Confession de ma vie de Wanda De Sacher-Masoch Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   
Confession de ma vie de Wanda De Sacher-Masoch Confession de ma vie (Meine Lebensbeichte), de Wanda de Sacher-Masoch (Angelika / Aurora Rümelin)

C'est en 1907, aux éditions du Mercure de France, que furent publiés les « mémoires » d'Aurora Rümelin, sous le nom de Wanda von Sacher-Masoch. La version dont il sera question ici est une réédition, parue chez Tchou en 1967 et préfacée par Pascal Pia.

Mais tout d'abord, un peu de biographie : ce ne sera pas sans mal. Les informations disponibles sur « Madame Von Sacher-Masoch n° 1 » sont en effet éparses et souvent fort imprécises. Une chose est sûre cependant : elle est née à Graz (Sud de l'Autriche) en 1845. Mariée en 1873 à Leopold Von Sacher-Masoch, le célèbre auteur de la « Vénus à la fourrure » (Venus im Pelz), elle vivra avec lui pendant une dizaine d'années et en aura, selon elle, trois enfants, dont un mort à la naissance. En 1882, celle que son mari appelle « Wanda » part pour Paris avec le journaliste Armand Rosenthal (Jacques Saint-Cère); mais leur liaison ne durera que cinq années environ. C'est en 1887 qu'un avis de divorce fut prononcé aux torts de « Wanda », par lequel Leopold Von Sacher-Masoch se trouvait libre de se remarier avec Hulda Meister, dont il avait déjà deux filles. La fin de la vie de Wanda est obscure, Wikipedia version allemande situe sa mort vers 1933, probablement en France.

Comme on le voit, l'envers du décor de « La Vénus à la fourrure » tient assez du capharnaüm et c'est ce qui fait tout l'intérêt de la confession de Wanda. Trop souvent, hélas, les analyses savantes qui sont faites de la « perversion masochiste » émanent de doctes plumes n'ayant pas la plus infime idée de ce qu'est réellement le masochisme. Or, à mon humble avis, disserter sans connaître le sujet de première main, c'est un peu comme tenter de faire des bulles de savon sous l'eau. Il y a un gouffre entre « analyser la pathologie de l'auteur de la Vénus à la fourrure » et « être dix ans l'épouse de l'auteur de la Vénus à la fourrure ». Ce gouffre, le récit de Wanda nous permet de le franchir d'un bond. Et l'atterrissage, autant le dire d'emblée, est très brutal.

Tout d'abord, étant donné les circonstances, il convient de prendre du recul en lisant cette autobiographie. N'oublions pas qu'un divorce a été prononcé, aux torts de Wanda-Aurora-Angelika, et qu'il n'est pas du tout exclu qu'une certaine dose de « règlements de comptes » ne soit diluée dans la réalité historique des faits. De nombreux détails entièrement subjectifs viennent parsemer la chronologie du récit; récit qui, de zones d'ombres en omissions, laisse une large place à l'interprétation personnelle. J'ai trouvé, pour ma part, que Wanda était aussi cinglée que Leopold - et c'est sans doute la vraie raison de leur divorce : ils étaient dans un dialogue de sourds. « Il n'est pire sourd que celui qui ne veut point entendre », dit le proverbe. Et en matière de surdité, le masochiste est un véritable virtuose. L'union de Leopold et de Wanda est basée sur un malentendu bilatéral : lui croit voir en elle l'héroïne de son roman, elle croit voir en lui le talentueux auteur (Dichter) avec qui vivre un idéal de bonheur romantique à souhait. Là où ils se fourvoient tous deux de manière tragique, c'est que derrière les concepts (l'héroïne, l'auteur), il n'y a que deux être humains avec leurs faiblesses, leurs médiocrités et leurs petits égoïsmes. Jamais leur mariage n'est présenté comme un mariage d'amour : où, dans de telles conditions, trouver un ciment qui tienne ? L'argent ? Ils se débattent continuellement dans les anciennes dettes de Leopold, contractées auprès de ses précédentes maîtresses : Madame Kottowitz et la Baronne Von Pistor. Leopold qui, aux dires de Wanda, est totalement incapable de gérer un budget. Le sexe ? Outre les grossesses à répétition de Wanda, Leopold n'a qu'une idée en tête : réaliser son fantasme d'être cocufié par sa femme avec « le Grec », un autre personnage du roman « La Vénus à la fourrure ». Le respect du modèle bourgeois ? Leopold ne tarit pas de reproches envers les aspirations de son épouse à mener une « petite vie de famille bien pépère ». Dès les premières années, ce mariage construit sur des sables mouvants va prendre l'eau de toutes parts : Wanda rêvait d'un poète qui ferait un mari protecteur et un père affectueux, Leopold d'une Dominatrice bardée de fourrure qui le battrait et le réduirait en esclavage. Ça ne pouvait donc que foirer, et ça foire, avec pertes et fracas. Surtout pour elle, d'origine très modeste et sans talent particulier, si ce n'est celui de se « fourrer » dans des situations impossibles.

