Lectures érotiques - Varia


Histoire des peines de sexe de Gérard Zwang Imprimer
Lectures érotiques - Varia
Écrit par Miriam   

Histoire des peines de sexe de Gérard Zwang Avant d'entrer dans cet article-ci, je souhaiterais me fendre d'un petit « disclaimer », comme on dit Outre-Atlantique. Le voici. S'il devait un jour arriver - probabilité très infime il est vrai - que par le plus extrême des hasards Monsieur le Docteur Zwang lise ces lignes, je lui demande humblement de ne pas (trop) se scandaliser d'être cité ici. Et par deux fois encore ! - sans doute est-ce d'ailleurs très provisoire, j'ai encore bien d'autres livres de sa plume à présenter...  (voir pour l'instant l'article sur sa Lettre ouverte aux mal-baisants). En effet, même si Monsieur le Docteur Zwang serait tout à fait en droit de me couvrir d'insultes (ce qu'il ne manquerait certainement pas de faire, le cas échéant), je me dois malheureusement de l'assurer de l'immense admiration que j'ai pour lui en tant que scientifique, en tant qu'homme, en tant qu'humaniste et en tant qu'artiste. Ce « bienfaiteur de l'humanité » (un terme qu'il affectionne) est un farouche adversaire du baroque et de Sade. Nous sommes donc ennemis par la force des baïonnettes - bien que de mon côté j'éprouve énormément de sympathie pour lui, je le répète. On comprendra néanmoins pourquoi il ne pourrait que haïr de toutes ses forces une femme telle que moi; une femme qui porte Les Arts Florissants aux nues; une femme ouvertement et inconditionnellement « sadienne » depuis l'âge de 14 ans (et pour cause); une femme enfin qui pratique le BDSM contre vents et marées. En clair, une sadomaso pure et dure. Mais enfin, eu égard aux ensembles de Venn, nous partageons tout de même certaines vues communes, Monsieur le Docteur Zwang et moi : un  anticléricalisme militant et forcené; un rejet radical de toute freuderie, diluée ou non; un amour immodéré pour le classicisme (aaah ! Bach ! Mozart ! La Renaissance !) et enfin une confiance absolue en la science comme outil de connaissance. Je vous demande pardon, Monsieur le Docteur Zwang, d'avance et très courtoisement, si je me propose de faire une deuxième fois l'éloge de votre travail en ces lieux délétères. Fin du disclaimer.

Gérard Zwang, pour les quelques lecteurs et lectrices qui ne le connaîtraient pas, est un chirurgien et urologue français, né à Paris le 16 juin 1930. Son premier ouvrage, « Le Sexe de la Femme », paru en 1967, est un monument. Pour la première fois, un médecin s'efforce de donner une description scientifique et anatomique fiable des organes génitaux féminins, jusque-là présentés des façons les plus farfelues. Très influencé par les travaux de Konrad Lorenz, Gérard Zwang est l'un des fondateurs de la Société française de sexologie clinique et un pionnier dans la lutte contre les mutilations sexuelles (excision, circoncision), notamment celles perpétrées sur des enfants. Il est d'ailleurs président d'honneur de l'Association contre la Mutilation des Enfants. Entre autres ouvrages, citons « La fonction érotique » (1972), « Pathologie sexuelle » (1980), « La Statue de Freud » (1985) et last but not least « L'Atlas du Sexe de la Femme » (1967) et l' « Éloge du Con » (2001).

Dans son « Histoire des peines de sexe », Gérard Zwang propose un survol des « déboires » divers et variés qui ont accablé la fonction érotique humaine depuis les temps immémoriaux. Avec une mention de (dés)honneur pour les trois monothéismes. L'auteur est athée, laïc jusqu'aux orteils (pour ne pas citer quelque autre partie intime de son anatomie). Il ne se prive pas plus de traîner les Dogmes religieux dans la boue tout au long de son « Histoire des peines de sexe » que dans sa « Lettre ouverte aux mal-baisants ». Une cohérence bien stricte et bien droite - bien sadienne - comme je les admire et comme je les respecte toujours. La documentation sur laquelle s'appuie Gérard Zwang est riche et rigoureuse. Une iconographie fort soigneusement choisie illustre parfaitement ses propos. La bibliographie est un modèle du genre et il pousse l'amabilité jusqu'à inclure une table des illustrations ET une chronologie de - 30.000 avant JC jusqu'à 1993 (date de fin de rédaction de l'ouvrage).

