Lectures érotiques - XXIè siècle
Belle humeur en la demeure de Jacques Abeille Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   
Belle humeur en la demeure de Jacques AbeilleL'érotisme de Jacques Abeille s'exprime volontiers sous pseudonyme. J'ai déjà parlé de Zénobie, la Mystérieuse de Léo Barthe. Il s'agit d'un seul et même auteur, dont le style et la plume, très particuliers, se dissimulent fort mal sous des noms d'emprunt. Ornée d'un détail du Jeune femme se couchant, de Jacob Van Loo, la première de couverture participe à ce jeu subtil dont Jacques Abeille s'est fait une spécialité - et que j'ai évoqué au sujet de Zénobie. Notre facétieux bordelais s'amuse à brouiller les pistes : Belle humeur en la demeure n'échappe pas à la règle.

Il n'était donc pas question de négliger l'ouvrage, énième trouvaille d'occasion dans les piles hétéroclites de mon bouquiniste attitré. Au prix de 6 € et quasiment neuf, il eût été ridicule de se priver. Mais passons au roman et levons un coin de voile, c'est le cas de l'écrire, sur cette Belle humeur en la demeure hautement communicative.

Fraîchement embauchée au titre de bonne dans une maison un peu austère, l'héroïne, qui, tout au long du récit, n'aura d'autre patronyme qu'un délicieux « petite bonne » tout à fait canaille, l'héroïne, donc, découvre une demeure poussiéreuse et triste, où le jour n'entre pas et où les gens de maison sont d'une froideur étrange. Le « maître » des lieux, qui ne paraît jamais et semble s'être retiré du monde pour vivre selon un rituel figé, ne tarde pas à hanter ses pensées. L'affaire se corse avec la venue de l'été et d'une chaleur qui ôte à la jeune femme ses chemises, puis ses jupons, puis ses boutons du haut, puis ceux du bas. On devine aisément que la suite aura des relents d'Éros : c'est d'ailleurs précisément d'effluves et d'humeurs dont le récit s'imprégnera, dès les premières (dernières ?) pudeurs vaincues. Je laisse aux futurs lecteurs de Belle humeur en la demeure le soin de découvrir le fin mot de l'histoire, qui hésite entre le conte philosophique et le surréalisme.

Chez Jacques Abeille, la surface érotique dissimule assez mal des double-fonds relativement troubles. Visiblement très en verve et plein de jubilation, l'auteur glisse en page quarante une scène d'anthologie où, dans la bibliothèque du « maître », l'on retrouve le Père Dirrag et Éradice - en compagnie du Saint-Cordon, mis en scène par Boyer d'Argens dans son Thérèse Philosophe. Il est vrai que la « petite bonne » de Jacques Abeille ne manque, non moins que Thérèse, ni d'esprit ni de tempérament. Puisqu'il y est, et qu'il semble y trouver lui aussi un très vif plaisir, l'auteur prend ses aises et batifole, toujours en verve, dans les jardins parfumés des jeux de pouvoir. Non sans exprimer au passage toute l'horreur que l'Éros mortifère lui inspire : on est à mille lieues de la thanatérologie de Georges Bataille.

Le style épouse à la perfection la chronologie du récit : l'on évolue, avec beaucoup de subtilité, d'une atmosphère très pesante à une chute libératoire. Au fil des pages, le jeu des personnages s'enrichit et, malgré la simplicité touchante des aventures du maître et de la petite bonne, on ne peut s'empêcher de se prendre au jeu et d'en sourire. La métaphore, pour naïve qu'elle puisse paraître, n'en sert pas moins le brillant plaidoyer auquel Jacques Abeille se livre dans Belle humeur en la demeure : ni plus ni moins, comme souvent dans son oeuvre, qu'une joyeuse célébration des liens qui unissent un Maître et sa soumise.

Je prescris donc absolument la lecture de Belle humeur en la demeure à tous les amoureux des belles lettres. C'est en 183 pages, parues en 2003 aux Éditions du Mercure Galant (ISBN 2-7152-2601-2).
 
Les Carnets d'Alexandra de Dominique Simon Imprimer
Lectures érotiques - XXIè siècle
Écrit par Miriam   

Les Carnets d'Alexandra Les chemins des livres sont parfois bien curieux. Qu'on en juge : Les Carnets d'Alexandra ont atterri directement dans ma boîte aux lettres la semaine dernière. C'est à l'attachée de presse de Fayard que je dois cette petite surprise : j'ai en effet reçu l'ouvrage à titre d'exemplaire presse gracieusement distribué. Il était important, avant que je ne parle de ces fameux Carnets, que je précise les circonstances dans lesquelles je les ai lus. J'ajoute que je suis affiliée à une Association de Journalistes depuis plus de 15 ans. En conséquence, l'article sur Les Carnets d'Alexandra ne sera dicté que par ma seule opinion personnelle. Opinion subjective certes, mais entièrement dégagée d'une quelconque influence de la part de l'éditeur qui m'a offert l'ouvrage.

