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L'humeur du jour
Écrit par Miriam   
Samedi, 28 Février 2009 16:54

 

L'origine du Monde de Gustave Courbet
L'origine du Monde de Gustave Courbet - original en ligne chez Star Trek Man de Wikipedia


Et voilà, c'est reparti : L'origine du Monde de Gustave Courbet est de nouveau le centre d'une controverse enflammée sur la nature pornographique d'un artefact. J'en parlais il y a tout juste huit jours à propos de l'ouvrage l'Histoire de l'Érotisme de Pierre-Marc de Biasi.

Comme pour étayer mon propos, le 24 février 2009, une dépêche AFP tombait : au Nord du Portugal, à Braga, la police a procédé à la saisie de cinq exemplaires d'un livre intitulé Pornocratie, dans le cadre d'une foire du livre. Procès-verbal fut également dressé à l'encontre du vendeur qui se trouvait sur les lieux, du fait du "contenu pornographique" des images en première de couverture. Où ma remarque sur le scellé enveloppant l'Histoire de l'Érotisme, assorti d'un bandeau, prend tout son sens... La dépêche nous apprend en outre que les autorités policières ont été interpellées par l'éditeur Antonio Lopes, qui aurait dénoncé "une honte, un attentat à la démocratie et un acte de censure". En réponse, le Sous-intendant Fernando Henriques Almeida, responsable de la Police de Sécurité Publique (PSP), aurait rejeté les accusations de censure en arguant que, je cite la dépêche : "ses hommes avaient agi à la demande des parents d'un groupe d'enfants dont cette image avait attiré l'attention" et qu'ils avaient pris ces mesures "non pas par censure mais pour éviter des accrochages" entre les parents et les libraires.

Et la boucle est bouclée : c'est toujours le même cirque ! Déjà, en 2006, une affaire similaire s'était déroulée à Nice, à la Galerie Helenbeck, qui avait eu la mauvaise bonne idée d'accrocher en vitrine une oeuvre de l'artiste marseillais Gilles Traquini, hommage au tableau de Courbet. Il n'avait pas fallu plus de dix minutes pour que deux policiers n'interviennent et n'ordonnent le décrochage immédiat du tableau, pour ensuite exiger que la mention "interdit aux moins de dix-huit ans" figure à l'entrée de la Galerie. La directrice de la galerie, Brigitte Helenbeck, avait réagi en estimant que "ces plaintes, ces dénonciations de passants ou du voisinage ainsi que l'intervention de la police" constituaient "une totale régression". Au final, n'en déplaise aux bien-pensants, cette publicité inespérée n'aurait pourtant pas fait autant de tort à la Galerie qu'on ne l'espérait sans doute, dans le camp des adversaires.

J'en reviens dès lors à mon billet précédent, où je m'interrogeais sur l'incohérence totale qui règne actuellement, dès qu'il s'agit de représenter le corps féminin, en tout ou en partie.

Il n'est pas dans mes habitudes de faire de la publicité pour d'autres sites; mais je souhaite illustrer mon propos. En introduisant le mot-clé "accouchement" dans Google, on peut par exemple tomber ici. Sur ce site, dont l'url, "les enfants et le monde" semble tout à fait inoffensive, la zone d'en-tête fait la part belle à l'iconographie standard en matière de nouveaux-nés : gif animé de Tigrou et minuscules pieds d'un bébé reposant dans des mains de femme. Si l'on parcourt la page qui correspond au critère de recherche sélectionné, on trouve le reportage photo d'un accouchement suivi minute par minute, détaillant la phase d'expulsion, illustré par des gros plans de la vulve dilatée de la parturiente. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Certaines émissions dites de "vulgarisation", destinées au jeune public, présentent également en détail les différentes phases de la naissance, sans que quiconque y trouve à redire. Loin de moi l'idée de dénigrer un accouchement. Mais je pose une question toute simple : quel est le critère universel qui détermine que L'origine du Monde de Courbet soit "pornographique", alors que le reportage de l'accouchement minute par minute évoqué plus haut soit "un magnifique moment d'émotion" ? Jusqu'à maintenant, je n'ai encore trouvé aucune réponse univoque et cohérente.

Il ne me reste plus qu'à espérer que le 21ème siècle aboutisse enfin à une prise de conscience collective et mondiale : représenter un sexe féminin équivaut à représenter un sexe féminin. J'irais même plus loin : représenter le sexe équivaut à représenter le sexe. Toutes les bonnes excuses dans lesquelles on se drape pour rejeter ou au contraire pour autoriser ces représentations, qui iraient du "beau" au "pornographique", sont de dérisoires tentatives d'imposer des visions et des goûts personnels parfaitement subjectifs et liés à un contexte forcément transitoire. Entre cette attitude raidie et la dictature pure et dure, il n'y a qu'un pas. Pas que certains, de nos jours, franchissent allègrement, dans l'indifférence générale.