Bien sûr, l'ouvrage n'est pas neutre. Autant être prévenu. Gérard Zwang a ses bêtes noires, avec bien au centre la psychanalyse (psychaNAZElyse...) et son « Grand Chef » viennois psychopathe. Sade, les sadomasos, les pervers et tutti quanti, à droite. Et les féministes militantes / les activistes homosexuel/le/s, à gauche. Dont Shere Hite, qu'il accuse de n'être pas « universitaire » - elle n'a en effet obtenu qu'un diplôme en histoire aux États-Unis et non un doctorat en médecine à Paris; ce dédain est « logique » dans le contexte de « grands mandarins » d'une alma mater européenne. Bien sûr aussi, l'ouvrage n'est pas d'un abord facile. Gérard Zwang est une plume redoutable, acerbe, méchante, insultante parfois. Il écrit en digne héritier des humanités « latin-grec » dont il a visiblement retenu les leçons. Le lire nécessite parfois des ajustements de logique, pour les pauvres gosses post-soixante-huiteries qui, comme moi, n'ont pas eu la CHANCE d'apprendre à penser en Grec et/ou en Latin. Il ne s'abaisse d'ailleurs pas à traduire les expressions en Grec classique (avec graphie originale) qui émaillent son texte. Celles et ceux qui n'y comprennent rien n'ont qu'à se dépatouiller avec un dictionnaire, s'ils en ont un. Cette attitude supérieure est blessante - mais je la comprends; elle fut la mienne pendant bien des années. Il a bien aussi quelques complaisances, pour  l'antiquité gréco-romaine, par exemple. Gérard Zwang a ses marottes, évidemment. C'est tout naturel. Cela permet de baliser son discours sans effort particulier, de le recadrer dans un contexte parfaitement délimité. On sait toujours où l'on se situe, en lisant Zwang. Comme avec Sade ! Quel dommage que d'autres excellents auteurs ne prennent pas exemple sur cette subjectivité librement assumée et rigoureusement cohérente qui fait tout le charme de lecture des textes profondément engagés.

Enfin j'ai véritablement adoré les postulats éthologiques sur lesquels Gérard Zwang s'appuie. Je suis une skinérienne repentie, après de brèves rencontres faites avec des extraits de Mac Lean ou de Changeux, en suant d'effort - je ne suis ni neuro-endocrinologue ni neuro-biologiste ! J'adhère totalement aux théories comportementales soutenues par Gérard Zwang, notamment en ce qui concerne les « perversions » (je préfère le terme « déviances »). Lorsqu'il affirme, par exemple, que « le propre du pervers est justement de rester insensible, par vice de constitution, au remords, aux reproches de « sa conscience » - et de son sens moral, biologique avant d'accueillir l'information culturelle », je ne peux que me lever et applaudir debout. C'est la meilleure définition de la perversion que j'aie jamais lue. Je le répète, mon motto favori est « je ne suis pas un exemple à suivre, mais je sais très bien où je vais ». Je SAIS que je suis anormale et je SAIS que les normaux ne PEUVENT pas me comprendre (ni même parfois, très prosaïquement, me tolérer). Ce que je voudrais, c'est comprendre POURQUOI je suis anormale. Et surtout COMMENT ça marche. Avoir deux fils (ou plus) qui se touchent, c'est embêtant mais on peut apprendre à vivre avec. Mais être continuellement en bute à l'ostracisme social, c'est vraiment usant. Pourquoi accepte-t-on les diabétiques ou les hémophiles, et pas celles ou ceux qui ont des fils qui se touchent - ou des schémas implantés de travers - et qui mettent un point d'honneur à ne nuire à personne ???!!! Tout simplement parce qu'il n'existe aucune étude scientifique sérieuse, aucune nosographie, des pathologies induites par les fils qui se touchent. Gérard Zwang, lorsqu'il envisage des pistes d'avenir à la fin de son « Histoire des peines de sexe », avance très judicieusement : «  si les masochistes jouissent réellement de sensations érogènes déclenchées par des stimuli nociceptifs, ne faudrait-il pas pratiquer des explorations de leur neurochimie médiatrice ? » Et je réponds en sautant de joie : « Oooh siiiiii ! Présente, Monsieur le Docteur Zwang ! J'offre ma cravache et mon soumis à la science ! Allons voir du côté de la recaption de la sérotonine, allons nous promener dans les bois, de par cette grosse glande endocrine qui s'appelle un cerveau, explorer les systèmes para et orthosympathique et voir qui, de l'endorphine ou du reste, court-circuite tout le système !!! » Histoire de bien démontrer que les « vrais » sadomasos, dont je fais partie, ne sont qu'une infime population déviante qu'il ne faut SURTOUT PAS imiter quand on n'en fait pas partie - même (SURTOUT) si c'est à la mode...

