Lectures érotiques - Varia


L'érotisme au Moyen Age par Arnaud de La Croix Imprimer
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Écrit par Miriam   
L'érotisme au Moyen Age par Arnaud de La CroixAvant de parler de l'essai « L'érotisme au Moyen-Âge », je vais y aller d'une petite anecdote personnelle (une fois n'est pas coutume). Il y a quelques années de cela, alors que j'étais engluée dans une galère épouvantable, j'ai très fortuitement croisé Arnaud de La Croix... dans le métro bruxellois ! Nous avons voyagé en face l'un de l'autre pendant quelques minutes et ce fut une expérience tout à fait étrange et assez désagréable. Non qu'Arnaud de La Croix soit une personne désagréable, bien au contraire ! Son aura est il est vrai assez exceptionnelle. Mais étant moi-même, en ce temps-là, une torche vivante de souffrance psychologique, je n'étais pas en mesure d'apprécier le formidable hasard qui me plaçait face à lui. Tandis qu'il annotait distraitement un manuscrit posé sur ses genoux, tout en bavardant avec la femme qui l'accompagnait, je ne pouvais cesser de me désoler de mon mutisme traumatique, alors que j'avais, on s'en douterait, tant de choses à lui dire... Mais ce fut finalement la harpie du doute qui l'emporta : qui étais-je, moi l'anonyme, pour entamer la conversation avec lui, qui ne me connaissait ni d'Ève ni d'Adam ?

J'ignore si le hasard me représentera jamais une telle occasion sur un plateau. Depuis qu'il dirige les Éditions du Lombard, j'imagine qu'Arnaud de La Croix est très occupé. Toujours est-il que depuis ce curieux moment, je n'ai jamais cessé de me demander sur quoi il travaillait ce jour-là. Était-ce le manuscrit d'un auteur ? Était-ce son « Blueberry, une légende de l'Ouest », paru en 2007 ? La morale de mon anecdote, c'est qu'il faut toujours prendre soin d'être heureux, afin de saisir au vol les cadeaux que le sort nous envoie, plutôt que de rester bêtement silencieux à ruminer ses chagrins.

Mais parlons de « L'érotisme au Moyen Âge », paru dans la Collection Documents d'Histoire aux Éditions Tallandier en 1999 (ISBN 2-235-02212-X). De la première à la dernière page, la bruxelloise d'adoption que je suis a senti l'influence de la ville sur l'auteur. Arnaud de La Croix porte, chevillée à la plume, l'influence cosmopolite de cette improbable capitale, à cheval sur une cascade de cultures et de courants de pensée. N'écrit-il pas, en conclusion : « La scène finale se déroule en ville, là où se mélangent toutes les strates culturelles, où l'église jouxte la taverne, et l'université côtoie les étuves » ? C'est précisément à cela que ressemble Bruxelles, en tout cas jusqu'à présent...

Quant au contenu de l'ouvrage, précisons qu'il est extrêmement touffu mais absolument passionnant. Arnaud de La Croix est en effet un médiéviste renommé, qui connait ses gammes. De Le Goff à Markale, en passant par Nelli, Eco ou Libera, les sources et références auxquelles il puise sont incontournables. Renouant avec la tradition scolastique, l'auteur excelle à renvoyer les théories dos à dos, puis à se distancier de celles qui lui semblent trop orientées ou mal étayées. Jamais il n'avance la moindre opinion qui ne soit rigoureusement fondée et impeccablement présentée comme une conviction tout à fait personnelle. Tout au long de son essai, Arnaud de La Croix s'efforce de développer une analyse rigoureuse du sujet, qu'il entend débarrasser de tout amalgame. Après avoir remis en perspective son champ d'étude avec « l'état des lieux » durant l'Antiquité, l'auteur aborde les différentes influences qui ont traversé l'époque médiévale, sensibles dans les chants de la fin' amor jusqu'aux fabliaux et recueils parus juste avant la Renaissance. Le tableau qu'il fait des mœurs du temps est vivant et plein d'une belle énergie; sans doute afin d'apporter une preuve supplémentaire que l'âge des ténèbres n'était probablement pas aussi monstrueux qu'on se le représente encore souvent. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter l'excellente discographie sélective qu'Arnaud de La Croix a eu la gentillesse d'insérer à la fin de son essai. Y figurent entre autre l'ensemble La Reverdie; mais surtout l'incroyable Barbara Thompson, dont les enregistrements d'Hildegard Von Bingen sont tous en bonne place sur ma bibliothèque depuis de très nombreuses années.

