Lectures érotiques - Varia


Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations de Jean Streff Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   
Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations de Jean Streff J'ai déjà parlé de Jean Streff dans un article sur « Le Sadomasochisme », l'un de ses ouvrages paru aux Éditions de La Garancière en 1984. Je ne remettrai donc pas le couvert à propos de sa biographie : les curieuses et les curieux la retrouveront sans peine.

C'est la semaine dernière que j'ai mis la main, entre autres aubaines, sur le «Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations » chez mon vieux complice de seconde main, dont je ne donnerai ni le nom ni l'adresse. Pas folle, la mouche... Je l'ai payé bien plus cher que je ne l'aurais voulu, d'ailleurs : c'est que Jean Streff est un nom connu, et que le mot « fétichisme » fait invariablement gonfler... hé, hé, la note (:D) Pour mettre un peu de baume à mon porte-monnaie malmené (belle allitération, au passage), je mis illico le nez dans l'ouvrage : puisque je l'ai payé deux fois plus cher que ma limite haute habituelle, autant le lire sur-le-champ, me disais-je. On se justifie comme on peut.

Tout d'abord, je fus un peu surprise : je découvris qu'il ne s'agissait en rien d'un traité, mais bien plutôt d'une encyclopédie, ou même, pour être exacte, d'une sorte de florilège du fétichisme selon Jean Streff. Notre auteur n'hésite d'ailleurs pas le moins du monde à se citer lui-même à de nombreuses reprises : « Le Masochisme au cinéma », « Vincent Plantier », « Les Aventuriers du fantasme » ou « Les Extravagances du désir » sont de fait repris dans la bibliographie très fournie proposée à la fin de l'ouvrage. De très nombreuses notes en bas de page sont également l'occasion pour lui de s'exprimer à titre tout personnel; exercice dont il s'amuse beaucoup, dans le corps du texte également.

Mais comment ne pas succomber dès les premières lignes à « l'incommensurable parti pris » de cette magnifique promenade dans les jardins sauvages de l'Éros ? Car pour s'amuser, il s'y amuse, Jean Streff; il jubile; il batifole; il rigole comme un gamin. Rien ne l'effraie, rien ne l'ennuie : il est, de son propre aveu, un « fétichiste de tout ». Il avertit son lecteur d'emblée : le livre parlera d'irréalité, car c'est la plus belle vérité du monde. Mais qu'on ne s'y trompe pas, cependant. S'il est exact qu'il sera souvent question d'imaginaire érotique, on est pourtant bel et bien à deux pieds dans le réel : les anecdotes vécues, les souvenirs attendris et les belles histoires d'amour qui émaillent les différents chapitres sont autant de preuves que Jean Streff ne disserte pas dans le vide. Il a une connaissance de première main, si je puis dire, de toutes les pratiques fétichistes dont il dresse les portraits : son texte est jubilatoire, écrivais-je, mais il n'est jamais « affabulatoire ». En ce sens, c'est une cause entendue, son ouvrage est bien un traité; le traité qu'écrit un mentor-es-fétichisme aux jeunes générations qui voudraient découvrir un univers dont, hélas, il est difficile de comprendre les arcanes, tant il est encore « tabou » sous bien des aspects. En l'occurrence, de solides jalons sont souvent les bienvenus, afin de ne pas se laisser subjuguer par des donneurs de leçons qui prétendraient avoir réinventé l'eau chaude (ou froide, selon les goûts). Ce n'est donc pas un hasard si le titre de l'ouvrage est un clin d'œil au situationnisme et au savoir-vivre.

Quoique, à bien y réfléchir, l'adjectif « jeune » soit peut-être superflu, dans « à l'usage des jeunes générations ». Chacun ressortira de l'ouvrage de Jean Streff beaucoup plus instruit, beaucoup plus serein et surtout immensément plus cultivé qu'il n'y était entré. Que l'on soit jeune ou vieux, finalement, cela n'a pas beaucoup d'importance : l'érudition fétichiste de Monsieur Streff est remarquable - et il pousse la générosité jusqu'à la mettre à la portée de tous, dans une langue pleine de fraîcheur et d'esprit. Un livre à s'offrir et à ouvrir dès qu'on le peut, donc.

« Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations » de Jean Streff, paru aux Éditions Denoël en 2005 (ISBN 2.207.25497.1)
 
Érotique et civilisation de René Nelli Imprimer
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Écrit par Miriam   
Érotique et civilisations de René Nelli Depuis la création du site en 2003, j'ai toujours tâché de ne pas me compromettre dans les draps de la psychanalyse et tout ce qui, de près ou de loin, se rattache à Freud et à ses disciples a toujours été soigneusement vilipendé ici. Mais enfin, psychanalystes ou pas, certains défenseurs du « grand chef » ne se fendent pas toujours d'imbécilités / de monstruosités / de démences. Il arrive même parfois qu'à les lire, je tombe partiellement d'accord avec eux, tout du moins sur les éléments qui n'ont pas beaucoup à voir avec la psychanalyse - psychanalyse dont, je le répète, je refuse ABSOLUMENT toutes les thèses; et SURTOUT les révoltantes étiquettes. Je suis une behaviouriste pure et dure, on l'aura compris.

Cependant, pour prendre un exemple mondialement connu, ce n'est pas parce que Peppone était communiste et Don Camillo prêtre catholique qu'ils ne dialoguaient pas. Bien au contraire (même si c'était souvent à coups de poings). J'ai donc décidé d'inclure désormais dans mes articles, au nom de la cohérence et de l'honnêteté intellectuelle, certains ouvrages qui font la part belle à la « grille d'analyse » psychanalytique. Dans la mesure, toutefois, où cette belle part laisse un peu de place au reste.

Commençons par René Nelli, auteur de l'essai « Érotique et civilisations ». Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Monsieur Nelli, il faut savoir que cet historien et philosophe français est né en 1906 et mort en 1982 à Carcassonne. René Nelli était l'éminence grise du Catharisme, à la suite de Déodat Roché. Un an avant sa mort, il avait d'ailleurs fondé le Centre National d'Études Cathares et est l'auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, qui font encore référence aujourd'hui. En tant que spécialiste de la culture occitane du Moyen Âge, il a également participé très activement à sa redécouverte et au regain d'intérêt pour cette période de l'histoire (notamment au travers de ses recherches sur l'amour courtois).

« Érotique et civilisations », donc. Publié en 1972 par la Librairie Weber (Collection Terra Universalis), l'essai tente de retracer la façon dont « l'imagerie symbolique de l'amour » a évolué au fil des civilisations. Vaste entreprise, à laquelle nul ne peut prétendre s'atteler sans être parfaitement sûr d'échouer. Mais nous sommes dans le domaine de la philosophie, où finalement ce n'est pas tant le résultat de la recherche qui compte, mais les hypothèses de départ. Les autres sciences humaines venant à la rescousse par après. Nelli s'interroge : comment être sûr que notre civilisation actuelle n'est pas en état de décadence par rapport à la précédente ? L'évolution de l'érotisme va-t-elle dans le « bon sens » ? Grave interrogation s'il en est (d'autant plus qu'en 1972, la remise en question était particulièrement violente en Europe et aux États-Unis). Pour lui, les choses sont très simples : il est inéluctable que la libération de la femme et du plaisir détrône le système patriarcal et répressif qui existait jusque-là. Je le cite : « A moins de bouleversements que nous imaginons mal et qui entraîneraient l'abolition de toute civilisation humaniste, peut-on penser, par exemple, que la femme actuelle coure sérieusement le risque de perdre à nouveau sa liberté ? Et, à supposer qu'elle puisse la perdre (il n'est malheureusement pas exclu qu'une caste militaire ou une race « hégémonique » ne triomphe un jour de la civilisation et ne réduise en esclavage tout son sexe, et les vaincus), est-il concevable que les changements qu'elle a subis dans sa sensibilité, et même dans la forme de son corps, viennent à s'annuler ? ». Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais en ce qui me concerne, en 2011, la réponse ne fait aucun doute. Par contre, elle fait froid dans le dos.

René Nelli, lui, et dont le postulat se veut résolument optimiste, va ensuite s'embarquer dans une savante démonstration : malgré quelques « retours en arrière » malheureux, la civilisation marche vers le progrès, pour les femmes, en ce qu'il réconcilie les sexes entre eux et tend à une harmonisation et une réciprocité de bon aloi. Il s'indigne contre certaines pratiques barbares, dont l'excision des filles et clame haut et fort, je le cite à nouveau : « l'intérêt bien compris des femmes, par exemple, serait de se refuser énergiquement à tous les représentants d'une nation qui encourage ou tolère l'excision du clitoris, au lieu de se donner au contraire à eux, par principe, ou par ordre, pour bien montrer qu'elles ne sont point « racistes ». Elles ont raison, certes, de n'être pas racistes, mais elle ont tort de ne pas flétrir énergiquement les coupeurs de clitoris et les mutilateurs. » Allez prétendre publier un machin pareil en 2011... Pour la petite anecdote, j'ai eu, il n'y a pas si longtemps, une conversation surréaliste avec une assistante sociale très soucieuse « d'accompagner en douceur » le « changement non traumatique » chez les « ethnies culturellement différentes des populations occidentales » qu'il ne fallait surtout pas « culpabiliser » ni « heurter dans leur appartenance » en leur interdisant clair et net de mutiler leurs gamines. Sans commentaire, mais avec cinq fois [sic] après les guillemets, ndlr.

