Lectures érotiques - Varia
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Écrit par Miriam   

L'Orgasme et l'Occident de Robert MuchembledRobert Muchembled est un historien français né à Liévin (Pas-de-Calais) en 1944, d'un père mineur et d'une mère paysanne. Actuellement professeur d'histoire moderne à l'université de Paris-XIII,  il a été membre de l'Institute for Advanced Study de Princeton (USA) en 2003-2004 et a publié de nombreux ouvrages, dont « Une histoire du diable », ainsi que toute une série sur les sorcières et la sorcellerie. Son étude « L'Orgasme et l'Occident », est parue chez Seuil en 2005. Pour les afficionados, je mentionne son dernier ouvrage : « Les Ripoux des Lumières, Corruption policière et Révolution », sorti cette année (2011). Robert Muchembled est réputé n'avoir pas sa langue dans sa poche; pour un docteur en histoire c'est assez louable. Il n'a d'ailleurs pas récolté que des bravi dans sa carrière; ses prises de positions pour la culture populaire, à une époque où il faisait bon s'acharner à faire partie de l'élite, n'ont pas fait que des heureux.

« L'Orgasme et l'Occident », clin d'œil à De Rougemont et à Flandrin, part d'un postulat relativement psychanalytique : ce qui est refoulé peut être sublimé. On sait ce que je pense de la psychanalyse. Néanmoins, force est de constater que la privation sexuelle peut se transformer en énergie. Pour prendre un exemple d'Épinal, ne suggérons que le vieux chef hargneux qui se venge des dédains de son épouse sur le petit personnel, ou la méchante teigne bilieuse qui fait pareil, faute de satisfaction conjugale régulière. Ce sont des choses qui arrivent, malheureusement.

Robert Muchembled, en « historien des cultures », va plus loin : il se propose de démontrer que le développement culturel, économique et politique de l'Europe est directement influencé par la répression sexuelle à l'œuvre depuis la fin de la Renaissance. Selon un mécanisme relativement simple : plus la société est répressive, plus l'individu est poussé à sublimer - ce qui expliquerait le prodigieux dynamisme des classes bourgeoises capitalistes tout au long du XIXème siècle, notamment; mais aussi la colonisation, les progrès scientifiques et la richesse des productions artistiques, pour ne citer que quelques exemples. Tout cela est fort bien trouvé, mais là où Robert Muchembled s'emmêle un peu les pinceaux, c'est quand il part à la pêche aux documents historiques (il ne fait que son travail, jusque-là) et qu'il exhume des anecdotes qui battent en brèche sa propre théorie. Je ne prendrai qu'un des documents, le « Ma vie secrète » de Walter, un Victorien de la plus belle eau, qui se fait fort de tenir le journal de ses coucheries, en pleine période de répression (il se vante d'avoir couché avec 1.200 femmes; nous sommes bien loin de l'éjaculation éclair décrite par Fowles dans « La Maîtresse du Lieutenant français »). Que le règne de Victoria ait vu proliférer les interdits et les lois répressives, c'est indéniable. Ce qui est moins net, c'est la portée qu'ont eu ces phénomènes dans la population; or si une majorité des individus ont courbé la tête sans pour autant courber « le reste », je vois mal comment la « frustration » aurait pu mener à une « sublimation » aussi phénoménale que celle qui fut à l'œuvre en Occident à l'époque industrielle. Robert Muchembled en est bien conscient, mais uniquement en ce qui concerne les siècles précédents. C'est un peu étrange. Mais enfin, ce problème de logique mis à part, force est de constater que l'analyse de Robert Muchembled ne manque pas de sel; lorsqu'il avance par exemple la théorie du « double standard masculin », apparu après la Révolution française; au moment où, le discours répressif s'étant laïcisé, la « science » accourt à la rescousse du machisme primaire. Je ne dirais pas le machisme primaire de qui, mais tout le monde aura reconnu le petit corse mal embouché, dont le Code est toujours en vigueur, notamment en ce qui concerne le mariage. Ce « double standard » substitue aux élucubrations des « pères de l'Église et d'ailleurs » (du style « Les femmes ont-elles une âme ? », « Les femmes sont impures de naissance», etc.) les élucubrations de la gent médicale (du genre « Il existe deux types de femmes : les bonnes, qui sont frigides et mariées; et les mauvaises, qui sont des obsédées sexuelles tombées dans la débauche »).

En excellent historien, Robert Muchembled confronte différentes théories, il les renvoie dos-à-dos, et il ne manque pas de prendre un bon recul, même si c'est un recul qui n'engage que lui. En cela, je suis très contente de ma lecture : j'ai beaucoup appris, notamment sur les XVIème et XVIIème siècles. Je ne partage toutefois pas son optimisme quant à sa conclusion sur notre époque. L'on pourrait se demander ce qui nous attend, vu la déferlante d'érotisme qui caractérise notre Occident européen contemporain. Si l'on s'en tient à la théorie sublimatoire développée par Robert Muchembled, nous serions voués à nous transformer en amibes ?! Mais il conclut que non, s'appuie sur l'excellent travail de Desmond Morris, sur les résultats des derniers sondages en France, qui marqueraient une « sortie de la religion » et assureraient à la femme et à l'homme du 21ème siècle le « choix d'utiliser leur corps à leur gré ».

Mwouai. Pourvu que les imbéciles qui prônent le retour à l'obscurantisme le plus abject se rallient vite à sa cause !