Le progrès moral est à ce prix. Lecture indispensable, donc. « Histoire des peines de sexe » de Gérard Zwang, paru aux Éditions Maloine, ISBN 2-224-01996-3.

 
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Écrit par Miriam   
L'érotisme de Georges BatailleRelativement méconnu du grand public, Georges Bataille n'en est pas moins une des références sulfureuses et incontournables de l'intelligentsia franco-centriste. Mais commençons par une brève biographie.

Né en 1897 à Billom (Puy-de-Dôme) et mort en 1962 à Paris, Georges Bataille est un digne enfant du 20ème siècle. Enfant à plus d'un titre, en fait, comme je l'exprimerai plus loin. Son enfance, puisque nous y sommes, n'est sans doute pas très insouciante. Son père, syphilitique et aveugle, et sa mère, dépressive, contribuèrent-ils à forger la personnalité tout à fait singulière de leur fils ? La question est posée. Élevé dans l'irréligion (il fallait le faire, à l'époque...), Georges Bataille débute fort tôt sa carrière de transgresseur en se convertissant au catholicisme en 1917.

Faut-il y voir un monumental « je vous e... » adressé à sa mère ? Mère qui, précisément, avait décidé de fuir l'artillerie allemande en 1914, laissant son époux malade et aveugle se débrouiller seul à Reims, tandis qu'elle prenait les enfants sous le bras et retournait dans sa famille à Rioms-ès-Montagne (Cantal). Conséquence : le père de Georges Bataille mourra seul sous les bombardements en 1915. Ou faut-il plus simplement noter que, dès l'adolescence, Georges Bataille est travaillé par de puissantes pulsions mystiques ? Toujours est-il que le tempérament pour le moins « brûlant » de notre apprenti curé lui barre bien vite la route (il reconnaîtra lui-même avoir voulu « se ruiner » dans les nuits blanches, l'alcool et la fréquentation de milieux interlopes). Sa vocation de prêtre ne dure d'ailleurs que le temps que durent les roses. Et il perd la foi en 1920, selon la légende peu après avoir soupé chez Henri Bergson à Londres, qui lui aurait refilé son « Le Rire » à lire. Sacré Henri...

De là, Georges Bataille mettra un point d'honneur à rire (mais un rire pas vraiment joyeux) et à s'écarter de la norme. Et autant l'admettre, il y parviendra parfaitement. Son diplôme d'archiviste-paléographe en poche, Georges Bataille est libre de se lancer dans la mêlée. Et il s'y jette, rencontre Michel Leiris, Boris Souvarine, André Breton et les surréalistes, Albert Camus, René Char, Picasso (et Dora Maar, évidemment...), Jean Paulhan ou Pierre Klossowski. Lorsqu'il se met à publier, c'est le pavé dans la mare. Son « Histoire de l'œil » (édité clandestinement en 1928 sous le pseudonyme de Lord Auch) inaugure une série de textes qui seront immédiatement qualifiés d'obscénités dégoûtantes par ses contemporains. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Il y a le Georges Bataille de « L'anus solaire », « Madame Edwarda » ou « Dirty ». Mais il y a aussi le Georges Bataille de « La Peinture préhistorique. Lascaux, ou la Naissance de l'art », de « L'expérience intérieure » ou de « Sur Nietzsche ». C'est là tout le paradoxe non-résolu chez Georges Bataille : la transgression implique la limite. Et sur ce plan-là, « L'érotisme » est un ouvrage révélateur tant de la pensée que de la psychologie de Georges Bataille.

