Lectures érotiques - XXIè siècle
18 meurtres pornos dans un supermarché de Philippe Bertrand Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   

18 meurtres pornos dans un supermarché - première de couverture

Dans la présentation générale du site, j'écrivais, je me cite : " j'ai un profond mépris pour la littérature mercantile telle qu'on la conçoit de nos jours (d'ailleurs, je refuse obstinément de la lire) ". Je ne m'attendais donc pas à revenir sur ma décision, et encore moins au prix fort, et certainement pas à l'enseigne d'un des plus grands distributeurs du marché.


Et pourtant, je n'ai pas hésité une micro-seconde, après lecture en diagonale de la page trente-six, que je cite in texto : " Maintenant la fine équipe se trouvait à la tête de cinquante grammes de coke (un peu coupée) et d'une petite pute envapée; trésor de guerre qu'elle avait décidé de garder pour sa consommation personnelle. Une sorte d'investissement en carburant pour les opérations à venir. Le soir-même, le mini-gang avait fait bombance dans la piaule de La Sardine. Neuf mètres carrés au sixième étage, sans ascenseur, dans le quartier de la gare. Mais on ne pouvait pas aller chez Mouloud. Vu qu'il habitait chez sa mère. Et que, pour la dope, ça pouvait encore passer, mais que pour la pute (pas vraiment du Maghreb), c'était une autre paire de manches. La vieille fatma n'aurait sûrement pas beaucoup apprécié. "


Une diagonale pareille, ça ne refuse pas; aussitôt lue, aussitôt appréciée - et je puis bien l'affirmer, maintenant que j'ai terminé de dévorer ce récit : j'ai eu la main rudement heureuse, ce jour-là.


Mais qu'en est-il exactement ? 18 meurtres pornos dans un supermarché, c'est un peu ce que Le Père Noël est une ordure deviendrait, s'il était adapté par John B. Root, scénarisé par Tarantino et mis en dialogues par Audiard. Un vrai petit trésor, donc, plein d'humour (très noir et très décalé, il est vrai) et de trouvailles hilarantes - et qui mériterait sans aucun doute un solide budget de graphic novel. Hélas, les lois de la rentabilité sont inébranlables (contrairement aux deux anti-héros de Philippe Bertrand) et l'on se contente des illustrations dont notre auteur-dessinateur de BD émaille son récit, en restant bien entendu sur sa faim.


Bouder un tel plaisir serait proprement criminel, d'autant plus que Philippe Bertrand a pris un fameux risque en éditant cet ouvrage : on lui doit une longue série de livres pour la jeunesse (Une nuit dans la forêt - Zoozoo, ces animaux qui nous gouvernent - ou, chez Actes Sud Junior, la série Omar le casse-cou, Oscar le timide, Norbert le bavard, etc.)


Venons-en à l'histoire, qui est toute simple et néanmoins parfaitement construite : deux petites frappes de dernière zone décident de braquer le supermarché Bravo de Pithiviers. Mais leur plan tourne mal... En bref, une galerie de portraits savoureux, un style nerveux et tout en finesse, une narration à tiroirs de la plus belle facture et, cerise sur le gâteau, une chute digne d'un délire à la Monthy Python. Il n'y a pas une ligne de trop, sur cent et cinq pages en forme d'hécatombe. Si cela ne suffisait pas, l'auteur se fend d'une satire grinçante sur les travers de la société ultra-consumériste, non sans nous gratifier au passage, pour faire passer la pilule, d'une love story sur un parking, entre deux fourgons d'intervention. Du grand art assurément, qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Paru aux Éditions de La Musardine (ISBN 978-2-84271-247-7), 18 meurtres pornos dans un supermarché est un bel exemple de ce que le XXIème siècle pourrait nous réserver, pourvu que la censure lui foute la paix. 

 

 
Zénobie, la mystérieuse de Léo Barthe Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   

 Zénobie, la mystérieuse - première de couverture

Un roman à la moitié du prix, avec, en première de couverture, une illustration d'Alix Gécèle Pasquier on ne peut plus explicite; voici - à première vue - Zénobie, la mystérieuse. Guère mystérieuse, toutefois, si l'on considère l'argument de départ : un graphiste recueille chez lui une jeune chienne de race humaine, etc. Depuis Circé la Magicienne, dans l'Odyssée d'Homère jusqu'à l'Ile du Docteur Moreau, de H.G. Wells, le scénario n'a cessé de fasciner, bien avant que Léo Barthe ne s'en empare.


Il faut parfois dépasser les simples apparences (et c'est d'ailleurs ce que le roman tente de démontrer). Ainsi, une lecture diagonale de la quatrième de couverture offre une clé intéressante : derrière Léo Barthe se cache Jacques Abeille, auteur prolifique à qui l'on doit, entre autres oeuvres, Camille et En mémoire morte. Rien ne s'oppose d'ailleurs à un peu de poésie, au gré d'une trouvaille, fût-elle contemporaine. Léo Barthe n'est pas le seul Barthe vivant à Bordeaux et porté sur les jeux sulfureux du cuir et de la corde. Mais c'est une autre histoire, très intime, qui n'a guère sa place ici.


Zénobie, à l'origine, est le nom d'une reine de Palmyre du 3ème siècle, dont l'ambition démesurée et la beauté sont restées légendaires. Dès lors, puisque Imre, le graphiste du roman, baptise sa chienne "Zénobie", il devient évident qu'il y a plus, dans ce "détail" que l'explication lapidaire de la page trente-sept ne le laisse finement entendre.


Et, de page en page, l'auteur nous donne à voir ce qu'il y a de plus - dans un récit fulgurant, poignant et magnifique; qui dépasse, et de loin, tout ce que j'ai jamais lu sur le sujet jusqu'à présent. Or, au-delà de ce que le récit donne à voir, dans une crudité parfaite, ce que l'on distingue est difficile à nommer, jusqu'à ce qu'il devienne absolument impossible de séparer fantasmes et sentiments. C'est dans la peinture de cette alchimie fragile et mystérieuse que Léo Barthe excelle, jusqu'à la chute, qui porte en l'occurrence fort bien son nom - d'une noirceur totale.


J'ai délibérément ralenti ma lecture, au fil de Zénobie, m'interrompant toutes les dix pages, afin de reprendre chaque paragraphe plusieurs fois. Ce roman m'a procuré une ivresse que jamais je n'avais ressentie, suivie d'un douloureux sentiment de dépossession. Sans avoir l'air d'y toucher, Léo Barthe mène son lecteur par la main (le bout du nez ?) jusqu'à ce que la suspension d'incrédulité ait balayé toute retenue. Une fois que le rêve s'est élevé dans l'éther, tel une bulle de savon, notre cruel auteur y met un terme brutal, qui n'est pas sans rappeler le "Retour à Roissy" de Pauline Réage. Mais il est infiniment pardonné, par le seul plaisir qu'il offre au travers de Zénobie; un plaisir sauvage et pur, c'est-à-dire débarrassé de toutes les scories humaines qui d'habitude le défigurent.


Zénobie, la mystérieuse est un roman très facile à trouver (neuf ou d'occasion). Et, en ce début de troisième millénaire, c'est également la preuve que le talent et la poésie ne sont pas morts. Je ne peux donc que le conseiller comme un classique incontournable qu'il faut estimer à sa très juste et très précieuse valeur.

 
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