roses et bleues; des pour dormir et des pour se réveiller; des pour ne pas bander mou et des pour rester mince, de telle sorte qu'il fut bientôt si camé qu'il y avait des jours où il ne savait même plus par quel côté il devait pisser. C'est à ce moment-là qu'il tomba entre les griffes d'un fieffé charlatan, une espèce de psychanalyste freudien totalement marteau; mais assez lucide, toutefois, pour lui soutirer des honoraires faramineux, en lui bourrant le crâne d'idioties toutes plus nocives les unes que les autres.

Peu après, la femme du Roi de l'Écran tomba gravement malade. Elle mit donc de l'ordre dans ses papiers, afin d'assurer l'avenir de sa gamine, qu'elle adorait, et se rendit tous les dimanches à l'église, en priant pour ne pas crever tout de suite. Mais Dieu dut être sourd, ou alors il lui en voulait pour ses années de masturbation effrénée, car son mal s'aggrava avec une rapidité foudroyante. Les médecins, qu'elle payait une petite fortune, ne purent que lui annoncer, avec les précautions oratoires de circonstance, qu'elle allait très certainement y rester. Ce fut comme un électrochoc, elle voulut absolument, avant de claquer, voir une dernière fois son mari et lui balancer tout ce qu'elle avait à lui dire.

L'entrevue fut des plus houleuses; la haine qu'elle lui vouait était en effet à son paroxysme et, lorsqu'elle eut fini de cracher son venin, tout autre mari que lui l'aurait volontiers euthanasiée à mains nues. Mais, à la voir si près de la tombe, le cœur d'artichaut du Roi de l'Écran ne résista pas trente secondes : il fondit en larmes, tandis qu'elle continuait de l'insulter, le traitant de sale pédale, d'inverti de ses deux et de fiotte hystérique.

- Inutile de chialer, espèce de lopette, je vois clair dans ton jeu ! Et ne va pas t'imaginer que, moi morte, tu vas pouvoir faire la nouba : j'ai tout prévu. Adolfo De Lachoza, mon gestionnaire de fortune, a tout un dossier sur toi : fais seulement un pas de travers et toutes les photos seront publiées; ta carrière, tes awards et tes relations, tu pourras te les foutre au cul ! Ne t'avise d'ailleurs surtout pas de te remarier, Adolfo te surveillera, comme moi je t'ai surveillé toutes ces années, ah, ah, ah ! Non mais quelle gueule tu fais, c'est trop drôle... ah....aaaaah.... aaaaargh... baragouina-t-elle.

Puis, brusquement, elle passa l'arme à gauche.

C'était la pire vacherie qu'elle lui avait jamais faite. Il fut saisi d'une confusion terrible, qui le ballotait entre le soulagement d'être débarrassé d'elle pour toujours, le remord des années passées à s'engueuler, la rage que lui inspirait son odieux procédé, et enfin l'irrépressible pulsion qui le poussait à mener sur-le-champ la vie dont il avait toujours rêvé. Il ne trouva rien de mieux que de foncer demander conseil à son psychanalyste.

Mais sérieusement, que pouvait-il attendre d'un taré pareil ? S'il avait eu un peu de jugeote, il aurait compris que seul le fric intéressait cet immonde salopard; qui n'avait pas une seule case de juste et nourrissait, dans son esprit malade, l'homophobie la plus primaire. Qu'on juge si cet enfoiré était à même d'aider notre malheureux Roi de l'Écran, qui ne dormait plus, ne mangeait plus rien d'autre que ses pilules roses et bleues; et passait tout son temps à sangloter comme une perdue.

Une fois allongé sur le divan du psychanalyste, le Roi de l'Écran se mit à délirer, évoquant pêle-mêle ses jouets d'enfance, la couleur des cheveux de son impresario et ses difficultés à trouver le sommeil, non sans revenir continuellement à la situation insupportable que feue sa femme lui avait concoctée avant de claboter. En feignant de l'écouter, le psychanalyste hochait la tête, d'un air très guindé, et lâchait de temps en temps des « et ça vous fait penser à quoi ? » savamment laconiques. Pour finir, le Roi de l'Écran se redressa, à bout de nerfs, et lui demanda d'une voix tremblante :

- Mais enfin, Docteur, c'est à vous de m'aider ! C'est pour ça que je vous paie, non ?! Que dois-je faire, je vous en supplie, Docteur, dites-moi, que dois-je faire ???!!!!