En tant qu'hermétiste, René Nelli se penche également sur l'approche taoïste à propos de l'érotisme et procède à une analyse dualiste et temporelle de la notion de plaisir, de laquelle il tire un éloge du rythme et de l'harmonie. Les analogies musicales sont évidentes. Ce sont les chapitres qui m'ont le plus intéressée, je l'admets, car les considérations de l'auteur sur le « vagin denté », le « pénis capturé » et autres réflexions opaques sur les « clitoridiennes » et les « vaginales » étaient interminablement stériles, à mes yeux. Psychanalyse, quand tu les tiens...

Malgré tout cela, ou plutôt grâce à tout cela sans doute (soyons honnête), René Nelli conclut son essai par une description visionnaire de ce que la civilisation deviendra, quatre décennies après mai '68, tant dans le domaine du mariage (qui ne tient encore debout qu'à force d'inertie) que dans celui de la sexualité (les tendances sado-masochistes à l'état pur se renforçant mystérieusement dès qu'un certain équilibre égalitaire s'établirait entre les deux sexes). Bien que je ne sois pas d'accord avec sa grille d'analyse psychanalytique, je dois constater que René Nelli avait raison sur bien des points actuels, avec presque 40 ans d'avance sur l'histoire. Mais l'histoire ne se répète-t-elle pas ?... Les historiens comme René Nelli sont bien placés pour le savoir.

« Érotique et civilisations », paru chez Weber, collection Terra Universalis, Paris, 1972.
 
Petit traité de l'érotisme par Michel Dorais Imprimer
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Écrit par Miriam   
Petit traité de l'érotisme de Michel DoraisNé en 1954 à Québec, Michel Dorais est actuellement professeur titulaire et chercheur à la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval à Québec. Il est également l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages sur la sexualité et directeur de la collection Sexualités et Sociétés chez VLB Éditeur. Ce travailleur social de formation a été en outre l'un des pionniers dans l'aide aux jeunes personnes prostituées (filles ou garçons), aux jeunes gays et lesbiennes victimes d'agressions sexuelles, mais aussi dans la prévention du Sida et dans le combat contre l'intolérance envers les personnes de « diversité sexuelle ». Il a reçu en 2001 le Diplôme de l’Amicale gay et lesbienne autonome des enseignants (Aglae) et le Prix Arc-en-Ciel en 2003.

Il sait donc parfaitement de quoi il parle, et il en parle d'ailleurs fort bien. J'invite les curieux à lire son interview au sujet du Petit traité de l'érotisme dont il sera question aujourd'hui.

Mais ce Petit traité, qu'en est-il exactement ? C'est un essai, et un essai court : 116 pages en tout. La patte pédagogique de l'auteur est présente de la première à la dernière ligne; le professionnalisme universitaire et l'excellence québécoise s'y reconnaissent entre mille, « comme d'habitude », serais-je tentée d'ajouter - avec énormément d'admiration. Il est vrai que les méthodes d'enseignement, là-bas, ont quarante ans d'avance sur les nôtres. Mais l'expérience d'un vrai travail social de terrain est également très tangible, entre les lignes, et c'est sans doute ce qui couronne réellement ce magnifique essai.

Ce que j'ai particulièrement apprécié, tout au long de l'ouvrage, c'est la recontextualisation soigneuse du sujet : l'érotisme, argue Michel Dorais, est certes une composante universelle dans l'humanité, mais il n'en demeure pas moins une expression unique, dans chaque individu, quel que soit son sexe et quel que soit son genre. Sous une apparence de grande généralité et de vulgarisation « grand public », l'auteur ne s'embourbe jamais dans les réductions faciles ou dans la simplification à outrance. Volontairement accessible à tout un chacun, mais jamais médiocre, le Petit traité de l'érotisme est ancré dans la société d'aujourd'hui : multiculturelle, globalisante et toute empreinte d'immédiateté et de virtualité.

