Lectures érotiques - Varia
La flagellation et les perversions sexuelles d'André Lorulot Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   
La flagellation et les perversions sexuelles d'André LorulotLorsque j'ai décidé de commenter les livres qui font partie de ma [fort volumineuse] bibliothèque personnelle, et qui traitent peu ou prou d'érotisme, au sens très large, je m'étais jurée de n'en dénigrer aucun. « Plutôt le silence que la critique - ô combien subjective ! - de la moindre page ».
Jusqu'à présent, je suis plus ou moins parvenue à suivre ma première idée.

Mais voici qu'arrive le tour d'André Lorulot et que je me retrouve dans une situation inextricable. Le lecteur qui a pris la peine de visiter mon site et de le lire sait sans doute déjà quelle personne je suis : athée, libertaire, sadienne, violemment anti-religieuse et viscéralement libre-penseuse. À ce titre, je ne puis qu'admirer André Lorulot, cet homme qui reprit la direction du journal La Calotte en 1930, et qui a passé le plus clair de son temps à sillonner la France et le reste du monde pour dénoncer aussi haut et aussi fort qu'il le pouvait la superstition, la religion, la bigoterie et le dogmatisme.

Toutefois, si la libre-pensée constitue le pivot central de tout mon système, je suis et je reste (jusqu'à preuve constitutionnelle du contraire) une citoyenne belge. La caractéristique principale de la libre-pensée belge étant unique au monde : elle est soumise à l'exercice perpétuel du libre-examen. En clair : zéro dogmatisme, fort bien, mais commence par balayer devant ta porte avant de gueuler à tort et à travers. Et à ce niveau-là, notre brave André Lorulot aurait bien besoin d'une escouade de bulldozers...

Le pamphlet de 315 pages (car c'en est un) d'André Lorulot, à propos du sadomasochisme, est à plus d'un titre incontournable. En tout premier lieu en ce qu'il souligne, dès 1954, le lien très étroit qui existe entre « masochisme » (au sens où il l'entend lui) et mysticisme catholique. À l'époque post-Pétainiste et pré-mai '68, il fallait tout de même le faire. Ensuite, en ce qu'il regorge de citations, issues tant du journal catholique « La Croix » que des pages « people » de feuilles de chou telles que « France Dimanche ». Ce sont les années cinquante, dans tout ce qu'elles ont d'emporté et de naïf. N'oublions pas que l'Europe unie n'existe pas encore, que des millions de personnes viennent d'être massacrées et que les abominations du National Socialisme sont toujours douloureusement présentes parmi les survivants. Et enfin, il faut bien le reconnaître, Lorulot a le don inné de la harangue et de l'ironie pleine d'esprit : ce sont bel et bien les années cinquante, disais-je.

Mais soit, il faut que j'en arrive à la partie critique : « La flagellation et les perversions sexuelles » est une véritable bouse [que les vaches me pardonnent]. D'un point de vue de la structure, tout d'abord : il n'y en a aucune. Au mieux, l'on pourrait parler d'un sketch écrit. Mais ce que j'en pense, au fond, c'est que c'est un affreux capharnaüm sans début ni fin, qui saute sans arrêt du coq à l'âne et revient sans crier gare à la poule. C'est très captivant dans un discours, sans doute; mais dans un essai, c'est particulièrement pénible. Ensuite, si l'on aborde le côté académique (mais le peut-on, Monsieur Lorulot n'a fait que l'école primaire - et cela n'a rien d'infamant d'ailleurs); donc du côté académique, ou même simplement journalistique, le moins que l'on puisse en dire c'est que Lorulot ne s'embarrasse d'aucune contrainte d'objectivité ou de vérification approfondie des sources. Il fait feu de tout bois, sans le moindre complexe, afin d'accréditer des thèses qui n'engagent que lui et qui paraissent fort troubles. L'on est en effet en droit de se demander, comme pour les censeurs les plus aigris, comment il se fait qu'un anti-pervers tel que lui soit au courant de tant de choses. Je ne citerai qu'un seul exemple : qui, en 1954, mis à part un éminent musicologue, avait eu vent des pratiques sexuelles de Carlo Gesualdo di Venosa ???!!! La réponse est selon moi toute simple : quelqu'un qui serait fasciné par le sadomasochisme. C'est ce que j'ai éprouvé en lisant Lorulot : ce « brave » homme est subjugué et il ne se l'avoue tout simplement pas. Le mieux qu'il ait trouvé pour se mettre à l'aise avec sa conscience, c'est de clamer que les sadomasos ne sont pas des criminels, mais juste des malades et des tarés, victimes de l'injustice sociale, et qu'il est du devoir de ladite société de les soigner et de les « rendre normaux ».