Le psychanalyste était totalement branque, certes, mais il était également loin d'être idiot. Il sentit immédiatement que le vent était en train de tourner, et que s'il n'accédait pas à la demande de son client, il ne le reverrait plus et pourrait faire une croix sur ses plantureux honoraires. Il chaussa donc ses lunettes, pour se donner un genre, et se racla la gorge avant de déclarer, d'un ton très pédant :

- En réalité, voyez-vous, et vous me permettrez de prendre une distanciation symbolique, nécessaire, certes, mais cependant totalement imbriquée, si je puis dire, à la rétractation libidinale dont vous êtes à la fois le sujet et l'objet - mais n'est-ce pas, au fond, si je puis dire, le but ultime de toute analyse ? -, il est possible, chez certains patients - et c'est lié au mode exploiratoire régressif qu'impliquent certains traumas post-refoulés - qu'il se soit mis en place, dans la phase de pré-génitalité anale œdipienne, une indifférenciation sexuelle et relationnelle qui ne pourrait se résoudre, ultimativement et analytiquement, au niveau du Surmoi, que dans une sorte d'inviduation contradictoire et limitatoire, et fondamentalement liée aux conflits sous-jacents; tout se passant un peu comme si, sur un plan psycho-sexuel, déterminé par les premières expériences du phallus maternel - qui se révèle absent dans le fantasme de castration du père -, un pas décisif puisse être franchi, à un moment très tardif, comme l'illustre parfaitement le récit du Petit Trans, lorsqu'il passe de la fixation purement orale à une sorte de métabolisation du moi, qui simplifierait et schématiserait les multiples introjections successives en les inversant, afin d'en masquer l'ambivalence et, dès ce moment, de soulager les tensions par trop insoutenables entre le sujet et la brisure causale.

Le Roi de l'Écran le regarda en se grattant le crâne.

- Excusez-moi, Docteur, je ne suis pas certain de vous suivre... Concrètement, que faut-il que je fasse, alors ?

Le psychanalyste, très satisfait de mind-fucker son client - qu'il prenait beaucoup de plaisir à tourmenter mentalement depuis le début - lui sortit alors, avec un fort vilain sourire de crapule satisfaite :

- Pour tuer la mère, et s'en libérer, il faut épouser la fille.

- Je vous demande PARDON ?!!! S'exclama le Roi de l'Écran, complètement stupéfié.

- Voyons, c'est pourtant simple : avant de mourir, votre femme vous a interdit de vivre comme vous l'entendiez, sous peine de dévoiler votre homosexualité et de ruiner votre carrière, c'est bien cela ?

- Oui, Docteur...

- Et la fortune, c'est la sienne, n'est-ce pas ?

- Oui, Docteur...

- Et elle adorait sa fille, elle a donc dû laisser des instructions à cet Adolfo Machin, afin d'assurer l'avenir de son enfant ?

- Sans aucun doute, Docteur, cepen...

- Donc, si sa fille était éclaboussée par le scandale qu'elle a elle-même préparé à votre intention, ce serait se tirer dans le pied, je me trompe ?

- Non, Docteur, mais tout de mê...

- Dès lors, le meilleur moyen de faire d'une pierre, deux coups, et de récupérer ce maudit dossier en vous assurant de la fortune de feue votre épouse, c'est d'épouser sa fille. Je ne vois pas ce qui vous gêne à ce point, la solution à votre pseudo-problème est pourtant d'une simplicité désolante, non ?

- Si vous le dites, Docteur, sauf que...

- Très bien, la séance est terminée. Ça vous fera deux mille dollars.

Le Roi de l'Écran se leva, paya et s'en retourna chez lui, totalement dans les choux. Mais le mal était fait, hélas ! « La petite graine était semée », comme dirait ma mémé, et elle ne tarda pas à germer dans le cerveau confit de barbituriques du pauvre mec, qui finit même par trouver que l'idée n'était pas si mauvaise, tout bien réfléchi.

Sa fille, lorsqu'il lui en fit part le lendemain, fut loin, mais alors là TRÈS loin d'être de son avis.  Alors, jouant son va-tout, le Roi de l'Écran lui fit du chantage au suicide. La gamine, à bout d'arguments, éclata en sanglots :

- Mais enfin Papounet, on ne PEUT PAS se marier ! Je suis ta fille, Papounet, ta FILLE, tu comprends ???!!!

Il se précipita à ses pieds et l'implora d'une voix mourante :

- Mais oui, et alors ? Qu'est-ce que ça changerait, qu'on soit mariés ? Tu resterais ma fille, évidemment; je t'aime ma petite chérie, je t'aimerai toujours de tout mon cœur ! Mais essaie de te mettre à ma place : s'il t'arrivait quelque chose, Adolfo me foutrait à la rue du jour au lendemain ! On fera ça incognito, à Las Vegas, promis. Je t'en prie, ma chérie, oooh, je t'en prie, ne laisse pas ton pauvre petit Papounet dans la mouise... allez, s'il-te-plaît, épouse-moi !

La gamine courut s'enfermer dans sa chambre. Elle accusa le choc, prit une grande respiration, sécha ses larmes et se mit à réfléchir à toute vitesse. Elle n'ignorait pas que son Papounet était une petite nature. Depuis la mort de sa mère, il avait doublé la dose de cachetons et il était continuellement dans les vapes : un rien aurait suffi pour qu'il y reste. L'idée de ce mariage la révulsait; mais, en même temps, elle admettait que rien ne pouvait s'y opposer théoriquement : son père biologique étant mort peu avant sa naissance, son Papounet, dont elle ne portait même pas le nom, n'avait été qu'un papa « officieux » pour l'état civil. Même si, à ses yeux à elle, il était bel et bien son véritable père. Elle prit ses clés de voiture et fila chez sa Marraine, Lady Fairy Coral, une grande bringue un peu décalée que son Papounet aimait beaucoup.

