L'Oeil de vieux de Tiziano Scarpa Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   

L'Oeil de vieux de Tiziano Scarpa

Tiziano Scarpa – L'oeil de vieux, bref essai sur l'avant-dernière histoire d'amour vécue par la femme à laquelle je désirais m'unir par un lien affectif durable.

 

Il est des rencontres fortuites qui ont des allures de conspiration lyrico-littéraire. C'est en soutenant, les mains pleines et les genoux broyés, une complète rangée d'ouvrages au rabais chez mon receleur habituel que l'Oeil de vieux m'est tombé dans le giron, tandis que le reste de l'étagère s'effondrait avec fracas sur le sol crasseux, où j'étais occupée à ramper à quatre pattes, pour ne pas changer. C'est le nom de famille de l'auteur qui attira immédiatement mon attention : scarpa, en italien, ça veut dire chaussure. Et il se trouve que je suis une fétichiste invétérée de la chaussure - c'est le genre de signe épiphanique et prémonitoire qu'il ne faut absolument pas dédaigner, si l'on ne veut pas se mettre les mânes littéraires à dos.

 

Vérification faite, le petit ouvrage - illustré d'un manga dégoulinant en couverture - ne coûtant que la modique somme de quatre euros, j'eus vite fait de l'embarquer dans ma fournée dominicale de trouvailles inattendues. Il resta d'ailleurs de long mois sur la pile des lectures en retard, pour la peine.

 

Or, tôt ou tard, les livres se font entendre et c'est à la faveur d'une énième infection virale galopante que je plongeai dans les eaux troubles du chef de file des « Cannibales » transalpins. Que dire ? C'est un chef-d'oeuvre, ni plus ni moins, qui tient autant des délires Tarantinesques que de la bohème Lurhmanniaque, non sans emprunter à la littérature ergodique de Danielewski une technique de narration éclatée, faites d'éléments totalement disparates et de détournements stylistiques parfaitement improbables, le tout lié à grand renfort de sexe, de sperme et d'humour caustique. Un chef-d'oeuvre, disais-je, non seulement d'inventivité et de poésie, mais aussi d'érudition et d'introspection psychologique. Le chapitre sept vaut à lui tout seul son pesant de pépites : reprenant le banquet de Platon et faisant s'affronter Alcibiade et Éryximaque, Tiziano Scarpa se fend d'un essai sur la nature du suc masculin dans le bas capitalisme, qui est sans nul doute l'un des passages les plus hilarants que j'aie jamais lu sur l'épineuse question, si je puis dire, des pollutions masculines.

 

Je ne puis passer sous silence un autre chapitre, le numéro 19, où l'un des protagonistes y va de sa lettre au courrier des lecteurs de la revue pornographique KissManga, en nous gratifiant au passage d'une des plus belles considérations sur le métier de dessinateur érotique qu'il m'ait jamais été donné de trouver. Le tout avec une admirable candeur et un sérieux de jeune homme très comme il faut, bien qu'il ne soit question que de sexes qui dégoulinent et de pornographie toute plate. Un chef-d'oeuvre, je le répète, un chef-d'oeuvre !

 

Et, pour couronner le tout, une ravissante histoire d'amour en prime. Un seul réflexe : foncer chez le premier libraire et s'offrir L'oeil de vieux illico prestissimo. C'est chez Christian Bourgeois Éditeur, ISBN 2-267-01533-1.