Autant prévenir tout de suite le lecteur curieux, « L'érotisme » de Georges Bataille est un pavé dans son genre. Dans la mare, c'est entendu, mais également sur l'estomac. À plus d'un égard, le premier étant au niveau de la simple lecture. Georges Bataille est un torturé et il s'y entend comme personne pour le démontrer par le style et la structure. Ne vous lancez pas dans son « L'érotisme » sans être prévenus : c'est d'une complexité et d'une lourdeur dignes de figurer au panthéon des briques indigestes. Sade, pour ne citer que lui, fait pâle figure à côté (et pourtant Sade est capable d'en rajouter mille tonnes, à ses heures). Récusant la philosophie mais enragé de notions dialectiques dans la plus pure tradition Hegelienne, dénonçant l'impossible vocation du langage en tant qu'outil de destruction de la norme et se complaisant dans les développements les plus abscons, Georges Bataille me semble être tout entier entre les lignes de « L'érotisme ». Souvent, il m'a semblé que sous la surface érudite, c'était un gamin tétanisé par la peur de mourir qui se débattait.

Composé d'une juxtaposition de textes divers, dont certains sont des conférences qu'il a données, l'ouvrage se propose de montrer en quoi l'érotisme n'est rien d'autre qu'une « dose homéopathique » de mort, que les humains tragiquement « discontinus » que nous sommes tous se plaisent à s'administrer, afin de s'approcher de manière prudemment réversible de leur retour à la « continuité ». Je vous avais prévenus, c'est dense... Mais c'est très intéressant, par là-même. Bien sûr, une sadienne telle que moi ne s'y retrouve pas. L'angoisse terrible qui sous-tend l'ouvrage; le goût masochiste de l'ordure et de la souffrance; le cri de désespoir et d'impuissance qui semble jeté en conclusion, tout cela s'écarte totalement de ma philosophie profondément égoïste et jouisseuse. Pour Georges Bataille, je fais partie des « affaissées » - comme il les nomme avec une condescendance que je ne puis accepter. S'il fallait résumer d'une façon sarcastique le crédo de Georges Bataille, ce serait : « là où il n'y a pas de gêne, il ne peut y avoir de jouissance ». La sexualité humaine ? Inconcevable sans la honte et la conviction de se rouler dans l'ordure. Les femmes ? Au mieux des proies qui excellent à se dérober, pour mieux aiguiser le désir. Au pire, de vulgaires truies. L'érotisme ? Morbide, immanquablement.

Pourtant, « L'érotisme » a le mérite de soulever des points extrêmement cruciaux. Comme l'individualité de l'expérience érotique (Bataille livre bataille au rapport Kinsey, très logiquement). Comme aussi les liens très forts qui peuvent exister entre mystique et érotisme (encore que, nous ne sommes pas d'accord lui et moi sur le domaine : philosophique et religieux chez lui, purement neuro-biologique chez moi). Et cerise sur le gâteau (bien que cela soit sans doute involontaire), un décorticage magistral de la façon dont le catholicisme (et partant, les autres religions en général) a pourri tout ce qu'il a touché - à commencer par le plaisir charnel.

Profondément dérangeant, mais fondamentalement indispensable, « L'érotisme » de Georges Bataille constitue un jalon d'une importance capitale, qui a fortement influencé des pointures comme Derrida, Foucault ou Sollers.

« L'érotisme » de Georges Bataille, paru aux Éditions de Minuit, Collection « Arguments », ISBN 2-7073-0253-8
 
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Écrit par Miriam   

L'Orgasme et l'Occident de Robert MuchembledRobert Muchembled est un historien français né à Liévin (Pas-de-Calais) en 1944, d'un père mineur et d'une mère paysanne. Actuellement professeur d'histoire moderne à l'université de Paris-XIII,  il a été membre de l'Institute for Advanced Study de Princeton (USA) en 2003-2004 et a publié de nombreux ouvrages, dont « Une histoire du diable », ainsi que toute une série sur les sorcières et la sorcellerie. Son étude « L'Orgasme et l'Occident », est parue chez Seuil en 2005. Pour les afficionados, je mentionne son dernier ouvrage : « Les Ripoux des Lumières, Corruption policière et Révolution », sorti cette année (2011). Robert Muchembled est réputé n'avoir pas sa langue dans sa poche; pour un docteur en histoire c'est assez louable. Il n'a d'ailleurs pas récolté que des bravi dans sa carrière; ses prises de positions pour la culture populaire, à une époque où il faisait bon s'acharner à faire partie de l'élite, n'ont pas fait que des heureux.