Après lui avoir exposé le cas, la gamine se remit à pleurer à chaudes larmes et  à s'arracher les cheveux. La Marraine lui prit les mains dans les siennes :

- Ta, ta, ta ! Ma mignonne ! Qu'est-ce que c'est que ces manières, de se griffer son joli minois comme une vilaine peste ! On va empêcher ce mariage, on va empêcher ce suicide, tu vas voir, je vais tout t'arranger, foi de Fairy Coral.

La gamine ravala ses larmes et lui coula un regard plein d'espoir.

- Vraiment ?

- Mais puisque je te le dis ! Je le connais bien, ton Papounet, des fois il a ses lubies... Ce qu'il faut, c'est lui changer les idées. Tu vas lui dire que tu n'accepteras de l'épouser qu'à condition qu'il t'offre... voyons... qu'est-ce qu'il pourrait t'offrir ? Voilà ! J'ai trouvé ! Un ciel de lit couleur du temps. Mais un vrai, hein ! Un qui change de couleur, avec du jour, de la nuit, du coucher de soleil, de l'azur et des nuages, la totale ! Ha, ha, ha ! Après qu'il se soit esquinté à dénicher ce bidule-là pendant quelques semaines, tu verras, il aura vite oublié son idée de mariage. Et puis ça l'occupera, il adore faire les boutiques.

La gamine sauta au cou de sa Marraine :

- Oh ! Merci Marraine, tu es tout simplement géniale !

Lady Coral se rengorgea :

- Tout à fait... Allez, zou ! File ! Conclut-elle, en posant un baiser sur le front de sa filleule.

La gamine, en rentrant, fit sa demande à son Papounet, toute fière de la ruse de sa Marraine et très heureuse de constater que, comme promis, ce défi lui ait rendu un grand sourire.

Le Roi de l'Écran reprit espoir. Et comme la foi déplace les montagnes, il fit son entrée le lendemain matin dans la chambre de sa fille, accompagné de son décorateur attitré, qui venait livrer le ciel de lit. Taillé dans un magnifique satin bleu azur et tapissé de fibre optique, le ciel de lit imitait à s'y méprendre l'alternance d'éclaircies et de passages nuageux. C'était le nec plus ultra du moment et, il faut bien le reconnaître, c'était tout simplement grandiose.

La gamine en resta bouche bée : elle n'avait jamais rien vu d'aussi beau.

- Écoute Papounet, je ne suis pas encore trop sûre, pour Las Vegas. On peut en reparler ce soir ?

- Mais oui, ma chérie, dit affectueusement le Roi de l'Écran, qui croyait qu'elle hésitait sur le lieu du mariage et aurait préféré les chutes du Niagara, finalement.

Après qu'il fût sorti, la gamine s'allongea sous son dais pour y contempler le lever de soleil. Puis elle extirpa de sous son oreiller le numéro de Bizarre qu'elle y avait planqué à l'arrivée de son Papounet. Sur la couverture, une superbe femme blonde, qui lui ressemblait assez, trouva-t-elle, tenait à la main un long fouet. Elle était vêtue, en tout et pour tout, d'un chapeau claque et d'une formidable combinaison, mi-maillot, mi-bottes, qui lui collait comme une seconde peau. La gamine soupira. Elle aurait bien pris un peu de plaisir en feuilletant son magazine, aidée par l'un des vibromasseurs qu'elle avait chipés dans la chambre de la vieille. Mais elle se ressaisit, décrocha le téléphone et appela sa Marraine, en lui annonçant que l'opération « ciel de lit » avait malheureusement foiré.

- Ne bouge pas, ma petite chérie, Tatie Coral sera chez toi dans dix minutes.

Lorsqu'elle vit le cadeau du Roi de l'Écran, la Marraine fit la grimace. D'abord, elle aurait bien aimé en être l'heureuse destinataire. Et, ensuite, elle détestait avoir tort.

- Ouais, là, j'avoue, il a assuré.... Admit-elle en râlant. Mais attends un peu, je n'ai pas dit mon dernier mot. Tu vas lui demander une robe couleur...

- Ah nan hein ! Ça suffit avec les robes et les fanfreluches, protesta la gamine. Je sais ce que je vais demander.

- Et quoi donc, je te prie ? Rétorqua sa Marraine, un peu vexée.

- Ça ! Répondit la gamine en lui mettant la couverture de Bizarre sous le nez.

La Marraine avala de travers.

- Mais d'où sors-tu ce... cette... rhooooo ! Explosa-t-elle.

