Lectures érotiques - Varia
La Tyrannie du plaisir de Jean-Claude Guillebaud Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   

La Tyrannie du plaisir - Henri Gervex : Rolla

Sur la jaquette, une reproduction du  Rolla d'Henri Gervex. Et pas la moindre trace d'usure ou de lecture, pour le livre en lui-même. En guise de quatrième de couverture, un extrait d'une critique de Pascal Bruckner, parue dans Le Monde. Et last but not least, un prix tout rond de cinq euros. Il n'en fallait pas plus pour que je donne une chance à l'ouvrage, dont l'auteur, j'en étais bien sûre, me disait "vaguement quelque chose". Faute de me souvenir quelle chose en particulier, je me contentai de me féliciter d'une trouvaille de plus et "La tyrannie du plaisir" s'en fut rejoindre sans formalité la pile des lectures en souffrance.


Bien des mois plus tard, c'est à dire avant-hier, je parvins à la strate où "patientait patiemment" l'essai de Guillebaud. Et j'y entrai sans a-priori, sans test diagonal et avec une bienveillante ignorance.


Je viens d'en ressortir à l'instant, par la dernière page – et infiniment moins ignorante qu'à la première. À ce titre seul, "La tyrannie du plaisir" a largement gagné tout le respect que je lui porte. Non que je me targue d'être à ce point cultivée qu'il faille beaucoup de mérite pour m'instruire, mais bien plutôt qu'en matière "d'inculcage", j'aie la fâcheuse habitude d'être très difficile à satisfaire. Or là, je le dis tout net : bravo !


Mais avant de développer un billet qui sera sans doute fort long, je tiens à faire quelques petites remises en contexte préliminaires et nécessaires. La première, c'est que Jean-Claude Guillebaud n'est pas n'importe qui. Journaliste, ancien directeur de Reporters Sans Frontière, Prix Albert Londres en 1972 - mais aussi chroniqueur, essayiste et écrivain - Guillebaud est avant toute chose un homme engagé : en tant que chrétien, en tout premier lieu, ce qui n'est pas un détail. Mais aussi en tant qu'optimiste favorable au métissage des cultures et à la fin de l'hégémonie occidentale (voir ici). On pourrait dès lors se demander, si l'on sait lire entre mes lignes résolument athées, ultra-libertaires, élitistes et sadiennes, comme il se trouve que je lui fasse une place. Et bien c'est fort simple : au nom de la cohérence et du professionnalisme, des qualités qu'il convient de toujours saluer lorsqu'on a la chance de les rencontrer. Guillebaud respecte à la lettre le devoir d'objectivité journalistique (ce qui est devenu si rare qu'on se demande si cette notion désuète existe encore). J'entends bien par là non pas une neutralité tatillonne, mal informée ou – pire – dictée par la trouille des représailles, mais bien la mise en avant solidement argumentée d'un point de vue qui se respecte, qui respecte le lecteur, qui cite ses sources et qui ne manque jamais de prendre ses distances, le cas échéant. "En vérité, je vous le dis" (hi, hi, hi) : c'est le bon-heur de lire Guillebaud !


Mais de "La Tyrannie du Plaisir", qu'en est-il exactement ? De l'aveu même de l'auteur, il s'agit ni plus ni moins de poser la question de la morale sexuelle. Tout un programme. Il est vrai que je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, en cours de découverte : lorsqu'il évacue un peu vite à mon goût certaines questions qui ont pourtant traversé de part en part les "us et coutumes" des différentes religions monothéistes. L'indispensable virginité des filles (et, dans une moindre mesure, celle des garçons) avant le (premier) mariage, par exemple. Ou, beaucoup plus prosaïquement encore, la seule notion de Vérité Révélée dont se réclament les trois religions en question, afin de justifier l'imposition de règles de vie qui n'ont pas toujours fait le bonheur de leurs ouailles (loin s'en faut, encore aujourd'hui). Je ne me lancerai pas non plus dans une confrontation Guillebaud-Sade, car ce serait totalement stérile. Mais bon, Guillebaud est catholique et cela ne l'empêche pas d'être sévère avec les dérives puritaines des XIXe et XXe siècles. Il connaît parfaitement son affaire, de Saint-Augustin à Jean-Paul II (l'ouvrage date de 1998) et s'il ne charge pas le catholicisme, auquel il adhère, c'est somme toute assez naturel. Sade ne critiquait pas non plus l'athéisme, que je sache... mais il faisait preuve de beaucoup moins de mesure que Guillebaud, lorsqu'il s'agissait d'envisager "l'autre camp". Il est vrai que Sade vivait à une autre époque, où l'autre camp en question était encore totalement aux commandes - et qu'il en abusait grassement.