L'humanisme qui sous-tend l'entièreté de l'ouvrage d'Arnaud de La Croix a ravivé ma nostalgie de ne pas lui avoir parlé, il y a si longtemps, dans le métro. Lorsqu'à la fin de son essai, il dénonce l'exclusion grandissante des marginaux, selon la notion de « grand enfermement » développée par Michel Foucault; lorsqu'il regrette les mécanismes d'exclusion et l'économisme-roi de la pensée unique, Arnaud de La Croix nous envoie un message qui vaut d'être entendu : « Ce qui a été dit de la riche ambivalence du Moyen Âge dans le domaine de l'érotisme vaut sans doute aussi des points de vue politique, économique et social ». Pourvu qu'il ne prêche pas dans le désert...
 
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Écrit par Miriam   

L'érotisme et le sacré de Philippe Camby Après avoir présenté, dans « L'Humeur du Jour », l'ouvrage « Le sexe dans les religions du monde » de l'anglais Geoffrey Parrinder, repassons de l'autre côté de la Manche et rendons-nous en Bretagne, à la rencontre de Philippe Camby. Ce français, né en 1952, est un homme peu ordinaire. En quatrième de couverture de son ouvrage « L'érotisme et le sacré », il est présenté comme un sociologue et un économiste. Mais c'est aussi un poète (l'une de ses premières œuvres, La Nuit Malade, est publiée en 1975 dans les Cahiers littéraires de Bretagne par Yann Brekilien), un essayiste (je me fais fort de mettre rapidement la patte sur son « Petit dictionnaire licencieux de la langue bretonne », pour ne citer qu'un seul titre) et un traducteur. En 2001, il crée l'une des premières maisons d'édition virtuelle francophone : l'Arbre d'or. Et en 2004, il fonde l'École druidique d'Helvétie à Neuchâtel. Un touche-à-tout, donc, mais certainement pas un homme dissipé. J'en veux pour preuve le magnifique essai dont il sera question ici, publié par Louis Pauwels aux Éditions Retz en 1978 et dont je possède une réédition, parue dans la Collection Espaces Libres chez Albin Michel en 1989 (ISBN 2-226-03814-0).

Remarquablement documenté, « L'érotisme et le sacré » n'est pas sans me rappeler parfois l'ouvrage de mon compatriote Jacques Finné : « Érotisme et sorcellerie – L'amour sorcier à travers les âges » - notamment lorsqu'il est précisément question, chez Camby, de l'érotique chrétienne. Mais venons-en à la présentation l'ouvrage.