- Seulement pas en noir, c'est trop salissant, le noir. Je vais lui dire que je le veux en argent; et avec le fouet assorti. Et SANS FERMETURE ÉCLAIR. Ahahahaha ! Qu'est-ce que tu dis de ça, hein ? S'esclaffa la gamine, très sûre d'elle.

- Ce que j'en dis ? ... ce que j'en dis ?! ... Mais j'en dis que tu es encore pire que ta garce de mère, voilà ce que j'en dis ! Cria la Marraine, toute rouge d'indignation. Une gamine de tout juste dix-huit ans, je vous demande un peu !

- Oh, hein, commence pas ! Je fais rien de mal : je m'informe. Et puis d'ailleurs, il dessine vachement bien, John Willie, je trouve.

La Marraine, ulcérée, sortit en claquant la porte. La gamine se rua chez son Papounet et lui réclama, en complément du ciel de lit, la combinaison-zentaï et le fouet d'Amazone de ses rêves.

Le Roi de l'Écran, que ces gageures amusaient « comme une folle », eut encore moins de mal à remplir sa deuxième mission. Le soir-même, à dix heures tapantes, il posa sur le lit de sa fille une extraordinaire combinaison intégrale à talons aiguilles, taillée dans la toute nouvelle fibre K, qui épousait le corps comme une seconde peau, et que ses habiles copines avaient toute rebrodée d'une trame microscopique et scintillante comme des gouttes de chrome. Il y ajouta un fouet tressé dans le câble d'argent le plus finement laminé qu'on eût jamais vu. C'était un travail prodigieux.

La gamine en eut le souffle coupé.

- Ouaaah ! Papounet ! C'est... C'est... Commença-t-elle.

- C'est fa-bu-leux, tu trouves aussi ? Il faudra en prendre bien soin, car c'est très fragile. On les rangera dans mon armoire, hein ? Ce sera plus prudent... Murmura le Roi de l'Écran, qui brûlait d'essayer lui-même la combinaison.

Il la laissa tout abasourdie, en lui annonçant qu'il avait quand même acheté des billets pour Las Vegas, finalement, et qu'ils partiraient dès le lendemain.

Une panique affreuse saisit la gamine. Elle cavala hors de sa chambre et entra en collision avec sa Marraine, qui venait aux nouvelles.

- Alors ? Mais où cours-tu comme ça ?

- Alors ? Alors ! Alors, là, regarde ! S'écria la gamine en désignant la combinaison d'un geste théâtral. Et on fait quoi, maintenant, hein ?!

La Marraine siffla entre ses dents.

- Meeeerde ! J'ai jamais vu un truc pareil de toute ma vie ! Non mais regarde-moi ces fils ! C'est à peine croyable, on dirait de la dentelle de Val...

- Oh, hé ! Ça suffit hein ! ET MAINTENANT ??? Hurla la gamine, que la perspective d'épouser son Papounet rendait physiquement malade, rien que d'y penser.

- Allons ma petite chérie, cesse de brailler comme un chameau, ça ne servira à rien. Et puis tu vas t'abîmer la voix. Réfléchissons calmement, réfléchissons posément... Il doit bien y avoir quelque chose qu'il ne pourra jamais t'offrir, ce n'est pas une fée, non plus.

La gamine la considéra d'un air sceptique. Et, dans son esprit, une pensée fugace se fit jour... Mais sa Marraine prit la parole :

- Il faut quelque chose qui soit vraiment hors de prix. De l'or et des brillants. Tu vas lui dire que tu veux une longue cape d'or garnie de dix mille diamants. Même s'il trouve quelqu'un pour la fabriquer, il n'en aura jamais les moyens.

La gamine, morose, répondit sans conviction :

- C'est toi qui le dit, Marraine... On va bien voir.

Et effectivement, ce fut tout vu. Le Roi de l'Écran fit un prêt à six mois chez un bookmaker véreux, qui refourguait ses impayés à la Mafia, et posa la cape sur les épaules de la gamine dès le soir suivant.

En recevant ce troisième cadeau des mains de son Papounet, la gamine se sentit prise d'un vertige horrible. La vie, se désola-t-elle, ne se rapportait donc qu'à quelques zéros de plus ou de moins ? Elle fila dans sa chambre et s'y claquemura. Cinq secondes plus tard, sa Marraine tambourinait à la porte-fenêtre :

- Ma petite chérie, ouvre ! C'est Tatie ! Allons, je t'en prie, ouvre ! Je sais tout, j'ai trouvé, tout va s'arranger...

La gamine s'exécuta en traînant des savates.

- Je n'ose même pas imaginer ce que tu as encore inventé... Déclara-t-elle à sa Marraine en s'affalant sur le lit.

- Jusqu'à présent, on lui a demandé des trucs gentils : c'est là toute mon erreur. Mais écoute, tu vas lui dire que tu veux la peau de Golden Donkey comme carpette. Ça, il ne te l'accordera jamais...

