Lectures érotiques - XXè siècle
MS de Christian Pierrejouan Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   

altDans la série « plume talentueuse prudemment planquée derrière un pseudonyme quelconque », voici venir « MS » de Christian Pierrejouan (à ne pas confondre avec le « SM » de Joël Hespey, qui est très loin du compte). Mais c'est par contre le même Christian Pierrejouan qui a publié « L'envers » aux éditions du Seuil, dans une pareille veine sadomasochiste et homosexuelle.

Pour la petite histoire, « MS » est un conseil de lecture qui remonte à de très nombreuses années. C'est d'ailleurs le tout premier ouvrage traitant de sadomasochisme contemporain qui m'est tombé sous la patte. Jusqu'à « MS », ma bibliothèque s'arrêtait juste à la mort de Pierre Louÿs. C'est dire. Tous mes remerciements donc à certain « shiatsu-senseï » (qui se reconnaîtra) sans qui je n'aurais sans doute jamais eu la curiosité de partir en chasse pour la période post 1925.

Ma rencontre avec « MS » remonte donc à une époque très lointaine; mais je garde un souvenir chirurgical du cataclysme qui s'en est suivi. Je compris enfin que ce qui me fascinait tant dans Sade n'était absolument pas un univers littéraire mort avec son créateur, mais une sexualité subversive et vécue très prosaïquement par nombre de mes contemporains. « MS », en ce sens, a déterminé mon entrée dans la pratique SM - dont je ne suis plus jamais ressortie, d'ailleurs.

Qu'en est-il du roman ? C'est un récit sous forme de journal à deux faces, où le narrateur s'adresse d'abord à un amant soumis, prénommé « M », puis à un amant dominant, prénommé « S ». On l'aura compris, le principal protagoniste est homosexuel et « switch », comme on le dit dans notre jargon (traduire : il pratique à la fois la soumission et la domination). Quoique, « switch » n'est sans doute pas un bon terme, puisqu'il est plus question d'un glissement progressif vers le plaisir [de la soumission], pour reprendre à Robbe-Grillet l'un de ses titres. C'est également une lente introspection, teintée de psychanalyse (je persiste à faire une place aux théories du Grand Chef, n'est-ce pas ?) et remarquablement menée, tant d'un point de vue littéraire que sur le plan métaphysique. Il ne faut pas perdre de vue l'aspect infiniment « philosophique » de la pratique SM, qui a été un peu noyé dans la soupe médiatique de ces dernières décennies. En 1979, le SM n'était pas encore à la mode et les codes n'avaient pas encore été récupérés. Les pratiques détaillées par Christian Pierrejouan dans « MS » sont bien plus proche du SM de la scène (j'entends, la « vraie scène » qui pratique sur base régulière et « hard ») que celles présentées dans les salons du X et autres films porno sans âme. Tant il est vrai que « le martinet ne fait pas le Maître » et que « la cravache ne fait pas la Domina ». N'en déplaise aux fabricants de matériel édulcoré en peluche rose, la base de la pratique SM n'est pas le piment sexuel. Ce qui fonde la pierre angulaire de notre Art, c'est la douleur. La vraie. Avec un grand D, comme dans Discipline. Et il en faut une fameuse dose, de discipline, pour pouvoir officier (que l'on soit d'un côté du manche ou de l'autre).

En cela, « MS » est une plongée vertigineuse dans l'imaginaire et dans le vécu sadomasochistes, qui bien souvent se confondent, puisque le but du jeu est précisément de repousser les limites. L'auteur s'interroge, avec rage, avec angoisse et avec passion : quel est donc cet « envers du décor » après lequel il aspire ? Comment l'atteindre ? Et pour y trouver quoi ? Le récit accompagne cette plongée dans un néant de plus en plus opaque; la langue va d'une rigueur analytique à la limite du supportable jusqu'à une désorganisation sémantique qui confine au néant (il y a même des entrées de journal laissées en blanc, qui en disent bien plus long qu'un très long discours). Aucune concession, aucune pudeur, aucune pitié dans « MS » : le lecteur qui s'y aventure trouvera le sadomasochisme dans ce qu'il a de plus cruel et de plus dévastateur. Autant dire que les âmes sensibles se garderont bien d'y pénétrer. Cependant je ne puis que conseiller l'ouvrage aux amateurs du genre, car c'est un monument incontournable (de ceux qui trônent sur la première étagère).