Aucun ostracisme, donc, aucune étiquette infamante : tout est question de personne, de contexte socio-culturel, d'expérience et de biologie. Mais il y a mieux : Michel Dorais souligne très justement l'aspect mouvant de l'érotisme dans chaque individu; il ne sera question ni de normalité ni d'anormalité, ni de perversion ni de thérapie, ni même d'une quelconque recette. Tout au plus l'auteur donnera-t-il, avec beaucoup d'à-propos et d'habileté, ses propres définitions de l'érotisme, de la pornographie, de l'obscénité et de la grivoiserie, sans tomber dans l'écueil des jugements de valeur. Une véritable approche scientifique, donc, au sens sociologique du terme : du pur plaisir de lecture.

Je décerne une mention toute spéciale au chapitre 5, où il est question de complémentarité, présentée comme un processus sans fin, et qui ouvre une perspective d'un humanisme très vivifiant, tout en replaçant l'individu au cœur même de sa vie et de ses choix de vie. Michel Dorais invite en effet le lecteur à se remettre en question et à évoluer, au lieu de s'enfermer dans des stéréotypes sans même être conscient de ce qui lui arrive. Rien que du meilleur, écrivais-je, et richement illustré de magnifiques illustrations de Christian Séguin. Que demander de plus ? L'ISBN ? Le voici : 978-2-89649-054-7. C'est chez VLB Éditeurs, paru en 2010. 
 
La flagellation et les perversions sexuelles d'André Lorulot Imprimer
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Écrit par Miriam   
La flagellation et les perversions sexuelles d'André LorulotLorsque j'ai décidé de commenter les livres qui font partie de ma [fort volumineuse] bibliothèque personnelle, et qui traitent peu ou prou d'érotisme, au sens très large, je m'étais jurée de n'en dénigrer aucun. « Plutôt le silence que la critique - ô combien subjective ! - de la moindre page ».
Jusqu'à présent, je suis plus ou moins parvenue à suivre ma première idée.

Mais voici qu'arrive le tour d'André Lorulot et que je me retrouve dans une situation inextricable. Le lecteur qui a pris la peine de visiter mon site et de le lire sait sans doute déjà quelle personne je suis : athée, libertaire, sadienne, violemment anti-religieuse et viscéralement libre-penseuse. À ce titre, je ne puis qu'admirer André Lorulot, cet homme qui reprit la direction du journal La Calotte en 1930, et qui a passé le plus clair de son temps à sillonner la France et le reste du monde pour dénoncer aussi haut et aussi fort qu'il le pouvait la superstition, la religion, la bigoterie et le dogmatisme.

Toutefois, si la libre-pensée constitue le pivot central de tout mon système, je suis et je reste (jusqu'à preuve constitutionnelle du contraire) une citoyenne belge. La caractéristique principale de la libre-pensée belge étant unique au monde : elle est soumise à l'exercice perpétuel du libre-examen. En clair : zéro dogmatisme, fort bien, mais commence par balayer devant ta porte avant de gueuler à tort et à travers. Et à ce niveau-là, notre brave André Lorulot aurait bien besoin d'une escouade de bulldozers...

Le pamphlet de 315 pages (car c'en est un) d'André Lorulot, à propos du sadomasochisme, est à plus d'un titre incontournable. En tout premier lieu en ce qu'il souligne, dès 1954, le lien très étroit qui existe entre « masochisme » (au sens où il l'entend lui) et mysticisme catholique. À l'époque post-Pétainiste et pré-mai '68, il fallait tout de même le faire. Ensuite, en ce qu'il regorge de citations, issues tant du journal catholique « La Croix » que des pages « people » de feuilles de chou telles que « France Dimanche ». Ce sont les années cinquante, dans tout ce qu'elles ont d'emporté et de naïf. N'oublions pas que l'Europe unie n'existe pas encore, que des millions de personnes viennent d'être massacrées et que les abominations du National Socialisme sont toujours douloureusement présentes parmi les survivants. Et enfin, il faut bien le reconnaître, Lorulot a le don inné de la harangue et de l'ironie pleine d'esprit : ce sont bel et bien les années cinquante, disais-je.