La gamine fit un bond horrifié :

- QUOI !!! Mais c'est dégueulasse, ton idée ! Ah non hein ! Jamais, tu m'entends, JA-MAIS !!!

Golden Donkey, un étalon qui avait gagné quantité de courses prestigieuses, coulait désormais une retraite heureuse dans le ranch de son Papounet, qui vendait ses saillies à prix d'or. La gamine adorait le pur-sang, qu'elle avait vu naître et qu'elle considérait presque comme le frère qu'elle n'avait jamais eu.

- Mais justement, il ne ferait pas le moindre mal à ce canasson, tu le sais bien ! Quand tu lui auras demandé ça, il refusera, tu lui diras que tu ne veux plus l'épouser, et tout sera réglé une bonne fois pour toutes. C'est pas génial, comme plan ?

- Non, c'est pas génial. C'est même complètement NUL... De toute façon, j'en ai ras-le-bol de toutes ces histoires à la n'importe quoi. Sors de ma chambre, j'ai sommeil !

La Marraine pinça les lèvres.

- Si tu le prends comme ça, alors débrouille-toi toute seule ! Ciao !

La gamine, qui avait de la ressource et commençait à trouver l'atmosphère irrespirable, boucla ses valises, embarqua son ciel de lit, sa combinaison, son fouet et sa cape et décampa sans demander son reste.

- Dix-huit ans que je me coltine leurs crises et leurs drames, là, j'en ai plus que ma dose ! Pensa-t-elle avec humeur. Moi aussi je vais prendre du bon temps, pour changer.

Aussitôt dit, aussitôt fait : elle quitta Beverly Hills tout à fait soulagée et remonta la Côte jusqu'à San Francisco, où, après s'être essayée à toutes sortes de jobs alimentaires, elle se retrouva sans un sou. Il faut dire que mis à part chanter, danser et se masturber langoureusement, elle ne savait rien foutre de ses dix doigts. C'était une gosse de riches, aussi - il ne faudrait pas l'oublier.

Un jour qu'elle s'était garée un peu à l'écart dans le parking d'un motel, et qu'elle était occupée à se caresser le clitoris avec un délicieux petit vibro de poche, un beau mec très sexy, qui avait une drôle de pipe au bec, frappa gentiment sur le pare-brise. Il était grand, brun, distingué; la gamine le trouva immédiatement très sympathique. Sans redescendre sa jupe bleue marine, qu'elle avait roulée à sa taille, ni ôter du tableau de bord ses petits pieds moulés dans des soquettes blanches, elle lui sourit gracieusement et termina de se faire jouir, les joues vermeilles, la bouche ouverte et les cuisses palpitantes. C'était un sacré tableau, et le beau grand gars n'en rata pas une miette : il photographia nerveusement toute la scène, tandis qu'elle prenait son pied sans la moindre vergogne.

Ses problèmes d'orientation professionnelle disparurent comme par enchantement, dès ce moment-là. Après avoir fait la double page centrale du magazine dont le beau mec était le propriétaire, la gamine fut propulsée sur le devant de la scène et n'eut qu'à se baisser pour ramasser les propositions, qui pleuvaient dru, désormais. Comme elle adorait toujours autant John Willie et que les cadeaux de son Papounet servaient trop peu à son goût, elle entama joyeusement une carrière de pin-up et de strip-teaseuse qui, eu égard au fouet qu'elle maniait avec beaucoup d'habileté, prit un tournant radical après une courte semaine et la propulsa Dominatrix en moins de temps qu'il ne faut pour faire « schlak ».

Les relations qu'elle noua, si je puis dire, dans le milieu très interlope des amateurs de Bizarre, achevèrent de la déniaiser complètement - elle goûta à tout, se roula dans tout et eut tôt fait de devenir une véritable icône vivante. Un peu comme son Papounet, mais en beaucoup, beaucoup, beaucoup plus scandaleux. Des photos d'elle, toute cuirassée de vinyle noir, sanglée dans de fabuleux corsets de cuir ou perchée, entièrement nue, sur d'interminables talons aiguilles, avec à la main son fouet d'argent, se mirent à circuler sous le manteau : les clichés se vendaient si bien - et si loin - que l'argent semblait lui tomber du ciel. Une série surtout, où, déguisée en Chasseresse, elle arrosait fièrement un pauvre esclave qui se prosternait, à genoux sous elle, lui valut sur-le-champ son surnom de scène : « Piss Diane ». Il n'y a pas à dire, les sadomasos n'y vont pas par quatre chemins.

