Pieds Nus de Michael Kleeberg Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   
Pieds Nus, de Michael Kleeberg De Michael Kleeberg, prolixe écrivain allemand né en 1959, je n'ai jamais lu que ce roman, paru en 1995 aux Éditions Verlag Kiepenheuer & Witsch à Cologne, puis traduit en français et publié en 1996 par Austral. Je n'avais à vrai dire jamais entendu parler de cet auteur, avant de tomber sur son roman, à La Musardine, certain jour de printemps de 2003. C'était il y a longtemps, donc; et je précise que j'en suis à ma énième relecture depuis : « Pieds Nus » est en effet sur l'étagère juste en-dessous des œuvres de Sade, planche prestigieuse s'il en est, et que j'ai consacrée à mon « top-dix » littéraire. C'est dire.

Pour les curieux, Michael Kleeberg a un fort beau site web (en allemand), qui présente l'ensemble de son travail. Formé à la communication visuelle, Michael Kleeberg a séjourné à Rome, puis à Amsterdam, avant de s'installer à Paris en 1986, où il fut directeur associé d'une agence de publicité jusqu'en 1994. Il a également à son actif une impressionnante série de traductions d'œuvres littéraires vers l'allemand, dont certains ouvrages de Proust, Barbey d'Aurevilly et Huysmans. Actuellement, il vit et écrit à Berlin.

« Pieds Nus » (« Barfuß », à l'origine) fut son tout premier roman traduit en français et le quatrième dans sa bibliographie. Mais plantons quelques éléments du décor.

Le héros de « Pieds Nus », K., a trente ans et vit à Paris, où il est directeur-associé d'une agence de publicité. Un jour, par erreur, il forme sur son Minitel un code qui le mène tout droit à un service sadomasochiste. K., dont le chat vient juste de mourir et qui est un peu déprimé, s'y inscrit alors « par jeu » sous le pseudonyme de « Pieds Nus » et se met à explorer les méandres de l'annuaire « SADO ». Mais ce qui n'est au départ qu'un simple divertissement va vite le dépasser totalement, surtout après qu'il ait rencontré Daniel, un Maître à la recherche d'un éphèbe. La situation de K. bascule alors, d'autant plus puissamment que sa femme vient de tomber enceinte. Je m'arrête ici, pour ne pas gâcher aux amateurs la découverte de la suite de l'intrigue.

« Pieds Nus » n'est sans doute pas à proprement parler un récit auto-biographique, mais la longue introspection du héros donne au roman toute sa texture et tout son style. La plume de Michael Kleeberg est à la fois chirurgicale et pleine de lyrisme; le lecteur oscille continuellement entre l'ordre et le chaos, au rythme des errements de K., dont le stream of consciousness frôle en alternance la poésie et la démence. Ce mouvement de balancier, qui va s'accélérant, se résout au final en un fantastique tableau de Maître, au sens propre, qui ravage littéralement tout ce qui a précédé, sans pour autant le détruire. La chute de « Pieds Nus » est, sous cet aspect, profondément libératrice et structurante : du Grand Art, donc.

Le style de Michael Kleeberg est d'un classicisme académique total; c'est une véritable merveille de le lire, d'autant plus que la musicalité de sa prose est absolument parfaite. Le roman a d'ailleurs été adapté au théâtre par Jörn Mensching en 2010, avec Olivier Haller dans le rôle de K. Ce n'est guère étonnant : « Pieds Nus » gagne en effet beaucoup à être lu à haute voix, c'est à cet instant que le texte prend corps et acquiert toute sa puissance littéraire. « Pieds Nus » est un Chant : il est impossible d'en effacer la mélodie de sa mémoire, après l'avoir lu.

Ré-édité chez Denoël en 2004, « Pieds Nus » est une acquisition majeure pour toute bibliothèque SM digne de ce nom. « Pieds Nus », ISBN 2-207-25575-1.