Ensuite, il faut bien le reconnaître, j'ai eu beaucoup de mal avec certains « understatements » infiniment choquants de Lorulot : par exemple que Staline serait un héros stoïque ou que la menace Viêt-Minh aurait été une invention du clergé et des impérialistes américains. Mais il y a bien pire encore; et là je cite Lorulot en toutes lettres :

1. « On sait que la haine féroce de l'homme américain contre les Noirs n'est pas exempte de jalousie sexuelle, en raison de la grande virilité génitale dont les mâles noirs sont favorisés... Ce qui explique le caractère sadique de la plupart des scènes de lynchage ».

2. « La pédérastie s'apparente, elle aussi, soit au masochisme, soit au sadisme, selon que le sujet joue le rôle passif, ou le rôle actif. Celui qui joue le rôle actif (pratiquant le coït sur un individu de sexe mâle) est très souvent un sadique, goûtant un plaisir spécial à humilier son partenaire en le soumettant à son penchant contre nature. ».

3. « On brûla des milliers de victimes, particulièrement des femmes (voir note en bas de page). Plus nerveuses, plus sensibles, leur sort était plus lamentable que celui des hommes. La femme est aussi plus facile à suggestionner. » La note en bas de page dit : « Pour un sorcier, dit Michelet, on trouvait dix mille sorcières. De son côté, l'aliéniste Legrand-du-Saulle (1864) disait : « À paris, il y a quarante hommes hystériques pour cinquante mille femmes ».

Et j'en passe. Fondamentalement homophobe, sexiste et même à certains moments platement raciste, Lorulot m'a fait rire très jaune. Il est mort en 1963 et son discours sur la sexualité à l'extrême frontière du communisme stalinien le plus répressif et le plus hygiéniste est fort heureusement mort avec lui. La libre-pensée et l'anti-religiosité n'excusent pas tout. Néanmoins, la veine n'est pas morte. Elle a juste changé de nom, de nos jours. Mais au fond, l'idée reste la même : le vrai bonheur, c'est la relation de couple hétérosexuel marié qui copule « bien proprement » pour perpétuer l'espèce. Et que le « bien proprement » veuille dire « dans le respect de la bienséance marxiste-léniniste » ou « en suivant le guide de l'extase de A à Z pêché dans la presse à grand tirage » ne change rien au problème.

Heureusement, depuis 1954, la Queer Theory a quelque peu contre-balancé ce genre d'inepties. Pour les curieux qui voudraient néanmoins lire Lorulot : « La flagellation et les perversions sexuelles », aux Éditions de l'Idée Libre, 1954.
 
Le sado-masochisme, les artisans du fantasme de Jean Streff Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   

Le sado-masochisme, les artisans du fantasme de Jean Streff De Jean Streff, auteur, scénariste, essayiste, ancien assistant de José Benazeraf et secrétaire du Prix Sade, je ne dirai qu'une seule chose : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer d'urgence. Pour une présentation plus approfondie, les amateurs feront bien de lire l'interview qu'a réalisée Virgile Iscan et qui se trouve en ligne sur son excellent site web www.viceland.com. Est-il utile de préciser que l'admirable premier ouvrage de Jean Streff, « Le masochisme au cinéma », paru aux Éditions Veyrier en 1978, trône en très bonne place dans l'enfer de ma bibliothèque depuis de nombreuses années ? Quoiqu'il en soit, Jean Streff est un « Grand Monsieur », comme l'on dit : de par son immense érudition cinématographique, de par son libertarisme militant et totalement incorrect, selon les normes actuelles tout du moins, et surtout de par son engagement très personnel en faveur des pratiques et de la subculture BDSM.

