Lectures érotiques - XXè siècle


L'Organiste de France Viceroy Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   

L'Organiste - Première de couverture  L'Organiste - Quatrième de couverture


Paru aux Éditions de La Table Ronde en 1970, l'Organiste est à ma connaissance le premier (et le seul) roman écrit par France Viceroy. Sur l'auteur, après quelques rapides recherches, je n'ai encore rien trouvé, si ce n'est que, dès sa sortie en avril, L'Organiste fut interdit de vente et d'exposition aux mineurs - en France. Encore que, mes sources soient en l'occurrence peu dignes de foi; il faudrait donc procéder à une vérification soigneuse.

L'Organiste, c'est un roman de 251 pages, dont les personnages se rejoignent et se croisent lors d'une "soirée" privée. Traduire : une partouze échangiste. Pour chaque femme, un chapitre : sa vie, les raisons (ou plutôt les déraisons) qui l'ont fait participer à cette fameuse soirée et la description minutieuse de sa rencontre avec l'Homme, celui qui occupe le rôle enviable du héro; un beau ténébreux balafré, membré à la Rocco Siffredi et capable, grâce à certaine technique de yoga tantrique, de retenir indéfiniment son plaisir. Résumé de cette façon, L'Organiste pourrait apparaître comme une improbable bouse. Et pourtant, on est loin du compte.

En tout premier lieu, et cela n'engage que moi, j'ai un peu de mal à croire que l'auteur soit une femme, comme son nom semblerait l'indiquer. D'ailleurs, le nom en question m'a tout l'air d'un magnifique pseudonyme : pervers et narquois, ainsi que je les adore. Mais enfin, posons que la plume derrière l'Organiste soit bel et bien une femme. C'est indubitablement un auteur que cette femme; un auteur qui s'amuse d'un bout à l'autre du roman, cabotine, pour finir par se payer le luxe de convier Emmanuelle Arsan au détour d'un paragraphe, avant de la renvoyer avec une moue insatisfaite. Viceroy, qui qu'elle (qu'il) soit, nous donne à voir, dans une débauche de détails (c'est le cas de le dire), le milieu échangiste avec une précision parfaite et une distance légèrement condescendante, qui insuffle au roman une grande partie de son charme.

Ensuite, la galerie de personnages me paraît tout droit sortie des carnets d'un thérapeute ou d'un psychanalyste : cela sent le socio-reportage à plein nez. Nul doute qu'une grande partie, sinon la totalité, des profils en présence ne soient, hormis le héro (quoique...) rigoureusement inspirés d'histoires vraies. Pour avoir une excellente connaissance du milieu échangiste décrit par l'auteur, avec 20 ans de décalage, il est vrai, je ne puis douter que les tranches de vies servies dans l'Organiste ne soient ouvertement biographiques. Je n'irai pas jusqu'à prétendre "autobiographiques", mais je n'y mettrai pas deux sous à parier !

Pour terminer, je dirais qu'à mon avis l'Organiste est un parfait modèle de misogynie crasse, de mauvaise foi crânement assumée et de réflexions glaciales sur le conservatisme bourgeois et bien-pensant - conservatisme dont pourtant le roman ne se défait qu'à grand peine - s'il s'en défait jamais. C'est délicieusement incohérent, c'est l'échangisme dans ce qu'il a de plus attendrissant, c'est toute l'histoire d'hommes et de femmes qui jouent à cache-cache avec leurs angoisses et leurs propres limites.

Autant l'écrire tout bêtement : j'ai dévoré l'Organiste en deux heures et j'ai adoré ce bouquin dès la toute première page. Le cynisme coquet de l'auteur, les clichés en pagaille, les considérations tantriques très Seventies sur le sexe en groupe : je ne regrette décidément pas d'avoir (encore) rampé sous une table pour dénicher ce bouquin à la couverture violette, qui vaut à elle seule le détour. A se procurer sur le web illico presto.

 
Les Dessins érotiques de Jean-Marie Poumeyrol Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   

 

Dessins érotiques de Jean-Marie Poumeyrol - Première de couverture

 

Parti de la gravure sur zinc, pour évoluer vers les cartes à gratter et enfin vers le dessin, où il excelle à la manière d'un Hans Bellmer ou d'un Balthus, Jean-Marie Poumeyrol deviendra le magnifique peintre hyper-réaliste que l'on sait. Cet ouvrage sur ses dessins érotiques (période de 1969 à 1972) permet à l'amateur de plonger aux sources de son inspiration : rien de sage ni de facile. Raymond Borde, dans son excellente introduction à l'ouvrage, souligne l'extrême virtuosité de Poumeyrol; mais il dénonce surtout un certain art mercantile :

 
"Non seulement la peinture minutieuse est devenue un art maudit, parce qu'elle ne rentre plus dans les besoins rapides de la consommation, mais encore les recettes et les tours de main, accumulés dans les ateliers depuis la découverte de la perspective, ont cessé de se transmettre. Un langage a été bloqué à la frontière. Or cet état de décrépitude où se trouve le métier de peintre coïncide, chez les amateurs chaque jour plus nombreux - et d'autant plus nombreux qu'ils sont plus jeunes - avec le sentiment que la peinture qu'on leur propose est ennuyeuse, rudimentaire, insignifiante. Ils sont indifférents au souvenir des luttes que les cubistes ou les abstraits ont pu mener contre l'art des salons. Ils ne partagent pas un système de valeurs où la lenteur d'exécution, le pinceau à deux poils, le trompe-l'oeil et le glacis étaient assimilés à l'académisme, tandis que le salopage voulait dire liberté et la couleur, ivresse."
 
