Lectures érotiques - Varia
Histoire des peines de sexe de Gérard Zwang Imprimer
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Écrit par Miriam   

Histoire des peines de sexe de Gérard Zwang Avant d'entrer dans cet article-ci, je souhaiterais me fendre d'un petit « disclaimer », comme on dit Outre-Atlantique. Le voici. S'il devait un jour arriver - probabilité très infime il est vrai - que par le plus extrême des hasards Monsieur le Docteur Zwang lise ces lignes, je lui demande humblement de ne pas (trop) se scandaliser d'être cité ici. Et par deux fois encore ! - sans doute est-ce d'ailleurs très provisoire, j'ai encore bien d'autres livres de sa plume à présenter...  (voir pour l'instant l'article sur sa Lettre ouverte aux mal-baisants). En effet, même si Monsieur le Docteur Zwang serait tout à fait en droit de me couvrir d'insultes (ce qu'il ne manquerait certainement pas de faire, le cas échéant), je me dois malheureusement de l'assurer de l'immense admiration que j'ai pour lui en tant que scientifique, en tant qu'homme, en tant qu'humaniste et en tant qu'artiste. Ce « bienfaiteur de l'humanité » (un terme qu'il affectionne) est un farouche adversaire du baroque et de Sade. Nous sommes donc ennemis par la force des baïonnettes - bien que de mon côté j'éprouve énormément de sympathie pour lui, je le répète. On comprendra néanmoins pourquoi il ne pourrait que haïr de toutes ses forces une femme telle que moi; une femme qui porte Les Arts Florissants aux nues; une femme ouvertement et inconditionnellement « sadienne » depuis l'âge de 14 ans (et pour cause); une femme enfin qui pratique le BDSM contre vents et marées. En clair, une sadomaso pure et dure. Mais enfin, eu égard aux ensembles de Venn, nous partageons tout de même certaines vues communes, Monsieur le Docteur Zwang et moi : un  anticléricalisme militant et forcené; un rejet radical de toute freuderie, diluée ou non; un amour immodéré pour le classicisme (aaah ! Bach ! Mozart ! La Renaissance !) et enfin une confiance absolue en la science comme outil de connaissance. Je vous demande pardon, Monsieur le Docteur Zwang, d'avance et très courtoisement, si je me propose de faire une deuxième fois l'éloge de votre travail en ces lieux délétères. Fin du disclaimer.

Gérard Zwang, pour les quelques lecteurs et lectrices qui ne le connaîtraient pas, est un chirurgien et urologue français, né à Paris le 16 juin 1930. Son premier ouvrage, « Le Sexe de la Femme », paru en 1967, est un monument. Pour la première fois, un médecin s'efforce de donner une description scientifique et anatomique fiable des organes génitaux féminins, jusque-là présentés des façons les plus farfelues. Très influencé par les travaux de Konrad Lorenz, Gérard Zwang est l'un des fondateurs de la Société française de sexologie clinique et un pionnier dans la lutte contre les mutilations sexuelles (excision, circoncision), notamment celles perpétrées sur des enfants. Il est d'ailleurs président d'honneur de l'Association contre la Mutilation des Enfants. Entre autres ouvrages, citons « La fonction érotique » (1972), « Pathologie sexuelle » (1980), « La Statue de Freud » (1985) et last but not least « L'Atlas du Sexe de la Femme » (1967) et l' « Éloge du Con » (2001).

Dans son « Histoire des peines de sexe », Gérard Zwang propose un survol des « déboires » divers et variés qui ont accablé la fonction érotique humaine depuis les temps immémoriaux. Avec une mention de (dés)honneur pour les trois monothéismes. L'auteur est athée, laïc jusqu'aux orteils (pour ne pas citer quelque autre partie intime de son anatomie). Il ne se prive pas plus de traîner les Dogmes religieux dans la boue tout au long de son « Histoire des peines de sexe » que dans sa « Lettre ouverte aux mal-baisants ». Une cohérence bien stricte et bien droite - bien sadienne - comme je les admire et comme je les respecte toujours. La documentation sur laquelle s'appuie Gérard Zwang est riche et rigoureuse. Une iconographie fort soigneusement choisie illustre parfaitement ses propos. La bibliographie est un modèle du genre et il pousse l'amabilité jusqu'à inclure une table des illustrations ET une chronologie de - 30.000 avant JC jusqu'à 1993 (date de fin de rédaction de l'ouvrage).