« L'Orgasme et l'Occident », clin d'œil à De Rougemont et à Flandrin, part d'un postulat relativement psychanalytique : ce qui est refoulé peut être sublimé. On sait ce que je pense de la psychanalyse. Néanmoins, force est de constater que la privation sexuelle peut se transformer en énergie. Pour prendre un exemple d'Épinal, ne suggérons que le vieux chef hargneux qui se venge des dédains de son épouse sur le petit personnel, ou la méchante teigne bilieuse qui fait pareil, faute de satisfaction conjugale régulière. Ce sont des choses qui arrivent, malheureusement.

Robert Muchembled, en « historien des cultures », va plus loin : il se propose de démontrer que le développement culturel, économique et politique de l'Europe est directement influencé par la répression sexuelle à l'œuvre depuis la fin de la Renaissance. Selon un mécanisme relativement simple : plus la société est répressive, plus l'individu est poussé à sublimer - ce qui expliquerait le prodigieux dynamisme des classes bourgeoises capitalistes tout au long du XIXème siècle, notamment; mais aussi la colonisation, les progrès scientifiques et la richesse des productions artistiques, pour ne citer que quelques exemples. Tout cela est fort bien trouvé, mais là où Robert Muchembled s'emmêle un peu les pinceaux, c'est quand il part à la pêche aux documents historiques (il ne fait que son travail, jusque-là) et qu'il exhume des anecdotes qui battent en brèche sa propre théorie. Je ne prendrai qu'un des documents, le « Ma vie secrète » de Walter, un Victorien de la plus belle eau, qui se fait fort de tenir le journal de ses coucheries, en pleine période de répression (il se vante d'avoir couché avec 1.200 femmes; nous sommes bien loin de l'éjaculation éclair décrite par Fowles dans « La Maîtresse du Lieutenant français »). Que le règne de Victoria ait vu proliférer les interdits et les lois répressives, c'est indéniable. Ce qui est moins net, c'est la portée qu'ont eu ces phénomènes dans la population; or si une majorité des individus ont courbé la tête sans pour autant courber « le reste », je vois mal comment la « frustration » aurait pu mener à une « sublimation » aussi phénoménale que celle qui fut à l'œuvre en Occident à l'époque industrielle. Robert Muchembled en est bien conscient, mais uniquement en ce qui concerne les siècles précédents. C'est un peu étrange. Mais enfin, ce problème de logique mis à part, force est de constater que l'analyse de Robert Muchembled ne manque pas de sel; lorsqu'il avance par exemple la théorie du « double standard masculin », apparu après la Révolution française; au moment où, le discours répressif s'étant laïcisé, la « science » accourt à la rescousse du machisme primaire. Je ne dirais pas le machisme primaire de qui, mais tout le monde aura reconnu le petit corse mal embouché, dont le Code est toujours en vigueur, notamment en ce qui concerne le mariage. Ce « double standard » substitue aux élucubrations des « pères de l'Église et d'ailleurs » (du style « Les femmes ont-elles une âme ? », « Les femmes sont impures de naissance», etc.) les élucubrations de la gent médicale (du genre « Il existe deux types de femmes : les bonnes, qui sont frigides et mariées; et les mauvaises, qui sont des obsédées sexuelles tombées dans la débauche »).

En excellent historien, Robert Muchembled confronte différentes théories, il les renvoie dos-à-dos, et il ne manque pas de prendre un bon recul, même si c'est un recul qui n'engage que lui. En cela, je suis très contente de ma lecture : j'ai beaucoup appris, notamment sur les XVIème et XVIIème siècles. Je ne partage toutefois pas son optimisme quant à sa conclusion sur notre époque. L'on pourrait se demander ce qui nous attend, vu la déferlante d'érotisme qui caractérise notre Occident européen contemporain. Si l'on s'en tient à la théorie sublimatoire développée par Robert Muchembled, nous serions voués à nous transformer en amibes ?! Mais il conclut que non, s'appuie sur l'excellent travail de Desmond Morris, sur les résultats des derniers sondages en France, qui marqueraient une « sortie de la religion » et assureraient à la femme et à l'homme du 21ème siècle le « choix d'utiliser leur corps à leur gré ».

Mwouai. Pourvu que les imbéciles qui prônent le retour à l'obscurantisme le plus abject se rallient vite à sa cause !

« L'Orgasme et l'Occident - Une histoire du plaisir du XVIème siècle à nos jours » de Robert Muchembled, paru aux Éditions du Seuil en 2005. ISBN 2.02.055232.9.