Une nuit qu'elle donnait un show privé dans une grindhouse de Market Street, et qu'elle ondulait, incendiaire, les seins à nu et la croupe moulée dans un minuscule string de latex rouge vif, une poignée de jeunes gugusses entra dans la salle en chahutant. Elle fit claquer son fouet, histoire de leur apprendre à vivre et à respecter le travail des artistes, et aperçut alors, plus cramoisi qu'un petit cul après une rude fessée, un type tout à fait mignon, tout à fait mal à l'aise et tout à fait subjugué. Très amusée de l'aventure, Piss Diane descendit de scène et vint se planter face à lui, le dominant de toute sa hauteur, avant de l'attraper par le bout du nez et de le traîner à sa suite, tandis qu'elle reculait à grandes enjambées vers les coulisses. Là, elle le menotta à une élingue inutilisée et, après lui avoir descendu son pantalon et son slip, elle partit en riant entre deux pendrillons et salua longuement le public. Les machinistes, hilares, ne bougèrent pas d'un pouce. Après le tomber de rideau, elle récupéra le petit mec et l'emmena dans sa loge.

Là, elle s'allongea sous son ciel de lit couleur du temps et, ayant attaché le petit mec au pied de sa couche, elle se mit à l'interroger d'une voix sèche. Il s'avéra que le petit mec, qui s'appelait Prince Young Junior, était de sortie avec quelques copains pour fêter son vingtième anniversaire. Il était l'héritier d'une des plus grosses fortunes de Californie, et il paniquait comme un veau à l'idée que ses parents apprennent où il passait la nuit. Piss Diane ne fit dès lors ni une ni deux : elle le ligota comme un salami et s'endormit paisiblement, en contemplant le lever de lune, après s'être longuement caressée. On s'imagine la nuit d'angoisse que passa Prince Jr, qui n'apprécia que très médiocrement son sort, sans se douter le moins du monde que des cohortes de masochistes auraient donné dix ans de leur vie pour être à sa place.

Le matin suivant, Piss Diane lui rendit sa liberté et le renvoya dans ses pénates avec une grande claque sur chaque fesse, car elle l'avait vraiment à la bonne, finalement. Ne cherchez pas à comprendre : les Dominatrix sont des femmes vraiment Bizarres. CQFD.

Dès qu'il fût rentré, Prince Jr se précipita au lit et n'en sortit plus. Sa rencontre avec Piss Diane, on s'en doute, l'avait profondément secoué, tant psychologiquement que sexuellement. Après y avoir réfléchi toute la nuit, il était absolument certain de ne ressentir AUCUN penchant masochiste; mais il était néanmoins fort troublé par de fréquentes et vigoureuses érections, dès qu'il évoquait le souvenir de la délicieuse créature qui s'était branlée devant lui avec un si charmant naturel. Autant le dire tout net : il était raide amoureux.

De son côté, Piss Diane ne pouvait oublier le joli Prince Jr, dont la splendide queue et les adorables manières lui avaient fait grande impression. « Ô Fouet ! Suspends ton vol ! », ne cessait-elle de soupirer, ce qui n'était pas très bon pour son commerce, évidemment.

Le statu quo dura quelques jours, au bout desquels les parents de Prince Jr commencèrent à s'inquiéter franchement : le petit était terré dans sa chambre, il bouffait à peine, ne sortait plus de son lit et ne se lavait plus. Et il puait comme une moufette. Ils firent venir des médecins, des psychiatres et des pasteurs, qui leur taxèrent un maximum de fric mais ne purent seulement pas se mettre d'accord sur la cause du mal mystérieux qui frappait le jeune héritier. Pour finir, ce fut Consuela, une petite boniche délurée - qui avait bien remarqué que les pyjamas de Prince Jr étaient trempés de foutre -, qui prit Madame sa mère à part et lui remit les pendules à l'heure :

- Il est amoureux, ne cherchez pas. Et ça doit être un sacré morceau, à mon avis, parce qu'il y laisse des litres...

Madame sa mère en fut très soulagée.

- Si ce n'est que ça, ce n'est pas bien grave. Il suffira de la lui faire épouser : il est grand temps de toute façon. Être encore puceau, à son âge, et avec une fortune pareille, c'est vraiment malheureux, hein... même mes copines du Country Club me mettent en boîte à son sujet.

Les parents se rendirent au chevet de leur fils et le harcelèrent afin qu'il leur donne le nom de l'heureuse élue. Prince Jr n'osa bien entendu par leur répondre... et ne trouva rien de mieux que de réclamer une pizza.

- Une pizza ? Quelle drôle d'idée... Mais bon, si ça peut te faire plaisir ! Je vais faire donner des ordres en cuis...

- NON ! Surtout pas ! Je veux une vraie pizza italienne, de chez un vrai italien. Dites à Consuela de monter, je vais lui donner ma commande.

- Consuela ? Mais enfin tu deviens fou, mon pauvre Junior... Alors qu'il suffit de passer un c...

- Je vous dis que je veux une pizza italienne et que je veux que ce soit Consuela qui aille me la chercher ! C'est pourtant simple, non ? S'énerva Junior, qui ne savait plus trop comment se dépatouiller dans ses mensonges.