Bien sûr, l'ouvrage n'est pas neutre. Autant être prévenu. Gérard Zwang a ses bêtes noires, avec bien au centre la psychanalyse (psychaNAZElyse...) et son « Grand Chef » viennois psychopathe. Sade, les sadomasos, les pervers et tutti quanti, à droite. Et les féministes militantes / les activistes homosexuel/le/s, à gauche. Dont Shere Hite, qu'il accuse de n'être pas « universitaire » - elle n'a en effet obtenu qu'un diplôme en histoire aux États-Unis et non un doctorat en médecine à Paris; ce dédain est « logique » dans le contexte de « grands mandarins » d'une alma mater européenne. Bien sûr aussi, l'ouvrage n'est pas d'un abord facile. Gérard Zwang est une plume redoutable, acerbe, méchante, insultante parfois. Il écrit en digne héritier des humanités « latin-grec » dont il a visiblement retenu les leçons. Le lire nécessite parfois des ajustements de logique, pour les pauvres gosses post-soixante-huiteries qui, comme moi, n'ont pas eu la CHANCE d'apprendre à penser en Grec et/ou en Latin. Il ne s'abaisse d'ailleurs pas à traduire les expressions en Grec classique (avec graphie originale) qui émaillent son texte. Celles et ceux qui n'y comprennent rien n'ont qu'à se dépatouiller avec un dictionnaire, s'ils en ont un. Cette attitude supérieure est blessante - mais je la comprends; elle fut la mienne pendant bien des années. Il a bien aussi quelques complaisances, pour  l'antiquité gréco-romaine, par exemple. Gérard Zwang a ses marottes, évidemment. C'est tout naturel. Cela permet de baliser son discours sans effort particulier, de le recadrer dans un contexte parfaitement délimité. On sait toujours où l'on se situe, en lisant Zwang. Comme avec Sade ! Quel dommage que d'autres excellents auteurs ne prennent pas exemple sur cette subjectivité librement assumée et rigoureusement cohérente qui fait tout le charme de lecture des textes profondément engagés.

Enfin j'ai véritablement adoré les postulats éthologiques sur lesquels Gérard Zwang s'appuie. Je suis une skinérienne repentie, après de brèves rencontres faites avec des extraits de Mac Lean ou de Changeux, en suant d'effort - je ne suis ni neuro-endocrinologue ni neuro-biologiste ! J'adhère totalement aux théories comportementales soutenues par Gérard Zwang, notamment en ce qui concerne les « perversions » (je préfère le terme « déviances »). Lorsqu'il affirme, par exemple, que « le propre du pervers est justement de rester insensible, par vice de constitution, au remords, aux reproches de « sa conscience » - et de son sens moral, biologique avant d'accueillir l'information culturelle », je ne peux que me lever et applaudir debout. C'est la meilleure définition de la perversion que j'aie jamais lue. Je le répète, mon motto favori est « je ne suis pas un exemple à suivre, mais je sais très bien où je vais ». Je SAIS que je suis anormale et je SAIS que les normaux ne PEUVENT pas me comprendre (ni même parfois, très prosaïquement, me tolérer). Ce que je voudrais, c'est comprendre POURQUOI je suis anormale. Et surtout COMMENT ça marche. Avoir deux fils (ou plus) qui se touchent, c'est embêtant mais on peut apprendre à vivre avec. Mais être continuellement en bute à l'ostracisme social, c'est vraiment usant. Pourquoi accepte-t-on les diabétiques ou les hémophiles, et pas celles ou ceux qui ont des fils qui se touchent - ou des schémas implantés de travers - et qui mettent un point d'honneur à ne nuire à personne ???!!! Tout simplement parce qu'il n'existe aucune étude scientifique sérieuse, aucune nosographie, des pathologies induites par les fils qui se touchent. Gérard Zwang, lorsqu'il envisage des pistes d'avenir à la fin de son « Histoire des peines de sexe », avance très judicieusement : «  si les masochistes jouissent réellement de sensations érogènes déclenchées par des stimuli nociceptifs, ne faudrait-il pas pratiquer des explorations de leur neurochimie médiatrice ? » Et je réponds en sautant de joie : « Oooh siiiiii ! Présente, Monsieur le Docteur Zwang ! J'offre ma cravache et mon soumis à la science ! Allons voir du côté de la recaption de la sérotonine, allons nous promener dans les bois, de par cette grosse glande endocrine qui s'appelle un cerveau, explorer les systèmes para et orthosympathique et voir qui, de l'endorphine ou du reste, court-circuite tout le système !!! » Histoire de bien démontrer que les « vrais » sadomasos, dont je fais partie, ne sont qu'une infime population déviante qu'il ne faut SURTOUT PAS imiter quand on n'en fait pas partie - même (SURTOUT) si c'est à la mode...