« L'érotisme et le sacré » est un essai et à ce titre il n'est pas là pour distraire le lecteur. Cependant il y parvient sans peine, car contrairement à beaucoup d'essais, l'ouvrage est très facilement abordable par tout un chacun. Dès le premier chapitre, le ton est donné : Camby débute sa réflexion sur les thèses de Johann Jakob Bachofen à propos du matriarcat et de la gynocratie avec une jubilation non dissimulée. Son « au commencement était la femme » ne laisse aucun doute sur ce qui va suivre. Il n'est pas vraiment tendre avec l'émergence de la société patriarcale, mais avance que « l'eros kalos » (le bel Éros) des grecs n'était à tout prendre pas si mal que ça. Je ne le suis pas vraiment sur ce point, même s'il est vrai qu'il parle autant de Solon que d'Aristote, de Socrate ou de Platon. Il ne nie d'ailleurs pas la portée proprement apocalyptique qu'auront les théories platoniciennes sur la suite des événements (ou devrais-je écrire des hostilités ?) Car dès la fin de l'Antiquité, c'est la chrétienté qui débarque (déferle ?) en Europe et, lorsqu'il « attaque » l'époque chrétienne, Camby sort tout à fait du bois et tombe sur l'Église catholique, apostolique et romaine à bras raccourcis. C'est la foire d'empoigne, au sens littéral, et c'est un véritable délice. Non sans démontrer au passage l'opportunisme totalement démagogique des premiers pères de l'Église qui imposèrent l'ascétisme et l'abstinence sexuelle - mais aussi le délire galopant des suivants, mystiques et saintes compris - l'auteur souligne avec fougue que tout n'était pas catholique en Occident au Moyen-Âge, ce qui explique les chapelets d'interdits qu'ont vomis les Papes au fil des siècles, les massacres perpétrés par la Sainte Inquisition et autres expéditions punitives diverses et variées, qu'il qualifie, à très juste titre, de « terrorisme puritain ». Qu'il soit religieux (avec le catharisme), temporel (avec l'amour courtois en Pays d'Oc ou la soi-disant « sorcellerie » chez les vilains), artistique (où la décoration des lieux saints était le prétexte d'interprétations particulièrement salées), le mouvement de résistance, bien que constitué d'ilots mal organisés, n'a cessé de gronder sous les pieds de l'Église et d'en faire parfois trembler les bases. À longueur de pages, Philippe Camby s'indigne de la profonde misogynie de Saint-Augustin et de ses sbires, dont le fanatisme n'a d'égal que la méchanceté (ils ont encore une belle descendance en 2011, quoique sous une bannière subtilement différente mais néanmoins tout aussi dégoutante). Lire son essai est dès lors un réel bonheur, couronné par son survol des Lumières, qu'il assaisonne magistralement d'extraits de Diderot et de Sade. Petite remarque en passant : à propos du Marquis, Philippe Camby n'est pas très enthousiaste (et sur ce point-là je ne peux lui donner tort). Il conclut en effet que : « Avec Sade, donc, le système du satanisme est complet. On dispose à l'intérieur du christianisme – la foi est nécessaire aux messes noires – d'une théologie, d'un rituel et d'une philosophie qui intègrent l'amour. Le nom d'Éros s'est corrompu en Satanas, mais l'amour n'est pas mort du poison que le christianisme lui a versé. Il a seulement dégénéré en vice. Et ce n'est plus l'Amour. Toute la civilisation occidentale en est tombée malade ». Étant à la fois une admiratrice de Sade et une pratiquante BDSM, je ne peux rien ajouter d'autre que « Finement vu ! »

En concluant par le néo-paganisme et par la nécessité de reconnecter Éros et le Divin, Philippe Camby n'emporte cependant pas toute mon adhésion. Mais qu'importe ? Son essai est brillant, parfaitement écrit et indiscutablement rigoureux. Il faut le lire, absolument.

 

 

 
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Écrit par Miriam   

La Tyrannie du plaisir - Henri Gervex : Rolla

Sur la jaquette, une reproduction du  Rolla d'Henri Gervex. Et pas la moindre trace d'usure ou de lecture, pour le livre en lui-même. En guise de quatrième de couverture, un extrait d'une critique de Pascal Bruckner, parue dans Le Monde. Et last but not least, un prix tout rond de cinq euros. Il n'en fallait pas plus pour que je donne une chance à l'ouvrage, dont l'auteur, j'en étais bien sûre, me disait "vaguement quelque chose". Faute de me souvenir quelle chose en particulier, je me contentai de me féliciter d'une trouvaille de plus et "La tyrannie du plaisir" s'en fut rejoindre sans formalité la pile des lectures en souffrance.


Bien des mois plus tard, c'est à dire avant-hier, je parvins à la strate où "patientait patiemment" l'essai de Guillebaud. Et j'y entrai sans a-priori, sans test diagonal et avec une bienveillante ignorance.


Je viens d'en ressortir à l'instant, par la dernière page – et infiniment moins ignorante qu'à la première. À ce titre seul, "La tyrannie du plaisir" a largement gagné tout le respect que je lui porte. Non que je me targue d'être à ce point cultivée qu'il faille beaucoup de mérite pour m'instruire, mais bien plutôt qu'en matière "d'inculcage", j'aie la fâcheuse habitude d'être très difficile à satisfaire. Or là, je le dis tout net : bravo !