« L'Orgasme et l'Occident - Une histoire du plaisir du XVIème siècle à nos jours » de Robert Muchembled, paru aux Éditions du Seuil en 2005. ISBN 2.02.055232.9.

 
Les femmes, la pornographie, l'érotisme de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge Imprimer
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Écrit par Miriam   

Les femmes, la pornographie, l'érotisme de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge Auteur, scénariste et journaliste, Marie-Françoise Hans a commencé par enseigner le français, avant de se lancer dans l'écriture. Elle est notamment l'auteur de l'ouvrage « Les Femmes et l'argent », aux éditions Grasset, ainsi que la scénariste de pièces de théâtre (« Louise » ou « George et Alfred »). Elle a participé de moitié à l'ouvrage « Les Femmes, la pornographie, l'érotisme » avec Gilles Lapouge. De ce dernier, écrivain et journaliste également, précisons qu'il est né à Digne en 1923, qu'il a collaboré au Monde, au Figaro Littéraire et à Combat; et qu'il s'est illustré en tant qu'écrivain (« L'incendie de Copenhague », « La Bataille de Wagram » ou « Le Bois des amoureux », pour ne citer que quelques titres). Mais replaçons « Les femmes, la pornographie, l'érotisme » dans son contexte socio-historique, à savoir l'année 1978.

L'époque n'est pas anodine : c'est à peine deux ans après la loi du 30 décembre 1975 sur le « Classement X » au cinéma, qui a stoppé net une production hexagonale dont « Emmanuelle » et « Histoire d'O » sont les deux fleurons. Pour ce qui est du contenu de la loi, volontairement évasif quant à la définition de ce qui est « pornographique » ou pas, simplifions en rappelant qu'il s'agit de taxer plus lourdement le « cinéma porno » et d'exclure toute subvention, que ce soit à des réalisateurs, à des sociétés de production ou même à des réseaux de diffusion. Le résultat étant qu'à partir de l'entrée en vigueur du décret, le cinéma porno a sombré avec armes et bagages dans un cloaque puant - dont il n'est d'ailleurs plus jamais sorti depuis. Car en 2011, au Ministère de la Culture (Censure ?), la « Commission de classement des œuvres cinématographiques » travaille (sévit ?) toujours. Voir à ce sujet l'article d'Ovidie sur le classement X de son film « Histoires de sexe(s) » en 2009.

Mais bref. En 1978, soit dix ans après les mouvements de libération de mai 1968, le débat sur la pornographie fait rage. Chez les femmes, surtout. Et les féministes en particulier. On se doute que ce n'est pas pour la défendre que les femmes se mobilisent : il faut bien plus de dix ans pour sortir d'un conditionnement multi-millénaire. C'est de là que part l'initiative de Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge. Comment est perçue la pornographie, et plus précisément le cinéma pornographique, chez cette moitié fraîchement libérée de la société ? Afin d'y voir plus clair, ils vont procéder à une série d'interviews; comme ils sont journalistes, ils se servent des outils qu'ils maîtrisent le mieux. Ils se heurtent dès l'abord à de grosses difficultés. La première, et non des moindres, étant de parvenir à une définition exacte du terme « pornographie » (depuis Maître Garçon et l'affaire Sade-Pauvert, on sait qu'elle ne peut être que transitoire). La seconde étant de trouver des volontaires pour les interviews. Or, suite à l'annonce qu'ils passèrent dans « Libération », nos courageux auteurs ne furent contactés que par... des hommes ! (bizarre, vous avez dit bizarre ?...). Quand j'écris « courageux auteurs », je devrais plutôt préciser « courageuse Marie-Françoise Hans »; est-il bien utile d'apporter cette précision - ô combien révélatrice ?! Mais enfin, ils parviennent tout de même à se tirer d'affaire, en activant, trente ans avec que le terme soit inventé, ce que l'on nomme communément de nos jours leur « réseau social ». Leur étude est dès lors un peu biaisée, mais ils sont suffisamment professionnels pour faire en sorte que la diversité des profils (âge, situation, milieu social, etc.) soit respectée. Il faut saluer cet exercice journalistique bien tempéré, une espèce devenue fossile de nos jours.

Et bien que je ne suive pas du tout la conclusion de Marie-Françoise Hans, qui part dans un délire sur les « snuff movies » - je me rappelle assez comme le sujet m'énervait déjà, adolescente -, force est de reconnaître que les interviews posent les principaux éléments de la problématique « pornographie » : rôle du capitalisme, sexe marchandise, répression sexuelle organisée, censure économique, déshumanisation, etc. Je ne peux résister à citer un passage de l'interview de Judith Belladona, auteur de l'ouvrage « Folles femmes de leur corps » sur la prostitution : Question : Et savez-vous si les prostituées portent un jugement sur ce phénomène qu'est le débordement pornographique ? Réponse : Je crois qu'elles sont assez méprisantes - bien que ne condamnant pas la porno, comme le font les femmes du Mouvement, au nom du voyeurisme, de l'exhibitionnisme - parce que les gens se font leur cinéma et qu'elles le savent bien, elles, combien la misère sexuelle des hommes est grande et que la porno est le grand leurre qu'on sert aux gens pour leur faire passer la pilule d'une condition de vie lamentable.

Rien ne semble avoir changé depuis 1978, hélas. Il faut espérer que les femmes ET les hommes vont se réveiller et prendre leur destin pornographique en main. On peut rêver.

« Les femmes, la pornographie, l'érotisme », par Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouge, aux Éditions du Seuil (Collection Points Actuels), ISBN 2.02.005426-4.

 
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