« MS » de Christian Pierrejouan, paru aux Éditions du Seuil en 1979, ISBN 2.02.005274.1.

 
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Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   
Le Pape rose d'Ulrich BrossiusRien. Je n'ai rien sur Ulrich Brossius; je ne sais ni qui il (elle ?) est, ni d'où il vient, ni s'il a écrit quoi que ce soit d'autre que le splendide « Pape rose » dont je vais parler. À l'évidence, l'ouvrage a eu un franc succès car les entrées sur le web l'indiquent très souvent comme étant épuisé. Pour un bouquin qui date de 1986, c'est un beau palmarès. Je l'ai cherché longtemps; il a suffi d'un coup de chance, le mois dernier, pour mettre la patte dessus. « Tout vient à point à qui sait attendre ». CQFD. Une dernière précision, avant d'entrer dans le vif du sujet : « Le Pape rose » m'a coûté deux petits euros, pas un centime de plus. Comme quoi...

Mais plantons le décor. S'il existait un SEUL livre que j'aurais aimé écrire, c'est celui-là. Honnêtement, je ne vois dans les cent quarante-trois pages du roman qu'absolue perfection. Tout, de l'intrigue au style en passant par les personnages, la morale de l'histoire et la finesse de la langue, tout, dis-je, est rigoureusement parfait dans ce « Pape rose » d'Ulrich Brossius. Si parfait qu'il me semble logique de ne trouver aucune information sur l'auteur à l'origine de ce chef-d'œuvre total. Car il ne fait aucun doute que la plume qui se cache derrière Ulrich Brossius a un fameux talent. Il est donc bien prudent de rester planqué sous un fumeux pseudonyme, puisque ce talent est mis au service d'une cause radicalement anti-religieuse : les positions de l'auteur au sujet de « certaine croyance » le placent en première ligne pour un assassinat intégriste de la plus abjecte nature. Je ne préciserai pas davantage. Que ceux qui peuvent comprendre comprennent.

Mais qu'en est-il, exactement ? Le narrateur, un « bon bourguignon » mélomane qui se nomme Ulrich Brossius, raconte par le menu ses péripéties dans une Europe retournée au chaos, après une crise économique épouvantable. [Nota bene : comme précisé dans l'introduction, « Le Pape rose » date de 1986 - visionnaire, par-dessus le marché.] Après un petit crochet en Confédération Helvétique, notre facétieux héros passe en Italie, avec la ferme intention de gagner Milan, et d'y rendre visite à un certain Bragmardus, musicien émérite et compositeur enragé. Mais ce qu'il découvre, une fois la frontière franchie, va le précipiter dans une sorte de road-movie échevelé, qui tient autant du roman d'anticipation que de la satire sociale la plus violente. Érotique, voire pornographique, « Le Pape rose » l'est sans conteste. Mais dans une langue verte et châtiée qui coupe certainement net toute velléité de censure. Le scandale du roman est ailleurs : dans la dénonciation virulente d'une certaine conception « capitaliste » de l'existence, dans les attaques aux armes (très) lourdes à l'encontre des religions et enfin dans la défense goguenarde d'une certaine culture paysanne pleine de bon sens et de bonhomie que nous avons malheureusement perdue. Bien vivre, semble s'enflammer Ulrich Brossius, c'est profiter de l'existence en se gardant des poisons que sont les Dieux, la Vertu et l'Argent. Où l'on comprend pourquoi, malgré son succès, « Le Pape rose » n'a pas été réédité depuis 1986.

Il faut lire « Le Pape rose », absolument. Si j'osais, j'irais même jusqu'à en publier le texte intégral, afin qu'il puisse circuler de nouveau. Mais je respecte trop le droit d'auteur pour me compromettre dans un forfait pareil. Je me contente simplement d'en signaler l'existence et d'en prescrire la lecture « séance tenante » à tous les muselés qui verdissent de rage dans leur coin, en se demandant où les choses vont « s'arrêter », au juste. [J'ai bien peur que si nul n'y prend garde, lesdites choses ne s'arrêteront pas, en fait. Mais c'est une autre histoire.]

« Le Pape rose » d'Ulrich Brossius, paru aux Éditions Ramsay (collection Libertines) en 1986. ISBN 2-85956-505-1.
 
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