Le progrès moral est à ce prix. Lecture indispensable, donc. « Histoire des peines de sexe » de Gérard Zwang, paru aux Éditions Maloine, ISBN 2-224-01996-3.

 
L'érotisme de Georges Bataille Imprimer
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Écrit par Miriam   
L'érotisme de Georges BatailleRelativement méconnu du grand public, Georges Bataille n'en est pas moins une des références sulfureuses et incontournables de l'intelligentsia franco-centriste. Mais commençons par une brève biographie.

Né en 1897 à Billom (Puy-de-Dôme) et mort en 1962 à Paris, Georges Bataille est un digne enfant du 20ème siècle. Enfant à plus d'un titre, en fait, comme je l'exprimerai plus loin. Son enfance, puisque nous y sommes, n'est sans doute pas très insouciante. Son père, syphilitique et aveugle, et sa mère, dépressive, contribuèrent-ils à forger la personnalité tout à fait singulière de leur fils ? La question est posée. Élevé dans l'irréligion (il fallait le faire, à l'époque...), Georges Bataille débute fort tôt sa carrière de transgresseur en se convertissant au catholicisme en 1917.

Faut-il y voir un monumental « je vous e... » adressé à sa mère ? Mère qui, précisément, avait décidé de fuir l'artillerie allemande en 1914, laissant son époux malade et aveugle se débrouiller seul à Reims, tandis qu'elle prenait les enfants sous le bras et retournait dans sa famille à Rioms-ès-Montagne (Cantal). Conséquence : le père de Georges Bataille mourra seul sous les bombardements en 1915. Ou faut-il plus simplement noter que, dès l'adolescence, Georges Bataille est travaillé par de puissantes pulsions mystiques ? Toujours est-il que le tempérament pour le moins « brûlant » de notre apprenti curé lui barre bien vite la route (il reconnaîtra lui-même avoir voulu « se ruiner » dans les nuits blanches, l'alcool et la fréquentation de milieux interlopes). Sa vocation de prêtre ne dure d'ailleurs que le temps que durent les roses. Et il perd la foi en 1920, selon la légende peu après avoir soupé chez Henri Bergson à Londres, qui lui aurait refilé son « Le Rire » à lire. Sacré Henri...

De là, Georges Bataille mettra un point d'honneur à rire (mais un rire pas vraiment joyeux) et à s'écarter de la norme. Et autant l'admettre, il y parviendra parfaitement. Son diplôme d'archiviste-paléographe en poche, Georges Bataille est libre de se lancer dans la mêlée. Et il s'y jette, rencontre Michel Leiris, Boris Souvarine, André Breton et les surréalistes, Albert Camus, René Char, Picasso (et Dora Maar, évidemment...), Jean Paulhan ou Pierre Klossowski. Lorsqu'il se met à publier, c'est le pavé dans la mare. Son « Histoire de l'œil » (édité clandestinement en 1928 sous le pseudonyme de Lord Auch) inaugure une série de textes qui seront immédiatement qualifiés d'obscénités dégoûtantes par ses contemporains. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Il y a le Georges Bataille de « L'anus solaire », « Madame Edwarda » ou « Dirty ». Mais il y a aussi le Georges Bataille de « La Peinture préhistorique. Lascaux, ou la Naissance de l'art », de « L'expérience intérieure » ou de « Sur Nietzsche ». C'est là tout le paradoxe non-résolu chez Georges Bataille : la transgression implique la limite. Et sur ce plan-là, « L'érotisme » est un ouvrage révélateur tant de la pensée que de la psychologie de Georges Bataille.

