L'histoire de l'érotisme - De l'Olympe au cybersexe (Pierre-Marc De Biasi) Imprimer
L'humeur du jour
Écrit par Miriam   
Vendredi, 20 Février 2009 22:20

 

Histoire de l'érotisme de Pierre-Marc De Biasi

 

 

Drôle de rencontre avec cet ouvrage, paru dans la Collection Découvertes Gallimard, Maison que je n'attendais certainement pas sur ce terrain-ci. Sans trop savoir ce que j'achetais, je mis néanmoins ma trouvaille dans mon petit panier, ravie de la photo de couverture, agacée par l'hypocrisie de l'emballage sous cellophane soigneusement scellé et rudement pantoise devant l'avertissement "ce livre n'est pas destiné au jeune public" rajouté sur le bandeau par-dessus l'emballage. Je ne cesserai jamais de m'étonner de la complète incohérence de l'époque à laquelle je vis, qui feint de se formaliser de ce que les jeunes têtes blondes pourraient être traumatisées en tombant nez-à-nez, si je puis dire, avec l'Origine du Monde de Courbet; alors que la moindre émission de TV sur la naissance y va désormais de son petit reportage sur les parturientes en train d'accoucher, en (très) gros plan et aux heures de grande écoute, qui plus est. Et je ne parle bien évidemment pas des publicités dans les abribus, à Noël, quand la campagne anti-foie gras de Gaïa étale à la face du monde le Grand Dress Code Formel cuir et ball-gag. Enfin, soit.

Revenons-en à notre histoire de l'érotisme - un genre déjà bien exploité (ne citons que le seul Lo Duca, malheureusement disparu en 2004, à qui nous devons dix années de Bibliothèque Internationale de l'Érotologie chez Pauvert - ce qui n'est pas rien). Comment se tirer du périlleux exercice de synthèse consistant à faire entrer, illustrations comprises, l'histoire de l'érotisme de l'apparition de l'humanité à nos jours ? Le tout bouclé en 144 pages exactement, abécédaire non compris ?

J'étais fort sceptique, reconnaissons-le : j'attendais l'auteur au tournant de la simplification abusive pour avoir une bonne raison de m'emporter, avec ma véhémence coutumière, contre l'appauvrissement de sens et le nivellement par le bas. Et bien, Pierre-Marc De Biasi a solidement rabattu mon grand caquet : son ouvrage est une réussite, je tiens à le souligner. J'en ai même appris certaines petites choses que j'ignorais : c'est du fort beau boulot. L'iconographie riche et soigneusement choisie, les commentaires hors-texte tout à fait judicieux et la parfaite cohérence narrative (les transitions entre les différents chapitres sont particulièrement fluides) font de cet ouvrage une excellente référence, synoptique, certes, mais néanmoins tout à fait rigoureuse. L'auteur y développe son analyse personnelle des péripéties d'Éros au cours des siècles et je ne suis pas loin de le rejoindre, sur certains points. Surtout sur celui de la conclusion, en fait, que je vous livre car je la trouve excellente : "Notre âge technologique et consumériste brouille les lignes de partage entre une pornographie de masse qui alimente le commerce numérique, une exploitation du désir sexuel à la solde de l'industrie et ce qui pourrait être un véritable érotisme, vecteur de culture, de liberté collective et d'épanouissement individuel. [...] Alors qu'on le croyait moribond, le plus vieil ennemi d'Éros est de retour et affiche une santé d'enfer : c'est l'inquisiteur [...], le jeteur d'anathèmes et de [...], la figure millénaire du censeur iconoclaste qui exige le bûcher pour la luxure et ses images diaboliques. Mais à l'ennemi héréditaire s'ajoute désormais un nouvel adversaire au double visage juvénile et avenant : d'un côté, le marchand de plaisir virtuel, le pornographe communicationnel et, de l'autre, le prophète de l'orgasme quotidien, le pousse-à-jouir sans entraves qui profère l'injonction permanente au plaisir. Tabou ou obsession, laquelle des deux menaces est la plus dangereuse ? [...] L'érotisme ne s'oppose pas à la pornographie comme l'implicite à l'explicite, le gracieux au vulgaire, le doux au brutal. Le secret d'Éros n'est pas la dissimulation : son désir sanctifie tout. Non. C'est une affaire de rythme. Au cycle court du "tout, tout de suite" consumériste, l'érotisme oppose la durée et la médiation : le différé intensifie le désir, l'ailleurs d'une représentation qui le métamorphose en beauté, l'écart d'une échappée physique dans l'éternité. [...]"

Une belle trouvaille, au final, qui vaut très largement les quatorze euros que j'ai dépensés...