Petite précision digressive à ce propos : jusqu'en 1994, la médecine et la psychiatrie associaient la pratique du SM à une maladie. C'est seulement à partir du DSM-IV que l'American Psychiatric Association prit la décision de modifier en « paraphilie » le terme de « perversion sexuelle » qui était jusqu'alors utilisé dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders; mais aussi de  tenir compte de la consensualité entre les deux partenaires. Ce qui permit d'arriver progressivement à la dernière évolution, qui date de 2000 (DSM-IV TR), et ne considère la pratique du sadomasochisme comme une perversion sexuelle que si l'un des deux partenaires l'a imposée à l'autre ET que cette pulsion, cette pratique ou  ces comportements sadomasochistes ont causé au partenaire non consentant une détresse avérée ou des difficultés interpersonnelles. Il est vrai que plusieurs procès avaient défrayé la chronique; avec pour mémoire le Spanner Case en Angleterre ou l'Affaire Koen Aurousseau en Belgique, où la Justice avait systématiquement refusé de prendre en compte l'aspect consenti des pratiques incriminées, en se drapant de toute sa dignité dans un Code Pénal très mal foutu. Depuis, des pays comme l'Allemagne ou le Danemark ont dépénalisé les pratiques SM. Nous n'en sommes pas encore à la reconnaissance de notre sexualité, mais il faut garder l'espoir que l'épopée des Droits des Homosexuels a ouvert la voie pour nous, les « affreux sadomasos ». Fin de la digression.

Mais parlons de l'ouvrage « Le sado-masochisme. Les artisans du fantasme », qui a été publié par les Éditions Garancière en 1984, avec en couverture une photo de Claude Alexandre. Il ne s'agit pas d'une fiction, mais d'une série d'interviews, menées par Jean Streff  auprès de ce qu'il était convenu d'appeler, à l'époque de la parution du livre, des « pervers sexuels ». Divisé en cinq chapitres : « Les manuels », « Les professionnelles », « Jeux de rôle », « Vivre l'imaginaire » et « L'amour, toujours l'amour », l'ouvrage offre au lecteur une véritable plongée dans l'intimité et l'imaginaire fantasmatique d'adeptes de tous bords : Maître et soumise, Dominatrice vénale ou non, couple de masochistes, homosexuels, soumis, soumise, etc. L'idée de base étant de lever un coin de voile sur les pratiques sadomasochistes et de démontrer tout ce qu'elles ont de complexe, de subversif et de libératoire. D'ailleurs, bien au centre du jeu, l'auteur place l'Amour avec un très grand « A », tel que chaque individu le rêve : infiniment personnel et merveilleusement supérieur à tous les autres sentiments humains. Les entretiens, remarquablement menés, pleins de tact et cependant redoutablement profonds, prouvent sans avoir l'air d'y toucher qu'il faut être généreux, courageux, créatif, plein de force et d'amour pour être à même de pratiquer le SM. Je cite Jean Streff dans sa présentation : « Mais le rêve est aussi par définition un leurre et la liberté une utopie. Alors qui sont donc ces êtres singuliers, ces bizarres, ces déviants, ces « pervers » qui s'octroient la réalisation du rêve et la liberté du plaisir ? ». Il le démontrera ensuite, tout au long de l'ouvrage, brillamment : ce sont tout simplement des artistes.

« Le Sado-masochisme. Les artisans du fantasme » de Jean Streff, aux Éditions Garancière - ISBN 2-7340-0072-5. [Merci au soumis c. qui me l'a prêté et à qui il faudra malheureusement bien que je le rende... Cool]

 
« DébutPréc1234567SuivantFin »

Page 5 de 7

Animé par Joomla!. Valid XHTML and CSS. Created by Miriam Blaylock.