Le Pape rose d'Ulrich Brossius Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   
Le Pape rose d'Ulrich BrossiusRien. Je n'ai rien sur Ulrich Brossius; je ne sais ni qui il (elle ?) est, ni d'où il vient, ni s'il a écrit quoi que ce soit d'autre que le splendide « Pape rose » dont je vais parler. À l'évidence, l'ouvrage a eu un franc succès car les entrées sur le web l'indiquent très souvent comme étant épuisé. Pour un bouquin qui date de 1986, c'est un beau palmarès. Je l'ai cherché longtemps; il a suffi d'un coup de chance, le mois dernier, pour mettre la patte dessus. « Tout vient à point à qui sait attendre ». CQFD. Une dernière précision, avant d'entrer dans le vif du sujet : « Le Pape rose » m'a coûté deux petits euros, pas un centime de plus. Comme quoi...

Mais plantons le décor. S'il existait un SEUL livre que j'aurais aimé écrire, c'est celui-là. Honnêtement, je ne vois dans les cent quarante-trois pages du roman qu'absolue perfection. Tout, de l'intrigue au style en passant par les personnages, la morale de l'histoire et la finesse de la langue, tout, dis-je, est rigoureusement parfait dans ce « Pape rose » d'Ulrich Brossius. Si parfait qu'il me semble logique de ne trouver aucune information sur l'auteur à l'origine de ce chef-d'œuvre total. Car il ne fait aucun doute que la plume qui se cache derrière Ulrich Brossius a un fameux talent. Il est donc bien prudent de rester planqué sous un fumeux pseudonyme, puisque ce talent est mis au service d'une cause radicalement anti-religieuse : les positions de l'auteur au sujet de « certaine croyance » le placent en première ligne pour un assassinat intégriste de la plus abjecte nature. Je ne préciserai pas davantage. Que ceux qui peuvent comprendre comprennent.

Mais qu'en est-il, exactement ? Le narrateur, un « bon bourguignon » mélomane qui se nomme Ulrich Brossius, raconte par le menu ses péripéties dans une Europe retournée au chaos, après une crise économique épouvantable. [Nota bene : comme précisé dans l'introduction, « Le Pape rose » date de 1986 - visionnaire, par-dessus le marché.] Après un petit crochet en Confédération Helvétique, notre facétieux héros passe en Italie, avec la ferme intention de gagner Milan, et d'y rendre visite à un certain Bragmardus, musicien émérite et compositeur enragé. Mais ce qu'il découvre, une fois la frontière franchie, va le précipiter dans une sorte de road-movie échevelé, qui tient autant du roman d'anticipation que de la satire sociale la plus violente. Érotique, voire pornographique, « Le Pape rose » l'est sans conteste. Mais dans une langue verte et châtiée qui coupe certainement net toute velléité de censure. Le scandale du roman est ailleurs : dans la dénonciation virulente d'une certaine conception « capitaliste » de l'existence, dans les attaques aux armes (très) lourdes à l'encontre des religions et enfin dans la défense goguenarde d'une certaine culture paysanne pleine de bon sens et de bonhomie que nous avons malheureusement perdue. Bien vivre, semble s'enflammer Ulrich Brossius, c'est profiter de l'existence en se gardant des poisons que sont les Dieux, la Vertu et l'Argent. Où l'on comprend pourquoi, malgré son succès, « Le Pape rose » n'a pas été réédité depuis 1986.

Il faut lire « Le Pape rose », absolument. Si j'osais, j'irais même jusqu'à en publier le texte intégral, afin qu'il puisse circuler de nouveau. Mais je respecte trop le droit d'auteur pour me compromettre dans un forfait pareil. Je me contente simplement d'en signaler l'existence et d'en prescrire la lecture « séance tenante » à tous les muselés qui verdissent de rage dans leur coin, en se demandant où les choses vont « s'arrêter », au juste. [J'ai bien peur que si nul n'y prend garde, lesdites choses ne s'arrêteront pas, en fait. Mais c'est une autre histoire.]

« Le Pape rose » d'Ulrich Brossius, paru aux Éditions Ramsay (collection Libertines) en 1986. ISBN 2-85956-505-1.