Mais avant de développer un billet qui sera sans doute fort long, je tiens à faire quelques petites remises en contexte préliminaires et nécessaires. La première, c'est que Jean-Claude Guillebaud n'est pas n'importe qui. Journaliste, ancien directeur de Reporters Sans Frontière, Prix Albert Londres en 1972 - mais aussi chroniqueur, essayiste et écrivain - Guillebaud est avant toute chose un homme engagé : en tant que chrétien, en tout premier lieu, ce qui n'est pas un détail. Mais aussi en tant qu'optimiste favorable au métissage des cultures et à la fin de l'hégémonie occidentale (voir ici). On pourrait dès lors se demander, si l'on sait lire entre mes lignes résolument athées, ultra-libertaires, élitistes et sadiennes, comme il se trouve que je lui fasse une place. Et bien c'est fort simple : au nom de la cohérence et du professionnalisme, des qualités qu'il convient de toujours saluer lorsqu'on a la chance de les rencontrer. Guillebaud respecte à la lettre le devoir d'objectivité journalistique (ce qui est devenu si rare qu'on se demande si cette notion désuète existe encore). J'entends bien par là non pas une neutralité tatillonne, mal informée ou – pire – dictée par la trouille des représailles, mais bien la mise en avant solidement argumentée d'un point de vue qui se respecte, qui respecte le lecteur, qui cite ses sources et qui ne manque jamais de prendre ses distances, le cas échéant. "En vérité, je vous le dis" (hi, hi, hi) : c'est le bon-heur de lire Guillebaud !


Mais de "La Tyrannie du Plaisir", qu'en est-il exactement ? De l'aveu même de l'auteur, il s'agit ni plus ni moins de poser la question de la morale sexuelle. Tout un programme. Il est vrai que je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, en cours de découverte : lorsqu'il évacue un peu vite à mon goût certaines questions qui ont pourtant traversé de part en part les "us et coutumes" des différentes religions monothéistes. L'indispensable virginité des filles (et, dans une moindre mesure, celle des garçons) avant le (premier) mariage, par exemple. Ou, beaucoup plus prosaïquement encore, la seule notion de Vérité Révélée dont se réclament les trois religions en question, afin de justifier l'imposition de règles de vie qui n'ont pas toujours fait le bonheur de leurs ouailles (loin s'en faut, encore aujourd'hui). Je ne me lancerai pas non plus dans une confrontation Guillebaud-Sade, car ce serait totalement stérile. Mais bon, Guillebaud est catholique et cela ne l'empêche pas d'être sévère avec les dérives puritaines des XIXe et XXe siècles. Il connaît parfaitement son affaire, de Saint-Augustin à Jean-Paul II (l'ouvrage date de 1998) et s'il ne charge pas le catholicisme, auquel il adhère, c'est somme toute assez naturel. Sade ne critiquait pas non plus l'athéisme, que je sache... mais il faisait preuve de beaucoup moins de mesure que Guillebaud, lorsqu'il s'agissait d'envisager "l'autre camp". Il est vrai que Sade vivait à une autre époque, où l'autre camp en question était encore totalement aux commandes - et qu'il en abusait grassement.


Toujours est-il qu'en dehors de son indulgence pour le christianisme - et partant pour le catholicisme - de ses références continuelles à des psychanalystes qui me flanquent de l'urticaire et de l'utilisation du seul Alexandrian - que je n'apprécie guère, c'est un doux euphémisme - pour ce qui concerne l'histoire de l'érotisme, Guillebaud passe son temps à confronter les points de vue, avec distance et sans sectarisme, en posant au passage une foule de questions absolument cruciales ET fondamentalement dérangeantes. Il souligne par exemple le "double bind" de l'injonction continuelle à jouir et d'une répression de plus en plus sévère des conduites sexuelles (dont l'hystérie autour de la notion de harcèlement sexuel n'est pas l'exemple le moins frappant). Je ne crois ni au double bind ni à la schizophrénie consécutive, puisque, comme je l'ai déjà dit, je considère la psychanalyse comme une arnaque redoutable et honteuse. Mais je suis bien d'accord sur l'incohérence entre le tout porno et la paranoïa sexuellement correcte dans laquelle nous baignons toutes et tous quotidiennement. Lorsque Guillebaud souligne la part que jouent les média dans ce désolant état de fait, je le suis au plus près : les feuilles de chou de la presse féminine, par exemple, si je pouvais toutes les recycler avant même qu'elles n'aient été pondues, ça ferait beaucoup de c*** en moins sur la terre ! Et pourtant j'en fus, de la presse féminine, autrefois.