Mais le véritable intérêt des confessions de Wanda, c'est qu'enfin la Vénus parle, de sa propre voix et de son propre aveu. Plus question ici de mise en scène, de contrat, d'envolée littéraire ou de mysticisme masochiste : c'est l'autre camp qui raconte, avec ses mots, toute la souffrance qu'il y a dans la position de Déesse-objet. Nous sommes bel et bien au degré zéro de la création, en pleine « matière », les pieds dans la ... Car elle n'est pas sadique pour un sou, la pauvre Aurora Rümelin, même pas « dienend sadist », comme le disent les membres de la Doma-Society. Elle en bave, par 30 degrés à l'ombre, dans des « kazabaïkas » de velours doublées de fourrure d'hermine. Ou par moins 24, quelques jours après son accouchement, lorsque Leopold l'expédie manu militari dans le train pour Mürzzuschlag (ville au nom si musicalement évocateur, située à 93 kilomètres de leur domicile...), afin de l'y cocufier avec un certain Teitelbaum, recruté par petites annonces. Et si par malheur elle ose refuser d'obéir, il cesse de travailler jusqu'à ce qu'elle cède, trop angoissée par leur situation matérielle et la santé de leurs enfants. En gros, elle n'a rien à dire : c'est fouette ou crève.

Exagère-t-elle ? Ment-elle ? Je ne le pense pas. Dominer un masochiste, un vrai, exige une force mentale que la malheureuse ne possède visiblement pas, trop perdue elle-même dans ses propres traumatismes de jeunesse. Leopold est diplômé en droit; mais c'est surtout un auteur et un manipulateur de premier ordre : sa rhétorique est implacable. La seule méthode qui eût marché pour avoir la paix ? Une muselière, bien serrée, et un cachot dans une cave, avec juste de quoi écrire. Et dix coups de fouet par nouvelle achevée. Pas un de plus. Si tu veux ta dose, tu bosses... Mais elle n'y pense pas, Aurora, elle ne songe qu'à ses enfants, aux factures à payer, à l'injustice du Destin. Elle connaît son mari, mais elle ne le comprendra jamais : cette « perversion » reste un mystère pour elle du début à la fin. Et pourtant, elle en détaille tous les aspects : les « descentes » dues au manque d'endorphine, les « shoots » après les jeux, les « oublis » des convenances, lorsque le scénario se substitue à la vraie vie, les « magouilles » continuelles avec la base de négociation que lui seul impose, et enfin le recours à de monstrueux procédés de chantage affectif et moral.

Elle finira broyée, évidemment. Celle qui la remplacera, Hulda Meister (patronyme on ne peut plus approprié), demeurera avec Leopold jusqu'à la mort de celui-ci, en 1895. La légende veut qu'à la fin de sa vie, Leopold n'avait plus toutes ses cases. Mais les avait-il jamais eues ?

Confession de ma vie a été réédité chez Gallimard (collection infini) en 1989 (ISBN 978-2070715169 ). On le trouve encore assez facilement d'occasion sur le web.