Mais soit, il faut que j'en arrive à la partie critique : « La flagellation et les perversions sexuelles » est une véritable bouse [que les vaches me pardonnent]. D'un point de vue de la structure, tout d'abord : il n'y en a aucune. Au mieux, l'on pourrait parler d'un sketch écrit. Mais ce que j'en pense, au fond, c'est que c'est un affreux capharnaüm sans début ni fin, qui saute sans arrêt du coq à l'âne et revient sans crier gare à la poule. C'est très captivant dans un discours, sans doute; mais dans un essai, c'est particulièrement pénible. Ensuite, si l'on aborde le côté académique (mais le peut-on, Monsieur Lorulot n'a fait que l'école primaire - et cela n'a rien d'infamant d'ailleurs); donc du côté académique, ou même simplement journalistique, le moins que l'on puisse en dire c'est que Lorulot ne s'embarrasse d'aucune contrainte d'objectivité ou de vérification approfondie des sources. Il fait feu de tout bois, sans le moindre complexe, afin d'accréditer des thèses qui n'engagent que lui et qui paraissent fort troubles. L'on est en effet en droit de se demander, comme pour les censeurs les plus aigris, comment il se fait qu'un anti-pervers tel que lui soit au courant de tant de choses. Je ne citerai qu'un seul exemple : qui, en 1954, mis à part un éminent musicologue, avait eu vent des pratiques sexuelles de Carlo Gesualdo di Venosa ???!!! La réponse est selon moi toute simple : quelqu'un qui serait fasciné par le sadomasochisme. C'est ce que j'ai éprouvé en lisant Lorulot : ce « brave » homme est subjugué et il ne se l'avoue tout simplement pas. Le mieux qu'il ait trouvé pour se mettre à l'aise avec sa conscience, c'est de clamer que les sadomasos ne sont pas des criminels, mais juste des malades et des tarés, victimes de l'injustice sociale, et qu'il est du devoir de ladite société de les soigner et de les « rendre normaux ».

Ensuite, il faut bien le reconnaître, j'ai eu beaucoup de mal avec certains « understatements » infiniment choquants de Lorulot : par exemple que Staline serait un héros stoïque ou que la menace Viêt-Minh aurait été une invention du clergé et des impérialistes américains. Mais il y a bien pire encore; et là je cite Lorulot en toutes lettres :

1. « On sait que la haine féroce de l'homme américain contre les Noirs n'est pas exempte de jalousie sexuelle, en raison de la grande virilité génitale dont les mâles noirs sont favorisés... Ce qui explique le caractère sadique de la plupart des scènes de lynchage ».

2. « La pédérastie s'apparente, elle aussi, soit au masochisme, soit au sadisme, selon que le sujet joue le rôle passif, ou le rôle actif. Celui qui joue le rôle actif (pratiquant le coït sur un individu de sexe mâle) est très souvent un sadique, goûtant un plaisir spécial à humilier son partenaire en le soumettant à son penchant contre nature. ».

3. « On brûla des milliers de victimes, particulièrement des femmes (voir note en bas de page). Plus nerveuses, plus sensibles, leur sort était plus lamentable que celui des hommes. La femme est aussi plus facile à suggestionner. » La note en bas de page dit : « Pour un sorcier, dit Michelet, on trouvait dix mille sorcières. De son côté, l'aliéniste Legrand-du-Saulle (1864) disait : « À paris, il y a quarante hommes hystériques pour cinquante mille femmes ».

Et j'en passe. Fondamentalement homophobe, sexiste et même à certains moments platement raciste, Lorulot m'a fait rire très jaune. Il est mort en 1963 et son discours sur la sexualité à l'extrême frontière du communisme stalinien le plus répressif et le plus hygiéniste est fort heureusement mort avec lui. La libre-pensée et l'anti-religiosité n'excusent pas tout. Néanmoins, la veine n'est pas morte. Elle a juste changé de nom, de nos jours. Mais au fond, l'idée reste la même : le vrai bonheur, c'est la relation de couple hétérosexuel marié qui copule « bien proprement » pour perpétuer l'espèce. Et que le « bien proprement » veuille dire « dans le respect de la bienséance marxiste-léniniste » ou « en suivant le guide de l'extase de A à Z pêché dans la presse à grand tirage » ne change rien au problème.

Heureusement, depuis 1954, la Queer Theory a quelque peu contre-balancé ce genre d'inepties. Pour les curieux qui voudraient néanmoins lire Lorulot : « La flagellation et les perversions sexuelles », aux Éditions de l'Idée Libre, 1954.
 