Les parents sortirent de la chambre avec des mines d'enterrement, très inquiets quant à la santé mentale de leur fiston. Mais ils exaucèrent sa lubie, et Consuela partit aussitôt, mise par Junior dans la confidence, jusqu'au théâtre où officiait Piss Diane. La petite boniche, qui n'avait pas les yeux dans ses poches, fut rudement impressionnée par ce monde dont elle n'avait jamais eu la moindre idée, avant d'y entrer.

- ¡ Hay Madre ! Ça serait donc possible, de se faire PAYER pour être SERVIE ?! S'étonna-t-elle avec candeur.

Piss Diane l'accueillit chaleureusement et, lorsqu'elle sut que Prince Jr l'aimait d'amour, elle entrevit enfin une solution aux lubies de son Papounet, à son croissant ras-le-bol des monomaniaques du fétichisme et, surtout, à ses longues nuits de solitude, qu'elle passait à se masturber de plus en plus tristement.

Après quelques verres de vin, Piss Diane et Consuela avaient entièrement fait connaissance - et elles étaient passablement éméchées, il faut bien le reconnaître. En rigolant comme des andouilles, elles firent venir une pizza dans la loge, la sortirent de sa boîte, dessinèrent dans le fond une grande cible en forme de cœur, collèrent au centre un minuscule diamant prélevé sur la cape d'or, puis convinrent d'un plan d'action machiavélique. Ensuite, pendant que la pizza refroidissait, elles se mirent au lit et, s'étant déshabillées, elles se firent un ruisselant soixante-neuf. Après ça, elles se promirent de se revoir souvent; Consuela roula une magnifique pelle à Piss Diane et, tout en sifflotant, elle prit la pizza ratatinée et rentra chez ses patrons, qui l'attendaient avec angoisse.

Prince Jr, bien que la pizza fût froide depuis longtemps, se jeta dessus et la dévora - il n'avait plus rien avalé depuis trois jours; il aurait même bouffé la boîte, si on l'avait laissé faire. Consuela sauva les meubles, une fois de plus, en lui montrant la cible et en lui chuchotant à l'oreille ce que Piss Diane et elle avaient manigancé. Prince Jr trouva l'idée géniale et voulut la réaliser immédiatement.

- Papa, Maman, commença-t-il d'un ton ferme qu'on ne lui connaissait pas, vous savez à quel point j'aime les chevaux.

- Oui, bien sûr, mon chéri... Tu veux un nouveau yearling, peut-être ? Demanda très affectueusement sa mère.

- Non, pas du tout. Je veux me marier.

Les parents le lorgnèrent, soudain très inquiets : il n'allait quand même pas leur demander d'épouser une jument, des fois ?!

- Junior, pardonne-moi de te poser une nouvelle fois la question, mais te marier avec qui, exactement ? S'enquit son père d'une voix blanche.

- Me marier avec une femme qui sache élever et dresser les chevaux comme une Reine ! S'exclama-t-il.

- C'est de Sue-Ann dont tu veux parler, mon chéri ? Hasarda sa mère, qui ne voyait personne d'autre que la fille géante et obèse du plus grand propriétaire de chevaux de course de tout l'État.

- Hein ?! Ça va pas non ?! Et pourquoi pas un ours, tant qu'on y est ! Je n'ai personne en vue, je vous l'ai déjà dit vingt fois. Mais j'ai un plan.

- Un plan ?! Firent son père et sa mère, très étonnés.

- Oui, enfin, un test, si vous préférez. Au fond de cette boîte, il y a une cible; et vous voyez, le petit diamant, juste au centre ?

- Euh, oui...

- Et ben voilà : j'épouserai celle qui fera tomber ce petit diamant juste au milieu de l'anneau de ma chevalière, à cinq mètres, au premier coup de son fouet.

Ses parents blêmirent.

- Mon chéri, intervint prudemment sa mère, je regrette de t'avoir acheté ces satanés comics de chez Marvel... j'ai bien peur que ces histoires de super-héros ne te soient finalement montées à la tête.

- Mais rien à voir ! Faites une annonce à la une dans les journaux, je me fiche de l'âge, du physique ou de la fortune; tout ce que je veux, c'est qu'elle touche le cœur de ma cible. Vu ?

- Ne t'énerve pas, mon chéri, on va passer l'annonce, soupira son père, qui espérait qu'à la longue, il se fatigue et accepte d'épouser un bon parti, tout simplement.

Le lendemain, vers midi, une interminable file s'allongeait devant la propriété des Young. Des centaines de femmes se pressaient là, dans un chaos total : jeunes et vieilles, belles et laides, riches et pauvres, pas une ne manquait à l'appel. Successivement, elles tentèrent leur chance. Mais pas une ne réussit, on s'en doute... Il fallut même faire venir plusieurs fois des ambulances, car certaines d'entre elles se prirent le fouet en pleine tronche. C'est que c'est toute une technique, le fouet. Après une semaine entière de casting, il ne resta personne. Pas même Consuela, qui, pour donner le change, avait fait semblant de vouloir en être. Mais lesbienne comme elle l'était, ça ne risquait pas grand-chose, en fait.