De même, lorsqu'il dénonce le rétrécissement intolérable de l'espace autour du rapport érotique, qui se limite désormais à une ridicule et interminable prise de bec entre les puritains se réclamant de la "droite conservatrice et coincée" et les pan-sexualistes "héritiers de Wilhelm Reich". Il existe une troisième voie, bien entendu. Et on ne le dit pas assez. Mais Guillebaud fait mieux que de le dire : il le prouve, en étayant scrupuleusement ce qu'il avance. Car il ne s'agit plus de brailler sans rime ni raison "je suis pour" ou "je suis contre", c'est une évidence. En matière d'érotisme bien plus qu'en toute autre, les enjeux sont infiniment complexes. Je partage avec Guillebaud un regard consterné et navré sur l'absence totale de prise de responsabilités qui caractérise le discours simpliste des défenseurs de "la joie des corps, l'innocence des plaisirs, les privilèges de la transgression". Se mettre la tête dans le sable pour ne pas voir les conséquences d'un système n'a jamais empêché que ledit système foire et que l'on se prenne ensuite, conséquemment, le ciel sur la caboche. Car oui, la gratuité est devenue un tabou. Oui, le sexe (autant écrire "le porno") mercantile a précipité l'apparition de la "sensure" que Bernard Noël prédisait dans "L'Outrage aux mots". Oui, la dérive sécuritaire actuelle fait froid dans le dos et "trop de lois tue la loi". Le Droit et la Science sont fétichisés ? Oui, oui, OUI !!! Le respect de la sphère des comportements intimes et privés est une liberté en voie d'extinction, suite à l'ingérence de plus en plus violente d'une répression normative dans TOUS les domaines de la vie humaine, ce et y compris le sexe et la religion. La faute à qui ? Qui réclame à corps et à cris le "risque zéro" et la prise en compte des désidérata de sa petite "minorité bafouée" en refusant de considérer que chacun a des DEVOIRS avant d'avoir des droits ?


Et Guillebaud de nommer explicitement l'individualisme peureux, qui a succédé à l'individualisme libertaire et responsable de départ, où l'élaboration mûrement réfléchie de "réponses pour son propre compte" n'avait pas encore cédé le pas à la "difficulté d'être soi", faute de pouvoir se tenir debout sans les béquilles du dogme religieux et/ ou des institutions et de l'ordre social établi.


Le constat est terrible : la norme est partout et la pression à s'y soumettre détermine chaque instant de notre pauvre existence. En érotisme comme ailleurs. Guillebaud pose ici une question : "la véritable liberté n'eût-elle pas consisté à vivre de façon insoumise et changeante en obéissant à des préférences pas forcément closes sur elle-mêmes, toujours négociables, n'exigeant ni justification ni conformité ? Liberté incluant, évidemment, celle de n'être pas "que" [...]" Quelle meilleure définition de la négociation fondant le contrat BDSM ? Et, plus loin : "L'utopie la plus cohérente ne revenait-elle pas à souhaiter vivre [...] souverainement maître de ses inclinations, y compris dans la volonté d'y résister. [...] La véritable émancipation consiste moins à s'engouffrer dans une catégorie qu'à échapper à toutes." Il est vrai qu'il s'inspire ici de Foucault, dont les liens avec le sado-masochime sont désormais bien connus.


Guillebaud n'en prend pourtant pas son parti, il continue de s'interroger (et d'interroger son lecteur, ce qui est très gentil de sa part : je n'aurais ni sa bonté ni sa patience...) : "Face aux valeurs, aux modes, aux tournures et superstitions de la modernité, nous sommes ainsi devenus obéissants comme de petits enfants. Paresse mentale sans précédent ? Suffisance naïve ? Cette dérobade de l'esprit critique devant le nouveau sacré qui gouverne n'est pas bon signe." C'est le moins qu'on puisse dire, en effet...


La piste Guillebaud, c'est le retour à la responsabilité individuelle, alimentée par un savoir réellement universel qui puiserait indifféremment aux sources classiques où à des théories émergentes comme la Queer Theory. On peut rêver.


Pour ma part, je préfère agir et recommander très chaudement "La Tyrannie du Plaisir". On en ressort avec bien plus de questions que de réponses et c'est un signe de qualité qui ne trompe pas...