Le sado-masochisme, les artisans du fantasme de Jean Streff Imprimer
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Écrit par Miriam   

Le sado-masochisme, les artisans du fantasme de Jean Streff De Jean Streff, auteur, scénariste, essayiste, ancien assistant de José Benazeraf et secrétaire du Prix Sade, je ne dirai qu'une seule chose : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer d'urgence. Pour une présentation plus approfondie, les amateurs feront bien de lire l'interview qu'a réalisée Virgile Iscan et qui se trouve en ligne sur son excellent site web www.viceland.com. Est-il utile de préciser que l'admirable premier ouvrage de Jean Streff, « Le masochisme au cinéma », paru aux Éditions Veyrier en 1978, trône en très bonne place dans l'enfer de ma bibliothèque depuis de nombreuses années ? Quoiqu'il en soit, Jean Streff est un « Grand Monsieur », comme l'on dit : de par son immense érudition cinématographique, de par son libertarisme militant et totalement incorrect, selon les normes actuelles tout du moins, et surtout de par son engagement très personnel en faveur des pratiques et de la subculture BDSM.

Petite précision digressive à ce propos : jusqu'en 1994, la médecine et la psychiatrie associaient la pratique du SM à une maladie. C'est seulement à partir du DSM-IV que l'American Psychiatric Association prit la décision de modifier en « paraphilie » le terme de « perversion sexuelle » qui était jusqu'alors utilisé dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders; mais aussi de  tenir compte de la consensualité entre les deux partenaires. Ce qui permit d'arriver progressivement à la dernière évolution, qui date de 2000 (DSM-IV TR), et ne considère la pratique du sadomasochisme comme une perversion sexuelle que si l'un des deux partenaires l'a imposée à l'autre ET que cette pulsion, cette pratique ou  ces comportements sadomasochistes ont causé au partenaire non consentant une détresse avérée ou des difficultés interpersonnelles. Il est vrai que plusieurs procès avaient défrayé la chronique; avec pour mémoire le Spanner Case en Angleterre ou l'Affaire Koen Aurousseau en Belgique, où la Justice avait systématiquement refusé de prendre en compte l'aspect consenti des pratiques incriminées, en se drapant de toute sa dignité dans un Code Pénal très mal foutu. Depuis, des pays comme l'Allemagne ou le Danemark ont dépénalisé les pratiques SM. Nous n'en sommes pas encore à la reconnaissance de notre sexualité, mais il faut garder l'espoir que l'épopée des Droits des Homosexuels a ouvert la voie pour nous, les « affreux sadomasos ». Fin de la digression.

Mais parlons de l'ouvrage « Le sado-masochisme. Les artisans du fantasme », qui a été publié par les Éditions Garancière en 1984, avec en couverture une photo de Claude Alexandre. Il ne s'agit pas d'une fiction, mais d'une série d'interviews, menées par Jean Streff  auprès de ce qu'il était convenu d'appeler, à l'époque de la parution du livre, des « pervers sexuels ». Divisé en cinq chapitres : « Les manuels », « Les professionnelles », « Jeux de rôle », « Vivre l'imaginaire » et « L'amour, toujours l'amour », l'ouvrage offre au lecteur une véritable plongée dans l'intimité et l'imaginaire fantasmatique d'adeptes de tous bords : Maître et soumise, Dominatrice vénale ou non, couple de masochistes, homosexuels, soumis, soumise, etc. L'idée de base étant de lever un coin de voile sur les pratiques sadomasochistes et de démontrer tout ce qu'elles ont de complexe, de subversif et de libératoire. D'ailleurs, bien au centre du jeu, l'auteur place l'Amour avec un très grand « A », tel que chaque individu le rêve : infiniment personnel et merveilleusement supérieur à tous les autres sentiments humains. Les entretiens, remarquablement menés, pleins de tact et cependant redoutablement profonds, prouvent sans avoir l'air d'y toucher qu'il faut être généreux, courageux, créatif, plein de force et d'amour pour être à même de pratiquer le SM. Je cite Jean Streff dans sa présentation : « Mais le rêve est aussi par définition un leurre et la liberté une utopie. Alors qui sont donc ces êtres singuliers, ces bizarres, ces déviants, ces « pervers » qui s'octroient la réalisation du rêve et la liberté du plaisir ? ». Il le démontrera ensuite, tout au long de l'ouvrage, brillamment : ce sont tout simplement des artistes.

« Le Sado-masochisme. Les artisans du fantasme » de Jean Streff, aux Éditions Garancière - ISBN 2-7340-0072-5. [Merci au soumis c. qui me l'a prêté et à qui il faudra malheureusement bien que je le rende... Cool]

 
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