Toujours est-il qu'en dehors de son indulgence pour le christianisme - et partant pour le catholicisme - de ses références continuelles à des psychanalystes qui me flanquent de l'urticaire et de l'utilisation du seul Alexandrian - que je n'apprécie guère, c'est un doux euphémisme - pour ce qui concerne l'histoire de l'érotisme, Guillebaud passe son temps à confronter les points de vue, avec distance et sans sectarisme, en posant au passage une foule de questions absolument cruciales ET fondamentalement dérangeantes. Il souligne par exemple le "double bind" de l'injonction continuelle à jouir et d'une répression de plus en plus sévère des conduites sexuelles (dont l'hystérie autour de la notion de harcèlement sexuel n'est pas l'exemple le moins frappant). Je ne crois ni au double bind ni à la schizophrénie consécutive, puisque, comme je l'ai déjà dit, je considère la psychanalyse comme une arnaque redoutable et honteuse. Mais je suis bien d'accord sur l'incohérence entre le tout porno et la paranoïa sexuellement correcte dans laquelle nous baignons toutes et tous quotidiennement. Lorsque Guillebaud souligne la part que jouent les média dans ce désolant état de fait, je le suis au plus près : les feuilles de chou de la presse féminine, par exemple, si je pouvais toutes les recycler avant même qu'elles n'aient été pondues, ça ferait beaucoup de c*** en moins sur la terre ! Et pourtant j'en fus, de la presse féminine, autrefois.


De même, lorsqu'il dénonce le rétrécissement intolérable de l'espace autour du rapport érotique, qui se limite désormais à une ridicule et interminable prise de bec entre les puritains se réclamant de la "droite conservatrice et coincée" et les pan-sexualistes "héritiers de Wilhelm Reich". Il existe une troisième voie, bien entendu. Et on ne le dit pas assez. Mais Guillebaud fait mieux que de le dire : il le prouve, en étayant scrupuleusement ce qu'il avance. Car il ne s'agit plus de brailler sans rime ni raison "je suis pour" ou "je suis contre", c'est une évidence. En matière d'érotisme bien plus qu'en toute autre, les enjeux sont infiniment complexes. Je partage avec Guillebaud un regard consterné et navré sur l'absence totale de prise de responsabilités qui caractérise le discours simpliste des défenseurs de "la joie des corps, l'innocence des plaisirs, les privilèges de la transgression". Se mettre la tête dans le sable pour ne pas voir les conséquences d'un système n'a jamais empêché que ledit système foire et que l'on se prenne ensuite, conséquemment, le ciel sur la caboche. Car oui, la gratuité est devenue un tabou. Oui, le sexe (autant écrire "le porno") mercantile a précipité l'apparition de la "sensure" que Bernard Noël prédisait dans "L'Outrage aux mots". Oui, la dérive sécuritaire actuelle fait froid dans le dos et "trop de lois tue la loi". Le Droit et la Science sont fétichisés ? Oui, oui, OUI !!! Le respect de la sphère des comportements intimes et privés est une liberté en voie d'extinction, suite à l'ingérence de plus en plus violente d'une répression normative dans TOUS les domaines de la vie humaine, ce et y compris le sexe et la religion. La faute à qui ? Qui réclame à corps et à cris le "risque zéro" et la prise en compte des désidérata de sa petite "minorité bafouée" en refusant de considérer que chacun a des DEVOIRS avant d'avoir des droits ?


Et Guillebaud de nommer explicitement l'individualisme peureux, qui a succédé à l'individualisme libertaire et responsable de départ, où l'élaboration mûrement réfléchie de "réponses pour son propre compte" n'avait pas encore cédé le pas à la "difficulté d'être soi", faute de pouvoir se tenir debout sans les béquilles du dogme religieux et/ ou des institutions et de l'ordre social établi.


Le constat est terrible : la norme est partout et la pression à s'y soumettre détermine chaque instant de notre pauvre existence. En érotisme comme ailleurs. Guillebaud pose ici une question : "la véritable liberté n'eût-elle pas consisté à vivre de façon insoumise et changeante en obéissant à des préférences pas forcément closes sur elle-mêmes, toujours négociables, n'exigeant ni justification ni conformité ? Liberté incluant, évidemment, celle de n'être pas "que" [...]" Quelle meilleure définition de la négociation fondant le contrat BDSM ? Et, plus loin : "L'utopie la plus cohérente ne revenait-elle pas à souhaiter vivre [...] souverainement maître de ses inclinations, y compris dans la volonté d'y résister. [...] La véritable émancipation consiste moins à s'engouffrer dans une catégorie qu'à échapper à toutes." Il est vrai qu'il s'inspire ici de Foucault, dont les liens avec le sado-masochime sont désormais bien connus.


Guillebaud n'en prend pourtant pas son parti, il continue de s'interroger (et d'interroger son lecteur, ce qui est très gentil de sa part : je n'aurais ni sa bonté ni sa patience...) : "Face aux valeurs, aux modes, aux tournures et superstitions de la modernité, nous sommes ainsi devenus obéissants comme de petits enfants. Paresse mentale sans précédent ? Suffisance naïve ? Cette dérobade de l'esprit critique devant le nouveau sacré qui gouverne n'est pas bon signe." C'est le moins qu'on puisse dire, en effet...