Alors ces Carnets d'Alexandra, d'où sortent-ils ? De la plume sans doute pseudonyme d'un (d'une) certain (certaine ?) Dominique Simon. L'avant-propos ne donne guère de précisions quant à l'auteur. Tout au plus y lit-on que l'héroïne du roman, Alexandra, fut l'épouse d'un homme politique très haut placé, qui fit carrière après 1914. Bien des oeuvres érotiques débutent par ce genre de préambule, qui bien souvent n'est qu'une figure de style.

Mais venons-en au récit : Les Carnets d'Alexandra sont bien plus un roman qu'une oeuvre autobiographique. Dès les premières pages, une atmosphère quasi surréaliste m'a sauté à la figure et ne m'a plus lâchée. Il y a du Buñuel dans Les Carnets d'Alexandra, tout autant que de la psychanalyse à peine dissimulée. Je doute fort que la narratrice, en 1907-1908, ait pu se fendre d'une réflexion aussi particulière que celle que je reproduis ici, extraite de la page 242 :« Ce matin en me réveillant, subitement, je compris pourquoi j'éprouvais comme une obligation de poser ma bouche sur l'intime des femmes. Par une erreur de raisonnement, j'avais repoussé trop vite l'idée que j'y recherchais le sein d'une mère. Ce qu'elles m'offraient de chaud et de mouillé était nourrissant comme du lait, alors que le bout de leurs seins, quand je le suçais, ne me rendait rien. Aussi me semblait-il que l'inconnue de mon histoire était un incident oublié, mais qui m'avait poussée hors du chemin conduisant naturellement  une enfant à devenir une femme. Et, en repensant à ma façon d'aimer, j'étais maintenant certaine que sucer le plus chaud de leur fente m'amenait à l'état d'émotion avide que, bébé, je prenais à la tétée. » J'ai déjà dit ce que je pensais des freuderies. L'écriture ciselée de Dominique Simon ne change rien à mon aversion pour le Grand Chef et ses théories fumeuses.

La trajectoire de l'héroïne est somme toute assez classique : lesbienne mal assumée, Alexandra se languit auprès d'un mari rustre et inconsistant. Dans le relatif isolement d'une campagne bigote, elle tente en vain de s'attacher les services d'une bonne qu'elle pourrait « convertir » à ses goûts. Débarrassée temporairement de son mari, parti en mission à l'étranger, Alexandra s'enhardit et « perd sa virginité » avec sa cousine. Enflammée par ses premiers succès, ainsi que par les bons conseils de ladite cousine, qui lui écrit des lettres à l'encre sympathique, la narratrice convole joyeusement avec ses deux bonnes, dans une belle insouciance. Le retour du mari met fin à ces confortables arrangements. Réclamant son dû, après de longs mois d'absence, il se heurte à la détermination de son épouse, qui n'entend pas revenir à l'hétérosexualité d'aussi bonne grâce. Ayant demandé conseil à sa cousine, elle complote un flagrant-délit d'adultère afin de justifier la séparation de corps qui lui permettra d'échapper désormais au devoir conjugal. Ainsi « libérée » de la domination masculine, Alexandra se livre à toute une série de sexpériences bien peu de son temps et de son milieu social (celui d'une petite rentière de la campagne au début du XXè siècle ).

Les anachronismes ne sont finalement qu'un simple détail. Schmitt, dans Le Libertin, n'hésite pas à douer son Diderot d'une verve toute contemporaine. C'est plutôt la rapide succession de saynètes érotiques qui ôte rapidement toute crédibilité historique aux Carnets d'Alexandra : le récit est un véritable kaléidoscope. Il m'a souvent évoqué l'univers narratif de la bande-dessinée; le style volontiers visuel, le découpage rapide, les récits dans le récit, font de ces Carnets une longue rêverie saphique « sans queue ni tête » - mais je reste persuadée que c'était précisément le but de l'auteur. En cela, Les Carnets d'Alexandra sont une remarquable réussite. À aucun moment l'on a l'impression que la lecture nous mène où que ce soit, sans pour autant que cela constitue un ennui ou une gêne. C'est plutôt une espèce de somnolence érotique, une berceuse sexuelle, qui se consumerait naturellement de page en page.

N'eût été cette maudite psychanalyse, je l'aurais lu sans le moindre effort. Toutefois, la chute, qui serait plutôt une fuite, à tous les niveaux (y compris littéraire) ne sert pas le roman comme il le faudrait. L'entourloupe est élégante, mais elle reste une entourloupe : je l'ai trouvée un peu facile.

Je ne conseille ni ne déconseille Les Carnets d'Alexandra : tout est une question de goûts. L'ouvrage est intéressant sous de nombreux aspects. Pour peu que l'on s'y laisse prendre, les 298 pages s'écoulent comme un songe éveillé et donnent au lecteur une impression d'irréalité temporelle. Un bien livre bien étrange et disponible dès à présent aux Éditions Pauvert (ISBN 978-2-7202-1528-5). 

 
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