 
Les femmes, la pornographie, l'érotisme de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge Imprimer
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Écrit par Miriam   

Les femmes, la pornographie, l'érotisme de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge Auteur, scénariste et journaliste, Marie-Françoise Hans a commencé par enseigner le français, avant de se lancer dans l'écriture. Elle est notamment l'auteur de l'ouvrage « Les Femmes et l'argent », aux éditions Grasset, ainsi que la scénariste de pièces de théâtre (« Louise » ou « George et Alfred »). Elle a participé de moitié à l'ouvrage « Les Femmes, la pornographie, l'érotisme » avec Gilles Lapouge. De ce dernier, écrivain et journaliste également, précisons qu'il est né à Digne en 1923, qu'il a collaboré au Monde, au Figaro Littéraire et à Combat; et qu'il s'est illustré en tant qu'écrivain (« L'incendie de Copenhague », « La Bataille de Wagram » ou « Le Bois des amoureux », pour ne citer que quelques titres). Mais replaçons « Les femmes, la pornographie, l'érotisme » dans son contexte socio-historique, à savoir l'année 1978.

L'époque n'est pas anodine : c'est à peine deux ans après la loi du 30 décembre 1975 sur le « Classement X » au cinéma, qui a stoppé net une production hexagonale dont « Emmanuelle » et « Histoire d'O » sont les deux fleurons. Pour ce qui est du contenu de la loi, volontairement évasif quant à la définition de ce qui est « pornographique » ou pas, simplifions en rappelant qu'il s'agit de taxer plus lourdement le « cinéma porno » et d'exclure toute subvention, que ce soit à des réalisateurs, à des sociétés de production ou même à des réseaux de diffusion. Le résultat étant qu'à partir de l'entrée en vigueur du décret, le cinéma porno a sombré avec armes et bagages dans un cloaque puant - dont il n'est d'ailleurs plus jamais sorti depuis. Car en 2011, au Ministère de la Culture (Censure ?), la « Commission de classement des œuvres cinématographiques » travaille (sévit ?) toujours. Voir à ce sujet l'article d'Ovidie sur le classement X de son film « Histoires de sexe(s) » en 2009.

Mais bref. En 1978, soit dix ans après les mouvements de libération de mai 1968, le débat sur la pornographie fait rage. Chez les femmes, surtout. Et les féministes en particulier. On se doute que ce n'est pas pour la défendre que les femmes se mobilisent : il faut bien plus de dix ans pour sortir d'un conditionnement multi-millénaire. C'est de là que part l'initiative de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge. Comment est perçue la pornographie, et plus précisément le cinéma pornographique, chez cette moitié fraîchement libérée de la société ? Afin d'y voir plus clair, ils vont procéder à une série d'interviews; comme ils sont journalistes, ils se servent des outils qu'ils maîtrisent le mieux. Ils se heurtent dès l'abord à de grosses difficultés. La première, et non des moindres, étant de parvenir à une définition exacte du terme « pornographie » (depuis Maître Garçon et l'affaire Sade-Pauvert, on sait qu'elle ne peut être que transitoire). La seconde étant de trouver des volontaires pour les interviews. Or, suite à l'annonce qu'ils passèrent dans « Libération », nos courageux auteurs ne furent contactés que par... des hommes ! (bizarre, vous avez dit bizarre ?...). Quand j'écris « courageux auteurs », je devrais plutôt préciser « courageuse Marie-Françoise Hans »; est-il bien utile d'apporter cette précision - ô combien révélatrice ?! Mais enfin, ils parviennent tout de même à se tirer d'affaire, en activant, trente ans avec que le terme soit inventé, ce que l'on nomme communément de nos jours leur « réseau social ». Leur étude est dès lors un peu biaisée, mais ils sont suffisamment professionnels pour faire en sorte que la diversité des profils (âge, situation, milieu social, etc.) soit respectée. Il faut saluer cet exercice journalistique bien tempéré, une espèce devenue fossile de nos jours.