 
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Écrit par Miriam   

Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang

S'il fallait qu'un débutant débutât quelque part, en matière d'érotisme, je ne pourrais conseiller qu'un seul ouvrage avant toute autre lecture : Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang. Et ce faisant, je ferais preuve d'un parti-pris très net, autant que d'une solide dose d'auto-contradiction. Car Monsieur le Docteur Zwang est "rien moins que tendre" (une expression qui lui est chère) à l'encontre des déviant/es sexuel/les de mon acabit. Mais je m'en fous car pour le fond de l'histoire sado-masochiste, je ne peux évidemment pas lui donner tort. Oui, c'est un fait cliniquement établi : nous autres les sadomasos ne sommes pas du tout dans la norme; nous sommes des endorphino-dépendants chroniques, qui mélangeons allègrement les genres et les instincts, dans une purée aussi indigeste que dangereuse pour le "plain-vanilla" bien de sa personne. Et j'ajoute : tant mieux ! Ma provoc' la plus habituelle n'est-elle pas : Je ne suis pas un exemple à suivre, mais je sais très bien où je vais ? J'irais plus loin, même, en applaudissant des deux mains - alors que Zwang traite Harnoncourt de crapule [sic] ou Sade de sinistre branlotin [re-sic] - devant une telle accumulation de franche gueulerie et de libre-expression bien tempérée (car l'auteur, précisé-je, est un fan absolu de Mozart et de Xenakis).

Bien qu'il date de 1975, l'ouvrage n'a pas pris une seule ride. Et c'est bien là ce qui devrait nous flanquer à tous, normaux et autres, une trouille fort salutaire ! En ces temps politiquement corrects, je vois mal qui pourrait encore se targuer d'envoyer des insultes pareilles à tour de bras, sans se retrouver illico écrasé sous les procès pour diffamation. C'est à cela que l'on mesure la dégringolade de ces trente dernières années : il n'est plus question de penser ou d'affirmer, mais bien de suivre. J'ignore comment Monsieur Zwang juge la daube sexuellement correcte qui nous tient lieu d'érotisme contemporain, mais je suis sûre d'une chose : la mode des minous déplumés doit le rendre aussi enragé que moi...

Pour le contenu de cette lettre ouverte, c'est un vrai plaidoyer pour le plaisir. En décrivant sept anticiels successifs, Gérard Zwang passe à la moulinette de son humanisme laïc et militant les aigris et les dogmatiques de tous bords : des religieux criminels aux intellos abscons, tout le monde en prend pour son grade, dans une suite ininterrompue de noms d'oiseaux parfaitement réjouissants. Enfin un auteur engagé, un vrai, qui n'a ni honte ni lâcheté et qui tire à vue sur ce qu'il juge détestable. En cela, ne lui en déplaise, il rejoint Sade sur bien des points.

En guise de conclusion, je ne peux que m'aligner sur les théories "zwangiennes" qui prônent, je les cite avec beaucoup de bonheur : "Frères pointus, soeurs fendues, si votre voisin, si votre voisine, ne vous réveillent pas quand ils baisent la nuit. Ne séduisent pas contre leur gré vos enfants mineurs ou votre conjoint, ne vous obligent pas à voir des films qui vous choquent, à lire des livres qui vous emmerdent, à vous mettre à poil quand vous ne voulez pas, à baiser avec eux quand vous n'avez pas envie; s'ils ne choisissent pas à votre place pour vous dire avec qui baiser, et quand, et où, et qu'ils ne viennent pas vous regarder pendant; s'ils ne calomnient pas chez le boucher, le curé ou le préfet votre façon de baiser, les gens avec qui vous baisez, et les opinions que vous avez sur le sujet; s'ils ne viennent pas baiser chez vous sans votre permission, dans votre salle à manger pendant que vous dînez; s'ils ne se sentent pas investis du devoir sacré de prévenir votre conjoint qu'il est cocu, de couper le bout de vos petits garçons; s'ils vous autorisent à baiser à votre faim, à votre manière, sans obéir à des critères qu'ils vous imposeraient. Eh bien, alors, laissez-les donc tranquilles. Foutez-leur la paix, laissez-les foutre en paix !".

Lettre ouverte aux mal baisants de Gérard Zwang, donc, paru en 1975 chez Albin Michel, ISBN 2-226-00197-2.

 
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