Autant prévenir tout de suite le lecteur curieux, « L'érotisme » de Georges Bataille est un pavé dans son genre. Dans la mare, c'est entendu, mais également sur l'estomac. À plus d'un égard, le premier étant au niveau de la simple lecture. Georges Bataille est un torturé et il s'y entend comme personne pour le démontrer par le style et la structure. Ne vous lancez pas dans son « L'érotisme » sans être prévenus : c'est d'une complexité et d'une lourdeur dignes de figurer au panthéon des briques indigestes. Sade, pour ne citer que lui, fait pâle figure à côté (et pourtant Sade est capable d'en rajouter mille tonnes, à ses heures). Récusant la philosophie mais enragé de notions dialectiques dans la plus pure tradition Hegelienne, dénonçant l'impossible vocation du langage en tant qu'outil de destruction de la norme et se complaisant dans les développements les plus abscons, Georges Bataille me semble être tout entier entre les lignes de « L'érotisme ». Souvent, il m'a semblé que sous la surface érudite, c'était un gamin tétanisé par la peur de mourir qui se débattait.

Composé d'une juxtaposition de textes divers, dont certains sont des conférences qu'il a données, l'ouvrage se propose de montrer en quoi l'érotisme n'est rien d'autre qu'une « dose homéopathique » de mort, que les humains tragiquement « discontinus » que nous sommes tous se plaisent à s'administrer, afin de s'approcher de manière prudemment réversible de leur retour à la « continuité ». Je vous avais prévenus, c'est dense... Mais c'est très intéressant, par là-même. Bien sûr, une sadienne telle que moi ne s'y retrouve pas. L'angoisse terrible qui sous-tend l'ouvrage; le goût masochiste de l'ordure et de la souffrance; le cri de désespoir et d'impuissance qui semble jeté en conclusion, tout cela s'écarte totalement de ma philosophie profondément égoïste et jouisseuse. Pour Georges Bataille, je fais partie des « affaissées » - comme il les nomme avec une condescendance que je ne puis accepter. S'il fallait résumer d'une façon sarcastique le crédo de Georges Bataille, ce serait : « là où il n'y a pas de gêne, il ne peut y avoir de jouissance ». La sexualité humaine ? Inconcevable sans la honte et la conviction de se rouler dans l'ordure. Les femmes ? Au mieux des proies qui excellent à se dérober, pour mieux aiguiser le désir. Au pire, de vulgaires truies. L'érotisme ? Morbide, immanquablement.

Pourtant, « L'érotisme » a le mérite de soulever des points extrêmement cruciaux. Comme l'individualité de l'expérience érotique (Bataille livre bataille au rapport Kinsey, très logiquement). Comme aussi les liens très forts qui peuvent exister entre mystique et érotisme (encore que, nous ne sommes pas d'accord lui et moi sur le domaine : philosophique et religieux chez lui, purement neuro-biologique chez moi). Et cerise sur le gâteau (bien que cela soit sans doute involontaire), un décorticage magistral de la façon dont le catholicisme (et partant, les autres religions en général) a pourri tout ce qu'il a touché - à commencer par le plaisir charnel.

Profondément dérangeant, mais fondamentalement indispensable, « L'érotisme » de Georges Bataille constitue un jalon d'une importance capitale, qui a fortement influencé des pointures comme Derrida, Foucault ou Sollers.

« L'érotisme » de Georges Bataille, paru aux Éditions de Minuit, Collection « Arguments », ISBN 2-7073-0253-8
 
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