Et bien que je ne suive pas du tout la conclusion de Marie-Françoise Hans, qui part dans un délire sur les « snuff movies » - je me rappelle assez comme le sujet m'énervait déjà, adolescente -, force est de reconnaître que les interviews posent les principaux éléments de la problématique « pornographie » : rôle du capitalisme, sexe marchandise, répression sexuelle organisée, censure économique, déshumanisation, etc. Je ne peux résister à citer un passage de l'interview de Judith Belladona, auteur de l'ouvrage « Folles femmes de leur corps » sur la prostitution : Question : Et savez-vous si les prostituées portent un jugement sur ce phénomène qu'est le débordement pornographique ? Réponse : Je crois qu'elles sont assez méprisantes - bien que ne condamnant pas la porno, comme le font les femmes du Mouvement, au nom du voyeurisme, de l'exhibitionnisme - parce que les gens se font leur cinéma et qu'elles le savent bien, elles, combien la misère sexuelle des hommes est grande et que la porno est le grand leurre qu'on sert aux gens pour leur faire passer la pilule d'une condition de vie lamentable.

Rien ne semble avoir changé depuis 1978, hélas. Il faut espérer que les femmes ET les hommes vont se réveiller et prendre leur destin pornographique en main. On peut rêver.

« Les femmes, la pornographie, l'érotisme », par Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge, aux Éditions du Seuil (Collection Points Actuels), ISBN 2.02.005426-4.

 
Le Livre des fantasmes de Brett Kahr Imprimer
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Écrit par Miriam   
Le Livre des fantasmes de Brett Kahr Voici venir, au fil de la pile des ouvrages en souffrance, un truc totalement improbable que j'ai acheté je ne sais plus où et je ne sais plus quand. Mais vu la strate, relativement basse, c'était il y a un certain temps déjà. Probablement chez mon receleur habituel. Dans une fourchette de prix relativement haute. Vraisemblablement guidée par les jolies mains de la première de couverture (une photo de chez Getty Images). Mais qu'importe ? C'est un ouvrage inclassable. Et il est écrit par un psychanalyste.

J'ai prévenu que j'allais faire une petite place à la discipline honnie, au nom de l'honnêteté intellectuelle. On voit que je tiens parole. Brett Kahr est donc psychothérapeute et psychanalyste. C'est une sommité dans son domaine au Royaume-Uni. Brett Kahr se consacre - outre son cabinet-, à la recherche (Centre for Child Mental Health de Londres); à l'enseignement (School of Arts de l'Université de Roehampton) ou à l'écriture (il est l'auteur de plusieurs ouvrages). En tant que référence, il apparait régulièrement à la télévision et dans les média. C'est également un compositeur et un musicien. Mais mon propos c'est de parler de son travail de chercheur en sciences sociales, car c'est de cela dont il s'agit, dans ce fameux « Livre des fantasmes ».

Le projet, c'est ni plus ni moins de mener à bien la plus vaste enquête jamais entreprise depuis Kinsey et d'obtenir des données chiffrées et scientifiquement exactes à propos des fantasmes de la population. Population britannique, précisé-je : tout de même, Brett Kahr ne s'embarque pas dans un projet « trop » pharaonique. Or les enquêtes et les sondages sont un de mes grands dadas. Je l'attendais donc au tournant, avec son postulat de départ que les fantasmes seraient directement liés aux traumatismes de l'enfance.

Je n'eus pas l'occasion de m'emporter ni de fulminer. Dès la première page, je tombai de ma chaise. Car Brett Kahr, tout psychanalyste qu'il est, et de ce fait tout pétri de Freud et de sa sainte trinité du « ça-surmoi-moi », est remarquablement compréhensible. Il ne jargonne pas. Il ne s'embarque dans aucune dissertation opaque et au lexique indéchiffrable. Sa prose est claire, concise, émaillée d'exemples concrets - et même d'humour ! D'humour ?! Chez un psychanalyste ???!!! J'admets avoir le bec cloué, net et sans bavure.