Critique limpide, exprimée avec presque quarante ans d'avance sur le grand retour du figuratif.

Les Dessins érotiques de Jean-Marie Poumeyrol : un livre indispensable, pour les amateurs éclairés.

 

 

 
Pauline Réage - Histoire d'O Imprimer
Lectures érotiques - XXè siècle
Écrit par Miriam   
Ma première lecture d'Histoire d'O remonte à l'hiver 2002. Par quel mystère ma route n'avait-elle jamais croisé le chemin de cet immense chef-d'oeuvre, alors que Sade et moi étions depuis si longtemps familiers ? Il serait difficile de répondre à cette question. Toujours est-il que certaines lectures infléchissent le cours d'une vie. L'Histoire d'O fut, à cet égard, un voile qui se déchire sur ce que le métier d'écrivain a de plus troublant et de plus sauvage : l'on écrit d'abord avec ce que l'on est.
 
Je conserve un respect et une gratitude particulières pour Anne Desclos, qui a offert au public, sans la moindre pudeur, un récit de cette trempe. Il faut se laisser prendre par son Histoire d'O. Sous l'extrême virtuosité technique de l'écriture, ce sont des hurlements bruts, que l'art de la litote porté à son paroxysme parvient bien mal à dissimuler.
 
Récit d'une rencontre :
 
Histoire…

A l’abri, à l’abri dans la cave, la nuit enrobe si fort et de si longtemps les heures que le temps semble être écartelé et suspendu. Suspendu dans la cave où je repose, La Chaîne enroulée à la taille. Les Maillons se sont imprimés dans ma chair et s’y sont échauffés jusqu’à devenir brûlants. Les Mots se sont imprimés dans mon âme et s’y sont éparpillés jusqu’à devenir haletants. L’Eau est moire et dans ma nuit, l’Histoire est un rêve qui m’enchaîne, mieux que La Chaîne, à devenir…

L’Eau glisse tout d’abord, Eau fantasque, Eau claire sur les pierres qui affleurent à l’épiderme de mon corps vierge. Puis, en quelques phrases terribles et légères, l’Eau plonge dans la faille entrouverte et se fraye son chemin de douleur, jusqu’à ces profondeurs affreuses d’où sourdent toutes mes peurs. L’Eau implacable, sœur de la poussière qui ne sut pas m’atteindre, a creusé dans ma chair ses invisibles traces.

Cet Onirisme, ces traînées rouges, ces réduits noirs, ces scènes d’obscénité, ces torsions et ces tortures du verbe qui se refuse à dire mes mots… toute cette Histoire enfin prend possession de moi. Les hommes se succèdent, les questions inutiles : qui est cette Eau cascadant en silence, vers le cœur et les entrailles des êtres sur qui elle glisse ? Elle est ce que l’on redoute qu’elle soit, protéiforme et incolore, se teinte du sang qui enflamme les joues, se mêle aux larmes qui inondent les yeux, se parfume à l’âcreté de la sueur qui avilit le corps, se dissout enfin dans l’acide qui me tord sur ma couche et me suffoque aux vapeurs immondes de mon eau souterraine.

Mon eau sous La Chaîne, sous ma peau, sous mon corps, sous mon ventre, sous mon âme, sous mes pierres, mon eau qui, en tourbillonnant, fond ses volutes obscures à celles de l’autre Eau. Elles se contaminent. Elles se touillent et s’accouplent, elles se confondent enfin dans un cri de détresse. Dans un regard éperdu dont l’incroyable jouissance m'a jadis pénétrée et lacérée d'épouvante.

J’abandonne l’Histoire à deux gouttes de sa fin, ne voulant, ne pouvant vivre au-delà du monstrueux épilogue que je devine, pourtant. D’un bond j’arrache mes membres fiévreux et tremblants au refuge illusoire que j’avais cru trouver. Je me soutiens à peine, souffle court, cœur battant, genoux incertains, déterminée, dans le choc sonore de La Chaîne s’écroulant à mes pieds, à ne plus rouvrir jamais ces abysses infernales.

L’Histoire abandonnée gît sur mes draps défaits. Je la reprendrai lorsque la clarté du jour s’enfuira sans un bruit. Nulle chaîne pourtant n’entravera ma fuite, nulle impitoyable volonté ne guidera mes mains jusqu’à cette Eau glacée. J’irai, droite et sans faillir, comme toujours j’ai marché, me perdre et me noyer au plaisir et à la terreur de l’Histoire d’O…
 
« DébutPréc123SuivantFin »

Page 3 de 3

Animé par Joomla!. Valid XHTML and CSS. Created by Miriam Blaylock.