La piste Guillebaud, c'est le retour à la responsabilité individuelle, alimentée par un savoir réellement universel qui puiserait indifféremment aux sources classiques où à des théories émergentes comme la Queer Theory. On peut rêver.


Pour ma part, je préfère agir et recommander très chaudement "La Tyrannie du Plaisir". On en ressort avec bien plus de questions que de réponses et c'est un signe de qualité qui ne trompe pas...

 
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Écrit par Miriam   

Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang

S'il fallait qu'un débutant débutât quelque part, en matière d'érotisme, je ne pourrais conseiller qu'un seul ouvrage avant toute autre lecture : Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang. Et ce faisant, je ferais preuve d'un parti-pris très net, autant que d'une solide dose d'auto-contradiction. Car Monsieur le Docteur Zwang est "rien moins que tendre" (une expression qui lui est chère) à l'encontre des déviant/es sexuel/les de mon acabit. Mais je m'en fous car pour le fond de l'histoire sado-masochiste, je ne peux évidemment pas lui donner tort. Oui, c'est un fait cliniquement établi : nous autres les sadomasos ne sommes pas du tout dans la norme; nous sommes des endorphino-dépendants chroniques, qui mélangeons allègrement les genres et les instincts, dans une purée aussi indigeste que dangereuse pour le "plain-vanilla" bien de sa personne. Et j'ajoute : tant mieux ! Ma provoc' la plus habituelle n'est-elle pas : Je ne suis pas un exemple à suivre, mais je sais très bien où je vais ? J'irais plus loin, même, en applaudissant des deux mains - alors que Zwang traite Harnoncourt de crapule [sic] ou Sade de sinistre branlotin [re-sic] - devant une telle accumulation de franche gueulerie et de libre-expression bien tempérée (car l'auteur, précisé-je, est un fan absolu de Mozart et de Xenakis).

Bien qu'il date de 1975, l'ouvrage n'a pas pris une seule ride. Et c'est bien là ce qui devrait nous flanquer à tous, normaux et autres, une trouille fort salutaire ! En ces temps politiquement corrects, je vois mal qui pourrait encore se targuer d'envoyer des insultes pareilles à tour de bras, sans se retrouver illico écrasé sous les procès pour diffamation. C'est à cela que l'on mesure la dégringolade de ces trente dernières années : il n'est plus question de penser ou d'affirmer, mais bien de suivre. J'ignore comment Monsieur Zwang juge la daube sexuellement correcte qui nous tient lieu d'érotisme contemporain, mais je suis sûre d'une chose : la mode des minous déplumés doit le rendre aussi enragé que moi...

Pour le contenu de cette lettre ouverte, c'est un vrai plaidoyer pour le plaisir. En décrivant sept anticiels successifs, Gérard Zwang passe à la moulinette de son humanisme laïc et militant les aigris et les dogmatiques de tous bords : des religieux criminels aux intellos abscons, tout le monde en prend pour son grade, dans une suite ininterrompue de noms d'oiseaux parfaitement réjouissants. Enfin un auteur engagé, un vrai, qui n'a ni honte ni lâcheté et qui tire à vue sur ce qu'il juge détestable. En cela, ne lui en déplaise, il rejoint Sade sur bien des points.

En guise de conclusion, je ne peux que m'aligner sur les théories "zwangiennes" qui prônent, je les cite avec beaucoup de bonheur : "Frères pointus, soeurs fendues, si votre voisin, si votre voisine, ne vous réveillent pas quand ils baisent la nuit. Ne séduisent pas contre leur gré vos enfants mineurs ou votre conjoint, ne vous obligent pas à voir des films qui vous choquent, à lire des livres qui vous emmerdent, à vous mettre à poil quand vous ne voulez pas, à baiser avec eux quand vous n'avez pas envie; s'ils ne choisissent pas à votre place pour vous dire avec qui baiser, et quand, et où, et qu'ils ne viennent pas vous regarder pendant; s'ils ne calomnient pas chez le boucher, le curé ou le préfet votre façon de baiser, les gens avec qui vous baisez, et les opinions que vous avez sur le sujet; s'ils ne viennent pas baiser chez vous sans votre permission, dans votre salle à manger pendant que vous dînez; s'ils ne se sentent pas investis du devoir sacré de prévenir votre conjoint qu'il est cocu, de couper le bout de vos petits garçons; s'ils vous autorisent à baiser à votre faim, à votre manière, sans obéir à des critères qu'ils vous imposeraient. Eh bien, alors, laissez-les donc tranquilles. Foutez-leur la paix, laissez-les foutre en paix !".

Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang, donc, paru en 1975 chez Albin Michel, ISBN 2-226-00197-2.

 
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