La suite me le décloue, et je me retrouve comme les personnages de Tex Avery, la mâchoire grande ouverte et la langue déroulée. Les fantasmes qu'il a récoltés, chez des vanille tout ce qu'il y a de plus standard, n'ayant ni passé psychiatrique ni difficulté mentale particulière, sont sidérants de pornographie, de déviances et de perversions. Je suis totalement scotchée. BDSM « relativement soft » à tous les étages, orgies et partouzes dans toutes les chambres. Chez les hommes, 58 % des participants à l'enquête déclarent fantasmer sur des pratiques sexuelles avec deux femmes ou plus, et 40 % sur un ménage à trois. Les femmes, elles (tiens, quelle surprise !), ne sont que respectivement 10 et 19 % à être dans le cas. Et seulement 28 % d'entre elles fantasment sur une relation sexuelle avec deux hommes ou plus. Ce qui me scotche, comprenons-nous bien, ce n'est pas qu'ils soient si nombreux à se masturber sur des scénarii pareils. Mais pourquoi foutre n'assument-ils pas ??? Pourquoi tant d'adultère, de tromperies diverses et variées, de porno visitée en douce sur Internet et autres gamineries immatures ? La réponse, je l'ai : ce sont des vanille, ils ne sont pas capables de s'assumer. D'où le paysage très pornographiquement correct qui se déroule sur l'écran noir de leurs nuits blanches, pour paraphraser Claude. Ce ne sont que grandes blondes à forte poitrine, pénis aux dimensions Rocco Siffredesques et autres vagins dégoulinant d'excitation. Les deux vieux du Muppet Show (à savoir moi et mon homme), nous fendons d'un : « laaameeentaaable » entendu.

Il y a bien quelques exceptions, évidemment. Il y a des artisans du fantasme, même chez les vanille. Brett Kahr essaie bien de leur trouver des traumatismes. Mais c'est un peu peine perdue. Je gage que lorsque les « caramel » en question auront compris où leur force mentale, leur créativité et leur absence de préjugé les mènent, sexuellement parlant, ils ne tarderont pas à rejoindre le rang de celles et de ceux qui assument. Sans traumatisme, sans tabou et sans psychanalyse.

Cependant l'étude menée par Brett Kahr, malgré ce que je considère comme de gros biais méthodologiques (cadre d'analyse inclus), est remarquable. Renseignements pris sur la boîte privée qui lui a trouvé son échantillon, j'ai un « gros doute » sur leur impartialité. Mais ce n'est pas de sa faute. Pour le questionnaire utilisé, par contre, il est un peu responsable. Des questions fermées, qui orientent le répondant selon un cadre de travail terriblement axé sur le « je veux prouver ce que j'avance » (à savoir que les fantasmes sont construits pour corriger des traumatismes anciens), ce n'est pas très malin. Lorsqu'il formule des hypothèses sur les fonctions du fantasme, par exemple, Brett Kahr n'envisage au départ rien qui soit réellement positif. C'est seulement après les entretiens de psycho-diagnostic avec certains participants qu'il se rend compte qu'on peut aussi fantasmer pour des raisons plaisantes (et non pas parce qu'on s'ennuie ou qu'on veut réduire son stress). N'empêche, il fait preuve, tout au long de sa recherche, d'une remarquable humilité académique. Il se remet en question. Il regrette des choix ou des oublis dans sa méthodologie de travail. Ça sent son humaniste à plein nez. Et même s'il s'embrouille un peu parfois, dans la jungle des fantasmes de ses compatriotes, il refuse tout net de définir ce qui est « sain » ou « malsain ». Ce qu'il voudrait, en revanche, c'est réfléchir aux implications des problèmes qui sont posés par les résultats de l'enquête. Par exemple, celui que pose l'extrapolation à l'ensemble de la population le résultat suivant : 10 % de Britanniques ont des fantasmes de violence sexuelle (1,8 millions de personnes). Ça fait aucun doute, il va falloir BEAUCOUP PLUS de Donjons si tout ce joli monde passe de la fantasmagorie à la pratique...

Plus sérieusement, je suis entièrement et de tout cœur avec Brett Kahr lorsqu'il forme des souhaits de « réduire le poids de la culpabilité et de la honte qui demeurent encore si vivaces dans notre culture », afin de contribuer à « éradiquer la souffrance psychologique qui caractérise encore si souvent le domaine de la sexualité ». Et de rappeler que les fantasmes « peuvent être aussi source de plaisir ludique, de créativité et même d'amusements. »

En guise de conclusion, comme lui, je ne résiste pas au plaisir de recopier le fantasme d'un certain Reuben : « Mon plus grand fantasme sexuel ? Que ma femme se transforme en pizza et en pack de six après l'amour ! » Et celui d'une certaine Miriam (ce n'est pas moi, je précise) : « QUE MON PARTENAIRE ARRIVE À TENIR PLUS DE DEUX MINUTES ! »

« Le Livre des fantasmes » de Brett Kahr (titre original : « Sex and the psyche », est paru chez Grasset en 2008. ISBN 978 2 246 698319.
 
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