Les parents, soulagés qu'il n'y ait pas eu de mort, et un peu indécis quant à la manière dont il fallait persuader Junior d'épouser une gentille jeune fille de son âge et de son milieu social, le rejoignirent dans sa chambre.

- Il n'y a plus personne, Junior, dit son père. Il faut être un peu raisonnable, maintenant. Dis-nous, qui ver...

- Si, il reste quelqu'un ! Protesta Consuela, qui s'était glissée à leur suite au chevet de Prince Jr.

Et là-dessus, Piss Diane, vêtue de sa combinaison et armée de son fouet d'argent, fit irruption dans la chambre.

Les parents poussèrent un cri de surprise.

- Mais qui êtes-vous !? S'exclama le père, qui était tout de même gonflé de poser la question, abonné qu'il était à la revue Bizarre.

- Peu importe qui je suis, répondit sévèrement Piss Diane, je viens pour le casting. Écartez-vous, ça va schlaker.

Et, d'un coup de fouet magistral, elle délogea le diamant, qui tomba pile au beau milieu de la bague de Prince Jr. Tous en restèrent bouche bée, à commencer par le principal intéressé, qui, à la voir en plein jour, la trouva encore plus bandante.

- Et voilà ! Conclut-elle d'un air royal. Bon, quand est-ce qu'on se marie, alors ?

Prince Junior sauta du lit.

- Tout de suite ! Allez, viens, on part pour Vegas !

Et ils s'enfuirent, tandis que les parents, médusés, restaient sur le carreau.

La cérémonie de mariage ne dura guère plus d'une vingtaine de minutes, mais la nuit de noces, alors là, pardon ! Trois jours après, ils étaient toujours cloîtrés dans leur suite Penthouse au Dunes, avec la pancarte « Do not disturb, fuck in progress » accrochée à la porte. Et pourtant, les distractions ne manquaient pas : entre le Show « Minsky goes to Paris » et les tables de Black Jack, il y avait de quoi faire. Mais allez proposer une récréation à deux jeunes mariés, tous deux puceaux, qui avaient rongé leur frein pendant si longtemps... Tout y passa, dès les premières découvertes finies : pénétrations diverses et variées, avec ou sans accessoires; gâteries à une, deux, trois et quatre mains, et même parfois un pied perdu; dégustations savantes des orifices, disponibles ou non, que la nature leur avait offerts; Kāma sūtra de la première à la dernière ligne, rien ne fut oublié. Lorsqu'ils émergèrent, ils étaient crevés mais ils pétaient la forme. Ils revinrent sagement à Cisco et avouèrent aux parents de Prince Jr les tenants et les aboutissants de leur mystérieuse union.

Le père de Junior, ravi, au fond, que sa bru soit une célèbre Dominatrix et ait fait à maintes reprises la couverture de Bizarre, ferma magnanimement les yeux sur le passé professionnel un peu houleux de Diane (il avait laissé tomber le « Piss », par souci des convenances). La mère, de son côté, n'était pas peu fière de la transformation miraculeuse de son grand nigaud de fils en un homme charmant, qui s'exprimait désormais avec force et foutait continuellement la main au cul de sa ravissante épouse.

L'on fit quérir le Roi de l'Écran, qui tomba dans les bras de sa fille en lui demandant pardon de toute son âme. Il avait foutu son psychanalyste en procès; dénoncé Adolfo à la Mafia, en leur expliquant que c'était lui qui refusait de payer l'échéance du prêt à six mois; arrêté les cachetons; pris un tournant radical dans sa carrière, en acceptant le rôle d'un travesti, dans une comédie aux côtés de Marylin Monroe; et fait tapageusement son coming-out - à la plus grande rage de son impresario - en épousant Lady Fairy Coral, une transsexuelle notoire, qui était autrefois un professeur de mathématiques très réputé du Massachusetts Institute of Technology. On le voit, en quelques semaines sans son Docteur, il n'avait pas chômé. Il faut bien l'admettre : la psychanalyse, c'est vraiment une belle saloperie.

Diane pardonna tout, les embrassa très affectueusement et, pour prouver qu'elle ne leur en voulait absolument pas, elle leur fit des cadeaux somptueux : la combinaison intégrale à son Papounet et le ciel de lit à son ex-Marraine. Elle revendit la cape en or et en diamants chez Christie's, en tira dix fois l'estimation haute, remboursa la Mafia et fit extrader le psychanalyste et Adolfo. Elle termina sa distribution des prix en dotant princièrement Consuela, à qui elle offrit en prime le fouet d'argent, afin qu'elle puisse lancer son propre business. Avec les sous qui restaient, elle acheta un ranch immense, où Junior et elle fondèrent un refuge pour les chevaux de course à la retraite.

Ils y vécurent ensuite de longues années de bonheur et de stupre, en se foutant du fric comme d'une guigne, et finirent donc totalement ruinés - mais magistralement heureux quand même, car l'amour, c'est bien connu, « ça ne s'achète pas ».